Forum mondial de l'eau
Gagner la bataille de l’eau pour en finir avec la pauvreté
(Photo : AFP)
L’accès à l’eau constitue non seulement un enjeu stratégique régional mais aussi mondial. La maîtrise de l’eau peut être facteur de conflits aussi bien que de coopération régionale entre riverains d’un même fleuve, en Afrique australe (fleuves Zambèze, Orange, Okavambo et Limpopo) ou de l’Ouest (fleuves Sénégal, Niger ou Volta). Sur le continent africain, la répartition des eaux du Nil reste une pomme de discorde entre les deux grands de la région, l’Egypte et l’Ethiopie. Au Moyen-Orient, la maîtrise des eaux du Tigre et de l’Euphrate est plus importante que celle du pétrole pour la Turquie, la Syrie et l’Irak, tandis que le fleuve Jourdain est vital pour Israël, la Jordanie, le Liban et la Palestine. En Europe, théâtre de deux guerres mondiales sanglantes au 20ème siècle, la commission internationale pour la protection du Rhin rassemble de façon efficace les Etats riverains depuis 1963 (Allemagne, France, Pays-Bas, Suisse).
En Amérique latine, le Traité de coopération amazonien (ACT) a été signé en juillet 1978 par la Bolivie, le Brésil, la Colombie, l’Équateur, la Guyane, le Pérou, le Surinam et le Venezuela afin de promouvoir des actions communes visant à un développement durable du bassin de l’Amazone, le fleuve le plus puissant au monde de par son débit. En Asie, les cinq pays riverains du Mékong – Cambodge, Laos, Myanmar (connu dans le passé sous le nom de Birmanie), Thaïlande et Vietnam – ainsi que la province chinoise de Yunnan traversée par ce grand fleuve long de 4 200 km ont lancé en 1992 le Programme de coopération économique de la sous-région du Grand Mékong (GMS). Toujours en Extrême-Orient, le fleuve Amour, longtemps disputé, constitue aujourd’hui la frontière entre la Russie et la Chine sur presque 1 600 km.
Le Forum mondial de l’eau de Mexico ne prétend pas régler ces problèmes qui font par ailleurs l’objet d’une cartographie et d’études détaillées (avec par exemple la base de données sur les eaux transfrontalières, mais aussi de lois et de traités internationaux (auxquels se consacre par exemple l’International Water Law Research Institute (IWRLI) ou le centre de recherche spécialisés dans les traités et les données sur les eaux transfrontalières en Afrique).
(Photo : Monique Mas/RFI)
Pour son édition 2006, l’objectif affiché du Forum mondial est d’inciter les bailleurs de fonds à aider davantage les pays en développement. Ses promoteurs espèrent aussi amener les gouvernements riches et pauvres à s’engager sur des principes de meilleure gestion des ressources en eau de la planète en préservant l’environnement. Avec au menu le thème «des actions locales pour un défi mondial», les participants devront notamment se pencher sur le problème de la tarification de l’eau, qui divise toujours les spécialistes, mais aussi sur la répartition entre les ressources consacrées à l’agriculture et celles dévolues à la consommation humaine.
Depuis une quinzaine d’années, et après le sommet de Rio de Janeiro en 1992, les initiatives internationales se sont multipliées pour assurer à tous un accès à une eau propre vitale pour leur santé. Mais beaucoup reste encore à faire pour un traitement équitable du monde en développement, notamment en Afrique sub-saharienne mais aussi en Asie ou en Amérique latine. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) et l’Unicef ont estimé dans un rapport publié en juin 2005 que la réalisation de cet objectif coûterait 11,3 milliards de dollars par an, «un investissement minime lorsqu’on le compare à la réduction de la mortalité qu’il pourrait entraîner, sans oublier le développement économique qu’il faciliterait».
L’eau sale tue au moins 5 000 enfants par jour
Selon l’OMS et l’Unicef, l’absence d’eau potable et de moyens d’assainissement adéquats a des conséquences disproportionnées sur les jeunes enfants. Chaque année, 1,9 million d’enfants de moins de cinq ans meurent de maladies diarrhéiques dans les pays les plus pauvres, soit plus de 5 000 décès par jour et dans près de 90 % des cas la mauvaise qualité de l’eau et des moyens d’assainissement inadéquats sont en cause. Le risque de décès par diarrhée d’un nourrisson en Afrique subsaharienne est 500 fois plus élevé que dans un pays développé. La diarrhée peut aussi conduire à une malnutrition grave, un phénomène qui contribue chaque année au décès de 6 millions d’enfants, c’est-à-dire à plus de la moitié de la mortalité de l’enfant dans le monde.
C’est en Asie du Sud et en Afrique subsaharienne que la situation dans le domaine de l’assainissement est la plus préoccupante. En Asie du Sud, il faudra fournir des moyens d’assainissement à 42 millions de personnes supplémentaires chaque année pour atteindre la cible et à 27 millions en Afrique subsaharienne où 36 % seulement de la population a accès à des latrines et où les moyens d’assainissement n’ont progressé depuis 1990 que de 4 % par an. Leur développement rapide permettrait pourtant de réduire les coûts futurs liés à la pollution et à la gestion des déchets. En outre, dans un monde en développement qui s’urbanise, investir dans l’eau et dans son assainissement permet aussi d’améliorer les conditions de vie en milieu urbain, comme en témoigne par exemple le programme Water for african cities (WAC) des Nations unies en partenariat avec la Banque mondiale et la Banque africaine de développement (BAD).
Le rapport OMS-Unicef recommande une série de mesures complémentaires essentielles dans le cadre de la décennie «L’eau, source de vie 2005-2015», lancée en mars dernier par le secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan. Ce dernier préconise en particulier d’accroître de manière significative l’accès à l’eau potable tout en faisant un effort d’éducation pour promouvoir l’hygiène à la maison et à l’école mais aussi le traitement et le stockage adéquats de l’eau à usage domestique.
(Photo : Alpha Barry/RFI)
Le Conseil de concertation pour l’approvisionnement en eau et l’assainissement (WSSCC) , qui a déjà organisé fin 2004 à Dakar le Forum mondial WASH, cherche de son côté à mieux appréhender les problèmes des flux financiers qui existent aux niveaux national et local, les moyens de supprimer les contraintes budgétaires afin de permettre de meilleures allocations, les moyens de cibler les subventions destinées aux infrastructures et aux plans d’implantation. Doté d’un mandat de l’Assemblée générale des Nations unies, le WSSCC vise à améliorer la collaboration dans les secteurs de l’accès à l’eau potable et à l’assainissement afin de permettre une couverture universelle pour les pauvres à travers la planète. Selon lui, plus de 300 millions d’Africains n’ont toujours pas accès à de l’eau salubre et de nombreux pays du continent connaissent des pénuries d’eau.
L’Afrique dispose d’abondantes ressources en eau qui ne sont pas efficacement utilisées. Dotée de 17 grands fleuves et de plus de 160 lacs majeurs, l’Afrique n’utilise que 4 % environ de sa quantité annuelle totale de ressources renouvelables en eau pour l’agriculture, l’industrie et les besoins ménagers. Dans les villes, en particulier celles d’Afrique subsaharienne, la majeure partie des habitations ne sont pas raccordées à un réseau d’égout, mais sont équipées de systèmes individuels comme les latrines traditionnelles ou latrines à fosses étanches. Certaines habitations ne disposent d’aucun système d’assainissement. Une fois remplies, les fosses sont mécaniquement vidangées et leur contenu est rejeté à l’extérieur de la ville sans aucun traitement préalable. Ce type de gestion pose un problème sanitaire et environnemental. Mal gérés, les excréments constituent une source évidente de maladies, multipliant les risques de diarrhées, de fièvre typhoïde ou de dysenterie. Dans le même temps, les boues de vidange contaminent les nappes phréatiques et les plans d’eau, rendant leurs eaux inaptes à la consommation.
Lors d’une conférence panafricaine tenue à Addis-Abeba (Ethiopie) en décembre 2003, les ministres africains chargés de l’eau et les planificateurs du développement ont élaboré un cadre pour la gestion de l’eau sur le continent dénommé «La Vision africaine de l’eau 2025», qui appelle à allouer davantage de ressources à ce secteur. Selon ce plan, le continent devrait investir au moins 20 milliards de dollars par an au cours des vingt prochaines années pour atteindre ses objectifs. Sur ce montant, au moins 12 milliards de dollars devraient être consacrés aux services d’adduction d’eau et d’assainissement de base. Les participants ont décidé de créer un Fonds africain pour l’eau pour mobiliser, d’ici à 2008, plus de 600 millions de dollars. Et au cours d’une réunion à Tunis, en juillet 2004, la BAD a annoncé de son côté son intention de mobiliser 615 millions de dollars pour la «Facilité africaine de l’eau».
La BAD a aussi lancé sa nouvelle «Initiative pour l’approvisionnement en eau et l’assainissement en milieu rural» (IAEAR), qui compte mobiliser quelque 15 milliards de dollars d’ici à 2015, la Banque s’étant engagée à fournir 30 % de ce montant. Pour sa part, l’Union européenne a promis d’accorder un financement de 500 millions d’euros pour des projets dans le secteur de l’eau et de l’assainissement dans les pays ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique) au titre de l’Initiative européenne «L’Eau pour la vie». Parallèlement, Kofi Annan a annoncé en mars 2004 la création d’un Conseil consultatif sur l’eau et les installations sanitaires, en vue de promouvoir les actions au niveau international destinées à l’éradication de la pauvreté et la réalisation d’un développement durable. Ce Conseil assure notamment le suivi et l’évaluation des actions concernant l’eau et l’assainissement.
par Marie Joannidis
Article publié le 12/03/2006 Dernière mise à jour le 12/03/2006 à 17:02 TU