Francophonie au salon du livre de Paris
Un état des lieux de l’Afrique littéraire
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La littérature africaine francophone apparaît dans la première moitié du XXe siècle, avec l’émergence dans les années 30 du mouvement de la négritude, créé par Léopold Sédar Senghor, Aimé Césaire et Léon-Gontran Damas, réunis à Paris où ils faisaient leurs études. En révolte contre l’aliénation culturelle dans laquelle la colonisation les maintenait, ces jeunes intellectuels, africains et antillais, voulaient libérer leurs peuples en les sensibilisant à la dignité des valeurs culturelles du monde noir. C’est par le truchement de la poésie que le trio va mettre en pratique leurs professions de foi. Damas inaugure le mouvement en publiant en 1937 son recueil de poèmes Pigments. En 1939 et en 1945 paraissent respectivement Le cahier d’un retour au pays natal de Césaire et Chant d’ombre de Senghor. La publication par Senghor en 1948 d’une remarquable Anthologie de la nouvelle poésie nègre et malgache, préfacée par Jean-Paul Sartre, s’inscrit dans le prolongement de ce moment fondateur de l’écriture noire.
Tout au long des années 50 et 60, la négritude et ses thématiques basées sur l’exaltation de la race noire seront des sources d’inspiration importantes pour des poètes africains. Mais les nouvelles générations de poètes qui arrivent sur le devant de la scène après les indépendances ont progressivement abandonné cette veine. Face à une Afrique « mal partie », ils traduisent leur désenchantement dans une poésie plus intimiste et personnelle, s’attelant en même temps à une véritable entreprise de déconstruction de la prosodie classique héritée de leurs aînés. Parmi les poètes qui ont marqué la poésie africaine post-coloniale, il faut citer les Congolais Tchicaya U’Tam Si, Jean-Baptiste Tati-Loutard et Maxime N’Debeka, l’Ivoirien Jean-Marie Adiaffi et le Sénégalais Amadou Lamine Sall.
Les années 1950 voient l’entrée en force des romanciers sur la scène littéraire africaine. C’est le Guinéen Camara Laye qui ouvre le ban avec son célèbre L’enfant noir (1953). Son évocation nostalgique et tendre d’une enfance quasi-bucolique a fait de ce roman un texte emblématique de la littérature africaine contemporaine. Proches de cette thématique de l’enfance, les romans quasi-autobiographiques que sont Climbié (1953) de Bernard Dadié, Ville cruelle (1954) de Mongo Béti, Kocoumbo (1960) d’Aké Loba et L’Aventure ambiguë (1961) de Cheikh Hamidou Kane, traitent aussi d’autres sujets : l’aliénation qu’impose l’école des Blancs, la rupture avec le passé, les dangers de la ville, l’exil. Pour un certain nombre d’auteurs comme Ousmane Sembene, Mongo Béti ou Ferdinand Oyono, le roman est un lieu de contestation. Ceux-ci dénoncent sans ambages dans leurs romans les injustices et les exactions dont les Africains ont été victimes pendant la colonisation.
Les mutations profondes de la fiction après les indépendances
Avec la fin de la colonisation la fiction a subi des mutations profondes, tant sur le plan thématique que sur celui de la narration. Sous la plume d’auteurs talentueux comme Ahmadou Kourouma, Sony Labou Tansi, Henri Lopes, Tierno Monenembo ou Emmanuel Dongala, le roman est devenu un outil privilégié d’exploration de « l’état honteux » de l’Afrique issue des indépendances. Les soleils des indépendances (1969) de Kourouma, Le Pleurer-rire d’Henri Lopes et La vie et demie de Sony Labou Tansi sont exemplaires de la production littéraire des années 80. Ils illustrent l’abandon du réalisme et l’exploitation habile et efficace par ces auteurs des ressources du récit moderne, marqué par la dérision, l’allégorie, l’excès et le fantastique. Les années 80 et 90 sont aussi marquées par l’entrée en scène de romancières femmes (Mariama Bâ, Aminata Sow Fall, Calixthe Beyala, Werewere Liking, Véronique Tadjo) et par le passage de relais à une nouvelle génération de romanciers (Alain Mabanckou, Abdourahman Waberi, Kossi Effoui, Kangni Alem, Jean-Luc Raharimanana) qui refusent d’être les porte-parole d’un continent ou d’une race « noire ». Ces nouveaux romanciers africains, installés pour l’essentiel en Occident, préfèrent se définir comme « écrivains ».
La production littéraire anglophone d’Afrique a connu son véritable essor à partir des années 50. Elle est dominée par la figure tutélaire de Wole Soyinka. A la fois homme de théâtre, poète, romancier et essayiste, ce géant des lettres mondiales s’est vu attribuer en 1986 le prix Nobel de littérature pour avoir su « façonner le drame de l’existence dans une large perspective et avec des connotations poétiques ». Les autres grands écrivains africains de langue anglaise ont pour noms Chinua Achebe, Ben Okri, Ayi Kwei Armah, Ngugi wa Thiong’o, Nuruddin Farah et Dambudzo Macherera. Considéré comme le père de la fiction africaine moderne, Chinua Achebe s’est fait connaître en publiant en 1958 Le Monde s’effondre, qui évoque la disparition de la société traditionnelle au contact avec l’Occident. Le somalien Nuruddin Farah raconte à travers des romans d’une grande puissance évocatrice les heurs et malheurs de son pays disparu dans les turbulences de l’Histoire. Dans le domaine anglophone, comme dans le domaine francophone, les années 90 ont vu arriver sur le devant de la scène une nouvelle génération d’écrivains décidés à renouveler l’écriture en situant leurs oeuvres plus résolument que leurs aînés au carrefour de l’oralité africaine et des traditions post-modernistes occidentales.
Afrique lusophone, Maghreb : une grande vitalité
Injustement méconnues, les littératures lusophones d’Afrique font depuis cinquante ans preuve d’une vitalité et d’une fécondité étonnantes, dont témoignent la poésie militante de révolte contre le colonialisme, sous la plume de la première génération d’écrivains (Antonio Jacinto, Viriato da Cruz, Antonio Cardoso, Agostino Neto), comme la fiction moderniste et métaphorique que pratiquent les romanciers contemporains tels Mia Couto (Mozambique), Pepetela (Angola), Germano Almeida (Cap Vert) et Abdulai Silai (Guinée-Bissau).
Soeur jumelle de la littérature noire d’expression française, la littérature francophone du Maghreb est sans doute une des littératures contemporaines les plus originales et vigoureuses. Elle est née aux lendemains de la Deuxième Guerre mondiale. C’est en Algérie où la francisation de l’enseignement a été la plus poussée pendant la colonisation que la production littéraire a été la plus brillante et a d’emblée donné des textes d’une maturité littéraire étonnante, tels que La colline oubliée sous la plume de Mouloud Mammeri ou Le fils du pauvre (1954) de Mouloud Feraoun, ou encore Nedjma (1956) de Kateb Yacine. Pendant la période de la résistance contre la colonisation française, la fiction francophone servira de relais entre les combattants et la population, en exaltant à travers des textes souvent poétiques les valeurs de liberté et d’héroïsme. En même temps s’est posée la question du choix de la langue française, langue du colonisateur, donc éminemment ambiguë, face à l’arabe. Interrogation qui a abouti dans quelques cas à un rejet, comme l’ont fait Kateb Yacine (spécialement dans son théâtre en arabe dialectal) ou Rachid Boudjedra.
Malgré l’arabisation de l’enseignement après l’indépendance, l’Algérie a continué de produire une littérature de langue française de qualité, en faisant entendre de nouvelles voix : Malika Mokaddem, Tahar Djaout, Leïla Sebbar, Leïla Marouane, ou encore Yasmina Khadra. Ces écrivains portent un regard dévastateur mais lucide sur la société algérienne contemporaine. Suite à la radicalisation de celle-ci dans les années 90, nombre de ces écrivains ont dû se réfugier en France. Internationalement reconnue et élue en 2005 à l’Académie française, Assia Djebar est de ceux-là.
C’est Driss Chraïbi qui, avec son roman Passé simple publié en 1954, a placé le Maroc sur la carte de la francophonie littéraire. Les lettres francophones marocaines ont connu ensuite une nouvelle apogée avec la création de la revue Souffles en 1966. Celle-ci a révélé notamment Tahar ben Jelloun, l’écrivain marocain de France le plus connu (en 1987 prix Goncourt pour son roman La Nuit sacrée), mais aussi Mohammad Khaïr-Eddine et Abdelkébir Khatibi. Plus marginale, la littérature francophone tunisienne a produit essentiellement des poètes (Tahar Bekri, Samir Mekroubi) qui vivent et écrivent à l’étranger. Ce panorama rapide de la littérature maghrébine resterait incomplet si on ne cite pas le nom de Albert Memmi, la grande figure de la littérature francophone tunisienne dont le Portrait du colonisé, paru en 1957, fut un best-seller mondial.
par Tirthankar Chanda
Article publié le 14/03/2006 Dernière mise à jour le 14/03/2006 à 17:03 TU
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Du 17 au 22 mars 2006, le salon du livre de Paris met la francophonie à l'honneur.
Le festival francophone en France se tient en 2006 et le site propose notamment la liste des multiples manifestations oragnisées dans ce cadre.