Festival francophone en France
« Se saisir du français pour l’imprégner de sa singularité ! »
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MFI : N’est-il pas un peu paradoxal d’avoir besoin d’organiser une manifestation en France pour faire connaître des cultures qui s’expriment en français ?
Daniel Maximin : Les Français ne connaissent pas très bien les réalités culturelles francophones et les associent, pour beaucoup, à la colonisation. Conscient de ce fossé, le Président Chirac a eu à coeur de sensibiliser ses compatriotes au dynamisme des cultures francophones dans le monde, qui se sont essaimées après la colonisation, se nourrissant d’influences très diverses. Les 2000 représentants des cultures francophones invités à se produire sur tout le territoire français tout au long de la saison 2006, permettront justement, nous l’espérons, de leur faire prendre conscience de la très riche réalité des expressions artistiques francophones, fruit d’un métissage constant entre les pôles culturels contemporains les plus féconds.
MFI : En tant qu’homme de culture êtes-vous content que l’on mette enfin en avant la dimension culturelle de la francophonie plutôt que sa dimension politique, ce qui a été le cas jusqu’ici ?
Daniel Maximin : Je suis d’autant plus satisfait que la francophonie a d’abord été culturelle, littéraire, poétique. L’idée francophone est véritablement née dans les années d’après-guerre lorsque Damas et Senghor ont fait paraître coup sur coup deux anthologies de poésies d’expression française (2) réunissant des auteurs d’Afrique, d’Indochine et des Antilles. Ces anthologies qui manifestaient une foi inébranlable dans la langue et dans la culture comme vecteurs de libération, ont fondé la francophonie, longtemps avant l’émergence d’une francophonie politique et institutionnelle. Qu’on le veuille ou non, c’est la culture qui est la véritable légitimation de la francophonie. Car la francophonie n’est pas seulement une langue, mais aussi et peut-être avant tout une tradition qui puise ses racines dans la résistance identitaire aux impérialismes que ses écrivains ont incarnée à travers l’histoire et dans la solidarité que la Francophonie a rendu possible au-delà des ethnies, des continents. Je pense à la littérature haïtienne qui a d’emblée parlé pour le monde. Je pense aussi au premier Congrès des écrivains et des artistes noirs qui s’est tenu à Paris en 1956 et dont on célèbre cette année le cinquantième anniversaire. Ce congrès fut une étape importante sur le chemin de la décolonisation. Le jeune francophone d’aujourd’hui, qu’il soit français ou guadeloupéen, est héritier de toute cette tradition anti-impériale, comme il l’est de la tradition des Lumières.
MFI : Vous avez raison de rappeler le rôle important joué par les écrivains et les poètes dans la construction de la francophonie. Pourtant les écrivains d’aujourd’hui ne partagent pas tous votre enthousiasme, notamment aux Antilles où le français a été souvent perçu comme une langue impériale et aliénante.
Daniel Maximin : La Francophonie est une dimension indélébile des Antilles. Elle fait partie de notre vécu. Depuis trois siècles, nous les Antillais, nous combattons l’impérialisme de la France sans pour autant rejeter sa langue ou sa culture qui sont constitutifs de ce que nous sommes. Quant aux écrivains antillais qui ont l’impression de vivre dans un pays dominé, je leur rappellerai que le combat pour se libérer du carcan de la langue est organique au travail de tout écrivain, qu’il écrive dans sa langue maternelle ou dans une langue coloniale. Il n’est pas vrai non plus qu’il soit plus facile pour un anglophone ou pour un hispanophone d’exprimer sa singularité à travers leurs langues d’emprunt. Il suffit pour cela d’aller voir de près le travail d’un Walcott ou d’un Asturias.
MFI : Pourtant les écrivains antillais ne sont pas les seuls à se méfier de la francophonie. Les Africains aussi s’en méfient.
Daniel Maximin : Ils s’en méfient car ils croient que la Francophonie véhicule un projet impérial qui consisterait à aliéner l’écrivain du Sud. Il me semble au contraire que l’émergence des Francophonies, des Hispanophonies, des Arabophonies, des Russophonies, des Hindiphonies vont dans le sens de l’affirmation de la diversité culturelle de la planète. Par ailleurs, j’ai l’impression que l’aliénation que ressent l’écrivain issu de la colonisation française est en fait le résultat d’un certain jacobinisme culturel qui a enfermé la langue française dans l’hexagone, rendant ainsi difficile l’expression d’autres identités à travers cet idiome. L’intérêt du festival francophone en France sera aussi de montrer comment les écrivains colonisés se sont appropriés le français, l’ont transformé et l’ont adapté à leurs réalités géographiques et culturelles. L’universalité du français passe par notre acceptation de l’identité francophone d’un Congolais, d’un Martiniquais, d’un Vietnamien ou de tous ceux qui voudront saisir du français pour l’imprégner de sa singularité !
Propos recueillis par Tirthankar Chanda
Article publié le 14/03/2006 Dernière mise à jour le 14/03/2006 à 18:20 TU
(1) Daniel Maximin a écrit des récits : L’Isolé Soleil (1981), Soufrières (1987), L’Ile et une nuit (1996), Tu, c’est l’enfance (2004)), des poèmes : L’invention des désirades (2000) et un essai : Les fruits du cyclone : une géopoétique de la Caraïbe (2006).
(2) Poètes d’expression française (1947) et Anthologie de la nouvelle poésie nègre et malgache d’expression française (1948).
Cet article a été publié initialement par MFI, l'agence de presse de RFI (plus d'informations)