Festival francophone en France
«Atlas de la francophonie» : les bonnes feuilles
DR
La genèse
Entre 1880 et 1970, l’idée d’une communauté autour de la langue française va mettre presque un siècle à mûrir. Imaginée par un géographe qui réfléchit au destin colonial de la France, la francophonie est paradoxalement rendue possible par la décolonisation et voulue par des responsables d’outre-mer ayant mené leurs pays à l’indépendance. Appuyés par un réseau d’associations pionnières, ceux-ci doivent convaincre une France réticente – car craignant l’accusation de néocolonialisme – d’institutionnaliser le fait francophone.
L’histoire d’un mot
Le terme « francophonie » apparaît pour la première fois vers 1880 sous la plume du géographe français Onésime Reclus. Par francophones, il entend « tous ceux qui sont ou semblent être destinés à rester ou à devenir participants de notre langue ». Il estime alors à 47 millions dans le monde « la population francophone probable au 31 décembre 1880 ». Le mot ne fait pas carrière et connaît une résurgence dans les dictionnaires vers 1930. Le terme renaît véritablement en 1962, dans le n° 311 de la revue Esprit. Léopold Sédar Senghor y fonde le concept moderne : « La francophonie, c’est cet humanisme intégral qui se tisse autour de la terre, cette symbiose des énergies dormantes de tous les continents, de toutes les races qui se réveillent à leur chaleur complémentaire. » Autres signatures prestigieuses de ce numéro d’Esprit : Norodom Sihanouk, Jean Lacouture, Georges Gougenheim, Kateb Yacine…
Les sommets
Réclamés depuis longtemps par les pères fondateurs, les sommets sont rendus possibles par le règlement, entre la France et le Canada, de la question de la représentation du Québec. Les négociations aboutissent au milieu des années 1980 : l’adhésion à la Francophonie ne sera pas seulement le fait d’États, mais également de gouvernements. Grands rendez-vous solennels au cours desquels les décisions stratégiques sont prises et les programmes d’action approuvés, les sommets (organisés en principe tous les deux ans) traduisent la montée en puissance de l’institution. (…) Le premier a eu lieu sur le territoire français, dans le prestigieux site de Versailles, en 1986, avec 42 pays représentés. Neuf autres sommets ont eu lieu depuis. L’organisation en 2006 du sommet de Bucarest (Roumanie), prévue pour la première fois dans un pays d’Europe centrale, souligne bien l’extension planétaire de la construction francophone.
Derrière l’anglais, mais sur tous les continents
Les langues internationales ont évolué au cours des siècles. Depuis plusieurs décennies, l’anglais est devenue la première d’entre elles. Le français partage avec l’anglais le double avantage d’être langue de travail des grandes institutions internationales et d’être présent sur les cinq continents. Mais il a perdu de sa superbe, comparativement à une époque (XVIIIe et XIXe siècles) où il étendait son emprise culturelle sur l’Europe et était langue diplomatique mondiale. Son influence, malgré un nombre de locuteurs très inférieur à celui de plusieurs autres langues, reste importante et le combat engagé par l’OIF pour défendre la diversité culturelle constitue un élément fort de sa revitalisation. Au même titre d’ailleurs que d’autres langues qui jouissent d’une diffusion internationale (espagnol, portugais, arabe) et se sont elles aussi organisées en communautés de langues et de pensées.
Les défis de l’Europe
L’Europe originelle, organisée autour des six pays fondateurs, dont trois francophones, n’est plus qu’un lointain souvenir au regard de l’Europe à 25, née le 1er mai 2004. La position du français n’a cessé de reculer depuis les années 1950, avec une dégradation de la situation de plus en plus évidente à partir de 1995. Toutefois, la diversité linguistique est formellement garantie par les textes juridiques. Ce principe n’est pas remis en cause mais au contraire renforcé par l’élargissement. La France et ses partenaires se mobilisent pour le faire respecter.
Diversité culturelle : la Francophonie, initiatrice et porteuse du processus
En ouverture du Sommet de la Francophonie à Beyrouth (Liban) en 2002, l’ensemble des intervenants plaida en faveur du dialogue des cultures, saluant la déclaration de l’Unesco adoptée sur ce thème le 2 novembre 2001 et appuyant le principe d’un cadre réglementaire universel. Cette thématique prend aujourd’hui des accents politiques. Dans ce même contexte, la France et le Canada ont joint leurs efforts pour démontrer la nécessité et l’intérêt qu’il y avait pour les États francophones d’adopter un instrument international relatif à la diversité culturelle, appelant l’ensemble des francophones à soutenir une convention sur cet aspect à l’Unesco. La Francophonie avait ouvert la voie dès 1993, au Sommet de Maurice, et n’a pas cessé de réaffirmer ce souci, multipliant les occasions de sensibilisation lors des grandes rencontres internationales.
Une mosaïque linguistique
La communauté francophone repose sur le partage d’une langue commune, le français, outil de communication orale et écrite privilégié. Pour autant, le français est loin d’être la langue maternelle ou même d’usage de tous les peuples appartenant à l’espace francophone, qui se révèle être une véritable mosaïque linguistique. La Francophonie a progressivement intégré cette dimension, au point d’en faire un atout pour l’éducation et un schéma majeur de la défense de la diversité.
La richesse des langues nationales
Le français n’est la langue maternelle d’une part importante de la population que dans un petit nombre de pays (France, Monaco et, dans une moindre mesure, Belgique, Canada, Suisse). Aussi, dans bon nombre d’États membres de la Francophonie, en Afrique particulièrement, le français cohabite-t-il avec les langues locales dont certaines peuvent être qualifiées, en raison de leur importance véhiculaire et/ou du nombre de leurs locuteurs, de nationales par les textes officiels. Au Sénégal par exemple, selon la Constitution de 2001, la langue officielle est le français et « les langues nationales sont le diola, le malinké, le pular, le sérère, le soninké, le wolof et toute autre langue nationale qui sera codifiée ». À São Tome et Príncipe, la langue officielle est le portugais, les créoles santoméen et principéen sont langues nationales.
L’enjeu de la cohabitation des langues
Favoriser le plurilinguisme au sein de l’espace francophone constitue aussi un enjeu de développement économique et de démocratie. « Comment assurer, s’interroge Robert Chaudenson, coordonnateur du réseau Observation du français et des langues nationales de l’AUF, à une majorité de citoyens qui ne parlent pas la langue officielle de l’État, les droits civiques mais aussi les droits à l’information, à l’éducation, au travail, à la santé que leur garantit pourtant la Déclaration des droits de l’homme de 1948, signée par l’État dont ils sont les ressortissants ? » Si la maîtrise de la langue française constitue une clé essentielle pour l’accès au savoir, au développement et à la démocratie dans les pays qui l’ont choisie comme langue officielle, là où le français cohabite avec d’autres langues maternelles, une alphabétisation et une éducation ignorant ces langues seraient vouées à l’échec.
Culture : faciliter l’accès aux financements marchands
Les pays en développement sont désireux de devenir acteurs de leurs propres industries culturelles et non pas seulement consommateurs des productions en provenance du Nord. L’adoption en octobre 2005, à l’Unesco, de la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles souligne la volonté de plus de 150 États sur les 191 membres de l’Organisation de reconnaître « la nature spécifique des activités, biens et services culturels ». Traditionnellement, l’appui financier accordé au secteur de la culture a été et est encore largement réalisé sous forme de subventions. Cependant, ce secteur d’activité peut aussi être abordé sous un angle économique, c’est-à-dire rentable et générateur de bénéfices et d’emplois. La Francophonie a choisi d’appuyer la croissance des entreprises culturelles du Sud en facilitant leur accès aux financements marchands, par la mise en place d’un mécanisme de garantie, le renforcement des capacités des banquiers et des opérateurs culturels, conformément aux décisions des Sommets de la Francophonie de Hanoï (1997) et de Moncton (1999) ainsi que de la IIIe Conférence ministérielle de la culture de Cotonou de juin 2001.
L’hétérogénéité des pays francophones, enjeu de la solidarité
La Francophonie réunit des pays allant des plus riches aux plus pauvres de la planète. L’organisation elle-même ne dispose pas de moyens financiers importants et ses actions, par rapport aux interventions des bailleurs de fonds internationaux et des coopérations bilatérales, sont donc spécifiques : elles reposent sur l’idée de promouvoir une solidarité de savoirs aux effets de levier plus que de moyens. Cependant, la solidarité francophone se manifeste à l’échelle de l’aide bilatérale dispensée par les pays riches du groupe prioritairement à ses membres moins favorisés.
Les réseaux francophones
Moyen efficace pour favoriser les échanges et valoriser les bonnes pratiques, la Francophonie a choisi, depuis une dizaine d’années, d’accentuer la stratégie de travail en réseau dont l’avait dotée l’histoire. Une façon aussi de traduire son engagement en faveur d’un monde multipolaire à la construction duquel chacun peut contribuer. La nature transnationale de la Francophonie l’a encouragée, depuis ses débuts, à élaborer une stratégie de travail en réseaux, qu’ils soient institutionnels ou professionnels. Quoi de plus proche en effet de ce qu’on appelle aujourd’hui un réseau que les associations internationales formées autour d’une cause commune ? Ces associations, nées bien souvent avant la Francophonie institutionnelle, ont convaincu l’ensemble francophone de l’intérêt de ces cadres permettant la réflexion, la concertation, les échanges de pratiques et la coopération entre leurs membres. Nombre d’organisations internationales non gouvernementales et d’autres organisations de la société civile sont d’ailleurs accréditées auprès des instances de l’OIF. L’attente réciproque d’un partenariat dynamisé entre la société civile et la Francophonie s’est exprimée lors de la Ve Conférence des OING francophones, en septembre 2005 à Ouagadougou (Burkina Faso).
Atlas mondial de la francophonie : du culturel au politique, par Ariane Poissonnier, Gérard Sournia et Fabrice Le Goff. Co-éditions Autrement/francofffonies/
Article publié le 14/03/2006 Dernière mise à jour le 14/03/2006 à 18:49 TU