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Grippe aviaire

Nigeria : le poulet et l’argent du poulet

La présence du virus de la grippe aviaire dans le Nord du pays ne semble pas effrayer les Nigérians. Les marchés de Kano sont bondés.(photo : AFP)
La présence du virus de la grippe aviaire dans le Nord du pays ne semble pas effrayer les Nigérians. Les marchés de Kano sont bondés.
(photo : AFP)
La lutte contre la grippe aviaire se met en place au Nigeria, mais elle se heurte aux réalités du terrain. A Kano, dans le Nord, la présence du virus est avérée, mais le poulet n'est pas pour autant banni.

De notre envoyée spéciale à Kano

En ce début de matinée, les marchés de Kano commencent à s’animer. Dans certaines cages, des volatiles à l’oeil morne cohabitent avec des poulets morts de cause indéterminée. «Il n’y a pas de grippe aviaire ici», s’énerve Auwalu Mohammed Garangamawa, éleveur et vendeur de volailles. «A cette époque de l’année, il y a toujours des poulets qui meurent à cause du choléra ; cette histoire, c’est un complot contre les gens du Nord». Le thème n’est pas nouveau dans ces régions du Nigeria. En 2003, la vaccination contre la poliomyélite avait été stigmatisée par des leaders religieux qui y voyaient un plan des Etats-Unis pour stériliser les musulmans.

Enfants en danger

Depuis, la polémique s’est apaisée. Dans le cadre d’une mission de l’Organisation mondiale de la santé, Frédéric Caillettte va de maison en maison pour évaluer l’impact de la dernière campagne de vaccination. «Les gens ont vaguement entendu parler d’un problème avec les poulets, mais ils n’ont pas l’air de paniquer», explique-t-il. Les gallinacés vont et viennent à leur guise dans les rues et les maisons. Les égouts à ciel ouvert, la promiscuité, l’absence d’eau potable, autant de facteurs qui favorisent la propagation des virus. Les enfants, plus vulnérables au H5N1 que les adultes, risquent d’en être les premières victimes. A Kano, polygamie oblige, chaque foyer compte en moyenne 3 à 4 enfants de moins de cinq ans.

Incrédulité

Sur une place, une école coranique fait cours en plein air. Des «poulets bicyclettes» picorent dans un caniveau non loin du groupe d’élèves. Les gamins partent d’un grand éclat de rire quand on leur parle de la grippe aviaire. «On n’y croit pas et quand il y a du poulet, on en mange», lance l’un d’entre eux. Dans une rue adjacente, Emilie Akpaowo pile du manioc devant son restaurant. «On adore le poulet, c’est un aliment important ici, et maintenant on nous dit de ne plus en manger, vraiment on ne comprend pas». Etudiant en géographie, Taoufik a en revanche renoncé aux volailles et aux oeufs dès qu’il a entendu l’information à la radio. Mais il reconnaît que son cas est plutôt exceptionnel. «La plupart des gens ici sont ignorants. En ville, certains ont abattu leurs poulets malades et ils ont baissé les prix, un poulet qui valait 800 nairas, ils l'ont vendu à 300 ou même 200 nairas».

Méfiance des petits éleveurs

Pour obtenir la coopération des éleveurs, le gouvernement a annoncé le versement de compensations, à raison de 250 nairas par poulet abattu. Mais certains affirment n'avoir pas entendu parler de la mesure, et n’avoir rencontré aucun responsable des services vétérinaires étatiques. Mohammed Awaulu Garangamawa estime que la décision est bonne en soi mais, ajoute-t-il, «le gouvernement est corrompu. Les puissants, ceux qui ont de grosses fermes vont rafler tout l’argent, les petits éleveurs n’auront rien». Et il souligne que la ferme de Sambawa, la première où le virus H5N1 a été détecté, appartient au ministre nigérian des Sports.

La ferme de Sambawa est située au bord de l’autoroute, sur l’axe qui relie Abuja et Kano, en passant par Kaduna. Il s’est écoulé environ un mois entre le moment où la volaille de cette exploitation avicole a commencé à mourir massivement et l’annonce officielle de la découverte du H5N1. Mercredi, ni barrages sanitaires, ni panneaux mettant en garde contre les risques du transport de volailles, n’étaient visibles sur cette voie.

La lutte s’organise

«Nous avons mis en place des mesures de quarantaine et instauré des restrictions de mouvements des travailleurs des fermes infectées», assure Salihu Jibril, directeur des services vétérinaires de l’Etat de Kano. Une campagne de sensibilisation est également en cours et, en collaboration avec les autorités fédérales, des dizaines de milliers de poulets sont abattus. En dépit d'une livraison par les organisations internationales, le matériel de protection fait cruellement défaut.

La fermeture des marchés aux volailles préconisée par l’Organisation des Nations unies pour alimentation et l’agriculture (FAO) n’a pas été mise en oeuvre pour le moment. Environ 60 à 70% des élevages de la région sont en fait des basses-cours. Omniprésente, la volaille est une source de revenus et de protéines vitale pour les foyers modestes. «Est ce que tous nos poulets sont infectés ?», s’insurge Salihu Jibril. Un responsable du ministère fédéral de l’Agriculture souligne la nécessité d’empêcher l’effondrement de la filière avicole, tout en sensibilisant au maximum le public aux dangers de la grippe aviaire. Mais à mesure que l’épidémie se répand dans le pays, les chances de préserver à la fois le poulet et l’argent du poulet sont de plus en plus minces.


par Virginie  Gomez

Article publié le 17/02/2006 Dernière mise à jour le 17/02/2006 à 14:24 TU

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(Conception : Bourgoing / RFI)

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[17/02/2006]