Journée internationale de la femme
Deux vies afghanes : Akala qui travaille, Gulsuma qui fuit
(Photo : Anne le Troquer / RFI)
De notre correspondante à Kaboul
Dans son quartier, personne n'est étonné. Akala Rizai rentre chez elle, pour la pause de midi, au volant de sa voiture. Mais en centre-ville, tout le monde se retourne sur son passage. Une double exception à Kaboul : une femme qui conduit et qui travaille. Plus de quatre ans après la chute des talibans, les Afghanes sont toujours majoritairement cantonnées à la maison. « Dès que le président Karzai est arrivé, j’ai jeté ma burqua (voile qui couvre les femmes de la tête aux pieds et qui était obligatoire sous le régime taliban) et j'ai appris à conduire, j'avais besoin de cette liberté », explique cette petite femme ronde, secrétaire de bureau. Mais elle ne veut pas se mettre en valeur : « J'ai la chance d'avoir un mari ouvert d'esprit, même si je ne l'ai pas choisi. »
Gulsuma, non plus, n'a pas eu le choix et sa vie s'est transformée en cauchemar. Orpheline de père, sa mère, malade et sans revenu, l’a vendue 500 dollars à une famille qui cherchait à assurer l'avenir de son fils. « Je n'ai pas su que j'étais mariée, mais il a fallu que j'aille habiter dans une nouvelle famille et alors j'ai compris, raconte la frêle adolescente. Et comme je pleurais, ils m'ont battue. » Selon le dernier rapport de la commission indépendante afghane des droits de l'Homme (AIHRC), 38% des mariages sont arrangés contre la volonté de l'épouse et 57% des femmes sont mariées avant l'âge légal de 16 ans. « Des histoires comme celle de Gulsuma, il y en a des milliers ici, mais c'est un tabou », explique Hangama Anwari de l'AIHRC. Poids des traditions, contrôle social, les femmes des régions méridionales très conservatrices et rurales souffrent le plus. « Brutaliser une femme n'est pas officiellement un crime, mais c'est considéré comme une question familiale, comme c'était le cas en Occident il n'y a pas si longtemps, analyse Paul Greening, du Fonds des Nations unies pour la population (UNFPA). Les femmes afghanes souvent ne sortent jamais de la maison. À qui pourraient-elles en parler ? »
En 2005, 380 tentatives de suicide par immolation
La solution pour Gulsuma : fuir, quitter cette famille. « Chaque jour je me levais et je priais pour que Dieu me libère de cet enfer ou prenne ma vie, explique-t-elle tirant sur sa chemise pour cacher ses cicatrices sur les bras. Et presque tous les jours, mes belles-sœurs me tapaient, me brûlaient avec l’eau bouillante du thé. » Aujourd'hui elle vit dans un orphelinat et tente d'oublier ce passé en apprenant à lire et à écrire. Mais pour beaucoup les violences durent toute la vie, le divorce n’existe pas. Certaines choisissent de se supprimer. En 2005, l’AIHRC a enregistré 380 tentatives de suicide par immolation, dont 69 ont entraîné la mort. Le corps brûlé, impossible de les proposer en mariage ou, si elles sont déjà unies, elles seront répudiées. Ce choix extrême touche particulièrement celles qui ont connu l'exil au Pakistan ou en Iran pendant la guerre, des pays où elles ont connu une relative liberté.
« Dans les grandes villes du pays avant la guerre, se souvient aussi Akala, beaucoup de femmes étaient fonctionnaires, professeurs, et ma mère, elle, a pu porter des jupes découvrant les jambes. » Les droits de femmes afghanes ont commencé à régresser au début des années 1990 avec l’arrivée au pouvoir des moudjahiddines, ces résistants à l’invasion soviétique. Prônant un islam très conservateur, ils ont laissé de moins en moins de place aux femmes et celles-ci ont été totalement évincées de la société entre 1996 et 2001, sous le régime taliban. « Je suis consciente que j'ai beaucoup de chance, mais je ne sais pas quoi faire pour changer les choses, analyse Akala, mère de sept enfants (la moyenne en Afghanistan). Alors pour l'instant, j'apprends à conduire à trois amies, mais elles n'ont pas de voiture. » D'ailleurs pas question de bouleverser les traditions. Elle compte bien choisir un mari pour Massouda, sa dernière fille, mais quand elle aura fini ses études et si elle accepte l’élu. Et elle remonte dans sa voiture ajustant son voile sur ses cheveux. « Ça protège de la poussière et de la saleté », confie-t-elle les yeux pétillants de malice.
par Anne Le Troquer
Article publié le 07/03/2006 Dernière mise à jour le 07/03/2006 à 17:54 TU