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Francophonie au salon du livre de Paris

Mabanckou et Waberi : frères d’encre et d’Afrique

Abdourahman Waberi et Alain Mabanckou.DR
Abdourahman Waberi et Alain Mabanckou.
DR
Alain Mabanckou et Abdourahman Waberi sont romanciers, poètes, essayistes. Leurs imaginations inventives et originales, leurs écritures résolument modernes font d’eux des figures de la littérature africaine contemporaine.

Plus de quarante ans se sont écoulés depuis la fin de la colonisation et la littérature africaine d’expression française a pris, elle aussi, son indépendance. Cette émancipation des lettres africaines est ancienne, mais s’est confirmée dans les années 1990 avec l’arrivée sur le devant de la scène d’une nouvelle génération d’écrivains qui n’ont pas connu la colonisation et dont l’œuvre se caractérise par une imagination décomplexée et véritablement mondialisée. Le congolais Alain Mabanckou qui a dominé l’année littéraire 2005 avec son roman rabelaisien Verre cassé (roman primé par plusieurs grands prix) et le djiboutien Abdourahman Waberi, qui vient de livrer avec son nouveau récit futuriste Aux Etats-Unis d’Afrique une allégorie à la manière d’un Voltaire ou d’un Jonathan Swift, sont deux écrivains significatifs de cette génération post-coloniale.

Mabanckou : érudition et truculence

Venu à la littérature par la poésie - il est auteur de six recueils de poèmes -, Alain Mabanckou est un conteur hors pair, capable de tenir en haleine pendant des heures durant un auditoire. Verre cassé est à l’image de son auteur, c’est aussi le nom du protagoniste de ce roman singulier qui fait le récit sur plus de 200 pages du vécu tragi-comique des clients hauts en couleur d’un bar de Brazzaville. Il raconte avec truculence leurs heurs et malheurs, mêlant habilement le grotesque et le poétique, le bavardage et des références aux grandes oeuvres littéraires qui ont compté pour lui. N’a-t-il pas été instituteur avant d’être l’adorateur assidu du gros rouge, qui fait de lui un des piliers de ce bar si bien-nommé : Le Crédit a voyagé ? Ce roman, le cinquième sous la plume de Mabanckou, est un morceau de bravoure qui rappelle L’ivrogne dans la brousse de Tutuola, mais aussi Boccace et Chaucer, par sa construction enchâssée et, par l’humour narquois du narrateur, par ses sous-entendus malicieux et sa verve goguenarde. Ici le ludique l’emporte sur la gravité, si fréquente dans la littérature africaine.

Waberi : la gravité de l’imagination

La gravité que professe Waberi est celle de l’imagination. C’est une imagination nostalgique du passé (espace où l’écrivain a situé la plupart de ses neuf livres de nouvelles, de romans et de poésies), et curieuse de l’avenir, thème du nouveau roman d’Abdourahman Waberi que celui-ci a campé dans une future Fédération des Etats-Unis d’Afrique, devenue… première puissance mondiale. Le romancier imagine l’Afrique en Terre promise, prospère avec ses centres d’affaires, ses mégalopoles où se déversent « centaines des milliers de miséreux Euraméricains en proie à une flopée de calamités et à une famine d’espérances ». Sur fond de cette géopolitique inversée, Waberi décrit la trajectoire singulière de son héroïne, Maya, jeune femme à la « face de lait » que ses parents adoptifs ont arrachée à la misère du Nord et ont élevée dans le luxe, le calme et la volupté d’Asmara en Erythrée, devenue le centre névralgique du monde nouveau. Mais la mort d’un immigré du Nord dans des circonstances dramatiques suscite chez l’héroïne un sentiment de malaise et la pousse à entreprendre ce périple qu’elle a toujours repoussé, celui du retour à sa Normandie natale, à la recherche de ses vrais parents…

Ce qui fait la force de ce récit est l’ironie mordante avec laquelle l’auteur dénonce les maux du monde présent, ses déséquilibres et ses injustices, à peine déguisés sous le masque de l’utopie futuriste. Roman philosophique, Aux Etats-Unis d’Afrique emprunte des accents poétiques pour chanter la compassion, la quête de l’Autre et le thème, si cher à son auteur, de « l’errance qui n’est pas déperdition ».

Mabanckou et Waberi sont deux tempéraments opposés, avec deux approches distinctes de l’esthétique et du réel. L’un est ludique, l’autre poétique et grave. Le premier se méfie de l’engagement en littérature et se garde de devenir « pompier de l’Afrique, à devoir éteindre les feux sur le continent ». Le second combine pour sa part avec habileté une situation d’Africain atteint dans sa chair par les échecs du présent, et le point de vue d’un écrivain tenté par le nomadisme - qui est le contraire de l’immobilisme des nantis et des repus du bonheur. Différents, mais complémentaires, ils ont en partage leur goût pour la littérature mondiale (Mabanckou enseigne la littérature afro-américaine à l’université du Michigan aux Etats-Unis, et Waberi est spécialiste des littératures anglophones), et leur souci commun est de ne pas s’enfermer dans une africanité réductrice à l’époque du « Tout-monde » et de la world literature.


Article publié le 14/03/2006 Dernière mise à jour le 14/03/2006 à 18:58 TU

Verre cassé, par Alain Mabanckou. Le Seuil, 202 pages, 17 euros.

Aux Etats-Unis d’Afrique, par Abdourahman A. Waberi. Ed. Jean-Claude Lattès, 234 pages, 15 euros.

 


Cet article a été publié initialement par MFI, l'agence de presse de RFI (plus d'informations)

Les liens

WEB

Le site du salon du livre de Paris
Du 17 au 22 mars 2006, le salon du livre de Paris met la francophonie à l'honneur.
Le site de Francofffonies
Le festival francophone en France se tient en 2006 et le site propose notamment la liste des multiples manifestations oragnisées dans ce cadre.

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(Photo: AFP)