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Forum mondial de l'eau

Des eaux très politiques

Reconnaître l’accès à l’eau comme un droit humain essentiel. (Photo : Laurent Correau/RFI)
Reconnaître l’accès à l’eau comme un droit humain essentiel.
(Photo : Laurent Correau/RFI)
Pour maîtriser la crise de l’eau qui menace notre planète, un dialogue paraît souhaitable entre les différents acteurs du secteur de l’eau chargés des réformes, entre les techniciens, les gestionnaires et les politiques. Une dimension qui, jusqu’ici, n’avait pas reçu toute l’attention qu’elle méritait, les débats ayant plutôt été confinés au niveau technique.

Comment les structures de pouvoir influent-elles sur les politiques de l’eau ? A l’issue d’un atelier organisé à Marseille en 2004, qui a rassemblé des spécialistes de l’eau chargés des réformes, le Conseil mondial de l’eau (CME) a intégré dans ses programmes l’idée d’une médiation entre professionnels et politiques. Pour une meilleure analyse des processus de prises de décisions politiques, le CME a lancé un programme, Eau et politique, limité dans un premier temps aux niveaux local et national. Avec l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), il a mis en place des projets pilotes dans différents bassins versants (Mexique, Tanzanie, Kenya, Ghana, Burkina Faso, Thaïlande, Cambodge, Laos, Vietnam), en vue d’engager les responsables politiques et techniques à dialoguer sur les choix opérés.

L’équipe de José Esteban Castro, de l’université britannique de Newcastle, a planché sur un des thèmes transversaux du 4e Forum mondial de l’eau : Développement institutionnel et processus politiques. Son rapport préliminaire lève d’ores et déjà un coin du voile sur la tonalité des débats qui auront lieu à Mexico. Il rappelle qu’au 19ème siècle, les pays développés étaient convaincus que la gestion de l’eau potable et des services d’assainissement relevait du devoir des Etats envers leurs citoyens, alors que la classe politique a toujours estimé que ces services doivent être gérés comme des produits marchands. Libéralisation, privatisation, commercialisation des ressources en eau et des services afférents résultent en fait de changements politiques amorcés au 20ème siècle et qui ont produit dans les années quatre-vingt des réformes institutionnelles, voire même constitutionnelles, afin de créer des réseaux de distribution (Chili, Pérou, Mexique) ou de les décentraliser (délégation de services à la municipalité de Mexico), pour les privatiser (Angleterre) ou encore afin de promouvoir la participation du secteur privé aux services publics (concessions, contrats de service à travers le monde).

Soucis écologiques et questions socio-politiques

Parallèlement à ces transformations ont émergé des problèmes écologiques et des questions socio-politiques concernant des déplacements forcés de population résultant de grands travaux d’infrastructures (barrages), la nécessité de protéger les écosystèmes fragiles, aussi bien que la défense d’un secteur public de l’eau ou bien encore l’exigence d’une reconnaissance de l’accès à l’eau comme droit humain essentiel. De nombreuses déclarations de principe ont reconnu l’urgence de trouver des remèdes à la crise de l’eau. Mais, l’adoption des objectifs de développement du millénaire marque un tournant. Désormais, il ne sera pas possible de réaliser ces objectifs fixés par les Nations unies sans que de réelles politiques de l’eau soient élaborées, dans les pays développés comme dans ceux en développement.

Les acteurs techniques et les bailleurs donnent du processus une définition technique : «Une série de systèmes dans le domaine politique, social, économique et administratif, en place pour développer et gérer les ressources en eau et la distribution des services de l’eau» (Partenariat mondial pour l’eau, 2003). Basée sur les arrangements institutionnels qui caractérisent la gestion des activités liées à l’eau, cette définition gomme toute «relation entre ces arrangements et le processus politique», analyse José Esteban Castro. Une autre définition met aussi l’accent sur la bonne gouvernance, qui doit inclure la coordination des actions à différents niveaux, la transparence et la participation publique de tous les acteurs, y compris celle des femmes et des enfants (ONU, 1998, PNUD, 2003). Prescrite par les institutions internationales, celle-ci devient une condition préalable et nécessaire à la réussite de l’exécution des programmes de Gestion intégrée des ressources en eau (GIRE). Les donateurs, agences d’aide et Institutions financières internationales (IFI), recommandent son adoption pour accorder des prêts.

Quel modèle de gouvernance dans le secteur de l’eau ?

La présentation, essentiellement technique, de la bonne gouvernance contribue à «dépolitiser le débat et mériterait d’être reformulée», souligne José Esteban Castro. Loin d’être académique et abstrait, ce débat a en effet des conséquences importantes sur les politiques publiques. Notamment, ce modèle souligne les notions de partenariat public privé ou de partenariat tripartite, éléments clés de ces politiques. En outre, des termes comme société civile et citoyenneté recouvrent des significations différentes selon les sociétés, anglo-saxonne et libérale ou européenne et socio-démocrate, par exemple. En pratique, résume-t-il, la participation des citoyens se limite «à l’acceptation des décisions prises sans qu’ils aient été consultés».

La participation est au cœur des engagements de la communauté internationale. Mais les institutions qui jouent un rôle clé dans l’ordonnance des politiques publiques mondiales ont du mal à reconsidérer leurs schémas, un problème crucial quand il s’agit de ressources naturelles et de services essentiels. «Etre gouvernés par qui et pour qui ?» L’inégalité d’accès à l’eau, comme la pauvreté, n’est pas le résultat d’échecs techniques mais de politiques socio-économiques qui reflètent les inégalités sociales. La tâche sera donc gigantesque pour atteindre les objectifs millénaristes de développement liés à l’eau. Elle ne pourra pas être couronnée de succès sans l’action coordonnée de tous ses acteurs.  C’est pourquoi, conclut le rapport, le débat sur les modèles contradictoires de gouvernance est plus que jamais souhaité».


par Antoinette  Delafin

Article publié le 12/03/2006 Dernière mise à jour le 12/03/2006 à 15:45 TU