Forum mondial de l'eau
Le prix de l’eau
(Photo : AFP)
RFI : Qu’attendez-vous de Mexico ?
Jean-Michel Severino : D’abord, des réunions pour comprendre l’état des réflexions dans la profession et échanger avec tous les acteurs – industriels, bailleurs de fonds, usagers, gouvernements étrangers. Ce qui est important pour nous, c’est d’arriver à dégager des consensus sur les problématiques de tarification. Qu’est-ce qu’il faut faire payer, quand, comment ? Qu’est-ce qui est juste et qu’est-ce qui ne l’est pas ? Parce que la tarification reste un des sujets sur lesquels la communauté internationale a le plus de divergences.
Nous n’avons pas une vision systématique de la question car il s’agit de réalités excessivement variables. Il y a des systèmes décentralisés de gestion de l’eau qui ne sont pas entre les mains des municipalités et dans lesquels des gens extrêmement pauvres contribuent financièrement. Ces systèmes deviennent soutenables aussi à cause de cela. Et puis, il y a des situations dans lesquelles ce n’est absolument pas possible.
RFI : Y a-t-il une règle unique pour la tarification ?
J-M S : Ne pas tarifer le premier mètre cube de consommation est une solution. Elle n’est pas forcément la seule. Les promoteurs de la gratuité ignorent simplement deux choses, la rareté de l'eau utilisable et la solidarité par les tarifs. Une autre alternative serait d’établir des quotas, faire des rationnements, mais cela a permis à des gouvernements de s’enrichir avec la corruption liée à la gestion des quotas. D’une manière ou d’une autre, le coût économique est très élevé.
En fait, ce n’est pas parce qu’on officialise un tarif que l’on dégrade le service de l’eau et que l’on n’abaisse pas le coût de l’eau pour les bénéficiaires. Mais de nombreux autres points sont au menu de Mexico, notamment la question des modes de répartition de la ressource entre ses différents usages, un sujet politique important.
RFI : Est-ce que les choses ont progressé depuis trois ans et le Forum de Kyoto ?
J-M S : Ma perception était trop optimiste. Le rapport Camdessus sur le financement de l’eau, qui était un énorme progrès et qui reste un cadre de référence, a été mal vu et assez rapidement biaisé. Au fond, nous n’avons pas véritablement trouvé de consensus. Et un des enjeux de Mexico est de le faire progresser.
RFI : Est-ce que la ressource est suffisante face à l’augmentation des populations et des besoins ?
J-M S : Si on parle de la ressource mondiale, on peut dire qu’il y a péril. Mais la situation est extrêmement variable selon les régions. En zone méditerranéenne, le péril est très grand. En Afrique, la situation est disparate. Certaines zones sont très arrosées, d’autres extrêmement sèches. On ne peut pas faire de moyenne. Mais partout, il y a des problèmes : du fait de la rareté ou de l’abondance. Il y a aussi des problèmes de gestion… Partout, l’eau a un coût de production. Et toute la question est de savoir comment on finance celui-ci.
Dans certains pays, il peut s’ajouter une prime de rareté qui oblige à surenchérir sur le prix pour tenir compte du fait qu’il n’y a tout simplement pas de ressource et que les alternatives – de la désalinisation à la construction de très grands ouvrages d’art – représentent des coût additionnels conséquents. Dans les zones pauvres où il n’y a pas de système d’adduction d’eau, et où il s’agit d’en introduire en tarifant cette eau, ce qu’on oublie souvent, c’est que ces mêmes pauvres boivent, et que cette eau, ils la payent excessivement cher : soit en l’achetant à des puisatiers, des revendeurs du marché informel, soit en temps de travail – parce qu’ils mettent des heures à la transporter, un coût énorme pour ces familles.
RFI : Que fait l’AFD en matière d’eau ?
J-M S : Quand on ajoute le financement à tout ce qui est production, la filière, la gestion des bassins versants, jusqu’à l’assainissement liquide, en passant bien sûr par le transport et la distribution, cet agenda de l'eau représente le quart de notre actif à l'étranger, de l'ordre de 150 à 200 millions d'euros. En Afrique, nous sommes vraiment présents sur toutes les dimensions de cet agenda : dans les parties agricoles, environnementales, dans les usages hydrauliques lourds – infrastructures des transports de l’eau, mécanismes de distribution –, que ce soit en financement des sociétés publiques, privées ou de formes très communautaires de distribution de l’eau.
Nous sommes également présents sur le plan de l’assainissement. L’eau est une priorité qui concerne tous les grands bailleurs de fonds et représente une partie importante de leurs financements. Ceci dit, on ne fait jamais assez car les besoins sont gigantesques et entrent en concurrence avec beaucoup d’autres. La question de la répartition de l’usage de l’eau est importante car il faut éviter les gaspillages.
RFI : Quelle solution pour l’Afrique ?
J-M S : Tarifier l’eau n’a rien à voir avec la gestion privée. Le partenariat privé-public est une bonne solution quand les régies publiques de l’eau sont dans un tel état de déliquescence, comme d’ailleurs toutes les entreprises publiques africaines, qu’on a intérêt à développer des alternatives de gestion privée. Une régie des eaux municipales est exactement dans la même situation devant la tarification qu’une entreprise privée. Il lui faut de l’argent pour payer les salariés, les investissements et assurer le maintien des installations. Les investisseurs privés ne viennent pas en Afrique en particulier parce que les conditions d’exploitation sont très difficiles. Progressivement, les mentalités évoluent, cela va très lentement. Nous avons à la fois des réussites comme au Gabon et en Côte d’Ivoire, et des échecs complets : c’est par exemple le cas au Mali sur la gestion privée des réseaux de grandes villes. Il y a un historique très contrasté.
par Propos recueillis par Marie Joannidis
Article publié le 15/03/2006 Dernière mise à jour le 15/03/2006 à 15:44 TU