Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Etats-Unis

Sécurité : bras de fer autour de 6 ports

P&O gère des activités portuaires dans six grands ports américains de la façade atlantique: New York, Newark, Philadelphie, Baltimore, Miami et La Nouvelle-Orléans.
(Cartographie: Géoatlas, Marc Verney/RFI)
P&O gère des activités portuaires dans six grands ports américains de la façade atlantique: New York, Newark, Philadelphie, Baltimore, Miami et La Nouvelle-Orléans.
(Cartographie: Géoatlas, Marc Verney/RFI)
Avec la mondialisation, par le jeu des investissements, il est possible pour une société basée à Dubaï d’acheter des ports aux Etats-Unis. Le contrat était presque finalisé jusqu’au moment où des hommes politiques américains, démocrates comme républicains, ont refusé la transaction. Ils veulent qu’elle soit annulée pour des raisons de sécurité. L’affaire a pris une telle ampleur aux Etats-Unis que le président Bush a menacé d’imposer la transaction malgré les réticences exprimées par ses propres amis politiques.

Le contrat entre P&O, propriétaire des 6 ports qui font polémique, devait être finalisé le 2 mars. A cette date, la société Dubaï Ports World aurait dû racheter la société britannique et du même coup prendre le contrôle de ces six installations portuaires, situées sur la façade atlantique des Etats-Unis. Dans ce pays où les activités économiques sont presque toujours du domaine du privé, la transaction entre l’entreprise britannique (P&O) et l’entreprise émirati (Dubaï Ports World) pose problème. Le responsable du port de New York, le premier, s’est inquiété du passage de ces infrastructures dans le giron d’une société arabe. 

New York, Newark, Baltimore, Philadelphie, Miami et la Nouvelle-Orléans : le contrat représente 6,8 milliards de dollars. Les autorités américaines avaient, dans un premier temps approuvé la transaction. Après l’inquiétude née dans les ports mêmes, les risques encourus par le pays ont été relayés par des hommes politiques de tous bords. Et aujourd’hui, nombre de républicains, le parti gouvernemental, veulent une annulation du contrat, bien que le président Bush ait menacé d’utiliser son veto pour faire passer la transaction.

Depuis deux semaines, l’opposition politique à ce projet a pris de l’ampleur. Un amendement, préparé par les républicains, a été adopté mercredi par une commission budgétaire de la Chambre des représentants. Cet amendement pourrait être adopté la semaine prochaine à l’occasion d’une séance plénière consacrée au financement des opérations militaires en Irak et en Afghanistan. Il est question, dans cet amendement, de décréter que « l’acquisition de toute opération de P&O par Dubaï Ports World est interdite ».

Peu de temps avant que cette commission prépare cet interdit réglementaire, la Maison Blanche avait indiqué maintenir la transaction : la reprise de P&O par DP World. « Nous reconnaissons que certains parlementaires ont des inquiétudes mais il y a beaucoup de discussions entre la société, le Congrès et l’administration », a déclaré le porte-parole du président, Scott McClellan. John Boehner, chef des républicains à la Chambre des représentants, a pour sa part rappelé que le changement de propriétaire des 6 ports était contesté par l’opinion publique américaine, ce qui en fait « un très gros problème politique » pour la majorité présidentielle.

Les installations sensibles en question

De nombreux parlementaires craignent pour la sécurité des Etats-Unis si ces sites vitaux passent aux mains d’une société publique émirati. Le sénateur de New York Charles Schumer souhaite que soit interdite toute prise de contrôle d’installations  portuaires par une société « possédée ou contrôlée par un gouvernement étranger qui reconnaissait le gouvernement des talibans en 1996-2001 ».

L’opposition démocrate a trouvé l’occasion de critiquer la politique de sécurité de l’administration Bush. Mais les républicains sont peut-être les plus virulents dans cette polémique. Duncan Hunter, président d’une autre commission à la Chambre des représentants, celle des forces armées, annonçait la préparation d’une « loi de protection des infrastructures essentielles pour la défense nationale ». Dans cette loi, qui sera présentée au Congrès pour faire échouer la vente des 6 ports, il est prévu que les infrastructures jugées cruciales pour la sécurité des Etats-Unis, comme les ports, les aéroports ou les centrales électriques, soient la propriété des citoyens américains, ou, du moins, soient placées sous leur contrôle. « Cela réduirait les risques de terrorisme contre certaines de nos installations les plus vulnérables », a expliqué le député.

Les projets réglementaires s’accumulent dans le but de contrecarrer la transaction qui n’est pas annulée. Des parlementaires en profitent pour demander que la surveillance des cargaisons entrant en Amérique par la voie maritime soit accentuée. Ils estiment que 5 à 6% seulement des marchandises entrant aux Etats-Unis sont réellement contrôlées avant de débarquer.

« Les Emirats ne sont pas vraiment un allié dans la guerre contre le terrorisme », affirmait début mars, le démocrate Brad Sherman, lors d’une audition à la Chambre des représentants concernant la revente de P&O. L’homme politique accusait alors les Emirats, dont la société publique a emporté le rachat des 6 ports américains, de boycotter Israël et d’encourager les citoyens émiratis à soutenir financièrement le Hamas. Bien au contraire, un responsable du Département d’Etat, David Welsh, assurait que le gouvernement émirati était connu pour participer à la lutte contre le financement du terrorisme.

Le président Bush doit désamorcer la tension créée par cette affaire car 2006 est une année électorale avec les élections à mi-mandat (mid-term elections). Le chef des services de renseignements américains, John Negroponte, à l’occasion d’une audition devant la commission des Forces armées du Sénat, a jugé que la menace sur la sécurité nationale, posée par la transaction, était « faible ».

Les changements depuis 2001

Devant l’émoi provoqué par cette transaction, sa conclusion a été retardée de 45 jours. Les garde-côtes ont été appelés, la semaine dernière, à donner leur avis dans la controverse. Car depuis le 11-Septembre, le gouvernement a renforcé le contrôle sur le transport de conteneurs. Un partenariat a été développé avec 42 ports étrangers, dont celui de Dubaï. En 2005, la Container Security Initiative a été signée. Des ports situés sur les côtes américaines, européennes et asiatiques ont pris l’engagement de renforcer la surveillance des marchandises embarquées dans les conteneurs ; « 75% des conteneurs arrivant aux Etats-Unis viennent de ces ports », a souligné Jayson Ahern, un responsable du service des douanes et de la protection des frontières (CBP). Selon lui, un terroriste serait obligé de passer à travers « plusieurs couches » de sécurité pour réussir à faire exploser dans un port américain une arme placée dans l’une de ces  caisses. Depuis l’entrée en vigueur de cet accord entre les ports, initié par les Américains après 2001, tout conteneur suspect est inspecté par des agents américains des douanes avant son expédition vers les Etats-Unis.

Les garde-côtes en ont profité pour rappeler que la compagnie propriétaire d’un port est chargée des opérations de chargement et déchargement. Mais elle « n’est pas responsable des opérations de sécurité », a expliqué l’amiral James Loy, ancien ministre adjoint à la Sécurité intérieure. « DP World ne touche pas aux cargaisons. Les cargaisons arrivent dans des conteneurs scellés qui sont sous le contrôle de nos services de sécurité », a pour sa part expliqué William Webster, ancien directeur du FBI, la police fédérale.

Les adversaires de la transaction avec la compagnie émirati mettent en avant le fait que certains auteurs des attentats du 11 septembre 2001 venaient des Emirats arabes unis. Autre argument de ces opposants : DP World aura accès à des informations cruciales pour la sécurité des Etats-Unis quant elle sera propriétaire des 6 terminaux maritimes. Pour le moment, alors que l’Amérique fait un appel très inhabituel à la réglementation pour se protéger, des hommes d’affaires américains, basés aux Emirats arabes unis, annoncent qu’il vont venir fin mars à Washington. Leur but est de convaincre les parlementaires d’accepter l’offre de Dubaï Ports World. Pour la Grande-Bretagne en tout cas, la transaction est faite. Malgré tout, le groupe émirati a indiqué qu’il n’interviendra pas avant le mois de mai dans les affaires de P&O, aux Etats-Unis. Jouant l’apaisement, Dubaï DP World se plie au délai décidé par les autorités américaines face aux questions de sécurité soulevées par le changement de mains de ces ports.


par Colette  Thomas

Article publié le 09/03/2006 Dernière mise à jour le 09/03/2006 à 18:02 TU