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Biélorussie

Une dictature pas comme les autres

Depuis 1994, le président Loukachenko a instauré un régime de plus en plus autoritaire, mélant populisme et nostalgie soviétique.(Photo : A. Billette)
Depuis 1994, le président Loukachenko a instauré un régime de plus en plus autoritaire, mélant populisme et nostalgie soviétique.
(Photo : A. Billette)
Le président sortant Alexandre Loukachenko apparaît comme le grand favori de l’élection présidentielle qui se tiendra dimanche. Le scrutin se tiendra dans un contexte marqué par un régime autoritaire dans lequel la liberté d’expression est réduite et les opposants persécutés. Le président biélorusse détourne en effet à son profit la nostalgie de l’ancien régime soviétique, dont il se veut l’héritier. À Minsk, on dirait que le temps s’est arrêté. Les immenses avenues de cette capitale d’un million d’habitants, rasée durant la Seconde Guerre Mondiale et reconstruite dans le style pompeux qu’affectionnait l’Union soviétique, sont vides, les voitures rares, les passants pressés.

De notre envoyé spécial à Minsk

Les affiches publicitaires et les marques occidentales qui ont remplacé partout ailleurs en Europe de l’Est les slogans communistes, ne sont pas arrivées jusqu’ici, à l’exception de McDonald’s, qui dispose de cinq restaurants dans la capitale biélorusse.

« Le régime de Loukachenko, c’est la terreur policière, la répression, mais sans l’idéologie socialiste », résume un responsable de la Charte 97, un mouvement de défense des droits de l’Homme interdit par les autorités, comme quasiment toutes les organisations de la société civile. Officiellement, une nouvelle discipline a vu le jour, obligatoire dans les écoles, les lycées et les universités : « l’idéologie de l’État biélorusse », pot-pourri mêlant des références à Confucius et Lénine, et qui vise surtout à enseigner le respect absolu de l’autorité. Il y a, comme à l’époque soviétique, des « directeurs à l’idéologie » dans toutes les entreprises de plus de 300 employés.

La répression, qui frappe notamment tous les médias indépendants, s’est encore durcie avec l’introduction de nouveaux amendements au code pénal, le 1er janvier de cette année. Ils permettent de condamner à une peine de prison de six mois à deux ans « la divulgation de faux renseignements discréditant la République du Bélarus ou les autorités de l’État ». À la veille des élections, ces amendements font peser une menace supplémentaire sur les milieux démocratiques et bien peu de personnes osent désormais s’exprimer ouvertement. Depuis le début de la campagne électorale, plusieurs dirigeants de l’opposition ont été arrêtés.

Minsk rêve toujours d’une nouvelle fusion avec Moscou

Alexandre Grigoriévitch Loukachenko, ancien directeur de sovkhoze (ferme d’État) est arrivé au pouvoir en 1994, après plusieurs années d’instabilité politique qui ont suivi la proclamation de l’indépendance du pays, en 1991. Le nouveau maître de Minsk a instauré un régime de plus en plus autoritaire, mêlant populisme et nostalgie soviétique. Le régime Loukachenko ne s’appuie sur aucun parti politique et plusieurs formations fantoches sont représentées au Parlement, simple chambre d’enregistrement des décrets présidentiels : on y retrouve des « libéraux », amis du leader russe Jirinovski ou du Français Jean-Marie Le Pen, et des « communistes » violemment antisémites.

Une seule structure défend officiellement le régime, l’Union de la jeunesse biélorusse, rebaptisé « Loukamol », en référence au Komsomol de l’époque soviétique. Les lycéens et les étudiants sont pratiquement obligés de s’y inscrire et reçoivent en échange de menus cadeaux, comme des invitations en discothèque…

La Biélorussie s’est engagé en 1998 dans une union douanière avec la Russie, et le régime de Minsk rêve toujours d’une nouvelle fusion entre les deux pays. Cette perspective n’enchante pas le Kremlin, car Vladimir Poutine se méfie des ambitions grandiloquentes de Loukachenko, qui se rêve tout haut en nouveau maître d’une Union soviétique ressuscitée. Cependant, le régime biélorusse demeure un allié obligé de la Russie, qui ne veut pas voir l’Occident étendre son influence sur ses marches, après la perte de l’Ukraine et de la Géorgie, devenues hostiles à Moscou. Le Kremlin continue ainsi d’assurer la survie économique du régime biélorusse, en lui fournissant à prix d’ami des hydrocarbures. Cela permet à Loukachenko d’acheter un minimum de paix sociale.

« Chez nous, il n’y a qu’un seul oligarque »

La dictature biélorusse se veut en effet un modèle d’État social. Le niveau moyen des salaires dépassait 200 dollars en décembre 2005. Dans les « secteurs stratégiques », comme les mines ou l’industrie pétrolière, ils sont encore plus élevés. Salaires et pensions de retraite sont payés sans aucun retard : une performance plutôt exceptionnelle parmi les pays de l’ex-URSS !

Le « miracle économique » biélorusse mérite cependant quelques explications. Stanislav Bogdankevitch, ancien gouverneur de la Banque nationale, rallié à l’opposition, explique comment l’économie biélorusse ne repose que sur quelques piliers : le transit et le raffinage du pétrole russe, la métallurgie et la production d’engrais chimique. Une poignée d’entreprises assurent ainsi 50% du budget de l’État et du PIB du pays. Les infrastructures industrielles héritées de l’URSS n’ont pas été détruites, et le système peut fonctionner grâce aux tarifs très avantageux que la Russie concède pour le gaz et le pétrole. « En 2004, la Biélorussie a gagné 4 milliards de dollars grâce à ces cadeaux directs de Moscou. Le PIB du pays est de 22 milliards : ces deux chiffres indiquent l’ampleur de notre dépendance », explique l’économiste.

Certaines de ces entreprises « utiles » ont été « privatisées » mais, même dans ce cas, l’État reste souvent actionnaire à plus de 90% ! L’absence des « nouveaux riches » russes qui ont profité de la transition est une caractéristique de la Biélorussie : « chez nous, souligne Stanislav Bogdankievitch, il n’y a qu’un seul oligarque : notre président, Alexandre Loukachenko. Il a privatisé à son profit tout le pays et l’État lui-même. »

« Depuis un an, le régime a introduit la précarité généralisée »

Les syndicats indépendants sont soumis à une répression permanente du régime, qui vaut à la Biélorussie d’être régulièrement dénoncée dans les rapports du Bureau international du travail. « Depuis un an, le régime a introduit la précarité généralisée : tous les employés doivent signer des contrats temporaires d’un an ou deux. Première conséquence : les militants syndicalistes indépendants risquent de ne pas voir leur contrat renouvelé », explique Aliaksandr Yarashouk, président du Congrès des syndicats indépendants.

Pour l’immense masse des habitants, la vie n’est guère aisée, d’autant que le pays connaît une forte inflation qui ronge le pouvoir d’achat, alors que le cours du rouble biélorusse est maintenu de manière artificielle. À Grodno, les petits trafics frontaliers sont légions : les produits de base sont nettement moins chers à Bialystok, du côté de l’Union européenne ! De la gare routière, des navettes proposent pour une poignée de roubles le trajet aller-retour jusqu’au premier supermarché Auchan de Pologne…


par Jean-Arnault  Dérens

Article publié le 16/03/2006 Dernière mise à jour le 16/03/2006 à 15:20 TU

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Annabelle Arki

Spécialiste de la Biélorussie à Reporters sans Frontières

«Il y a une volonté évidente de la part des autorités d’étouffer toutes les voix dissidentes dans le pays et de contrôler tous les médias.»

[23/02/2006]