Excision
Quand des femmes brisent le tabou
C’est une pionnière. L’universitaire sénégalaise Awa Thiam, dans La parole aux Négresses (Denoël, 1978), fut la première à parler ouvertement de l’excision et de l’infibulation* en Afrique de l’Ouest. Travail de recherche qui donnait la parole aux femmes sur ce sujet terriblement tabou, le livre avait suscité de nombreuses polémiques sur le continent. Ensuite, des écrivains africains, comme l’Ivoirienne Fatou Keita (Rebelle, 1998) ou le grand romancier somalien Nurudin Farah (Sardines, traduit en français en 1995, paru en poche aux éditions 10/18 en 2002) ont évoqué ces pratiques par le biais de la fiction.
C’est aussi à la fin des années 90 que les Africaines excisées décident de se raconter, investissant le champ de l’autobiographie. Fleur de désert : du désert de Somalie à l’univers des tops de Waris Dirie (Albin Michel, 1998) est un succès public et médiatique. Suivant les traces de la mannequin guinéenne Kesso Barry qui décrivait dans Kesso, princesse peulhe (Seghers, 1988), ses traumatismes liés à l’excision, le top model international Waris Dirie fait part de son destin peu commun. Née dans la campagne somalienne, elle est excisée à 5 ans. « J’ai eu une enfance merveilleuse, sauf cet atroce souvenir qui me collera à la peau pour le reste de ma vie », dit-elle. A 13 ans, elle fuit un mariage forcé avec un vieil homme qui l’a échangée contre cinq chameaux, d’abord à Mogadiscio puis à Londres. Seule, analphabète, elle est repérée par un photographe alors qu’elle est serveuse. En quelques années, elle devient un top model international posant et défilant pour les plus grands créateurs. En 1997, l’ex-James Bong girl a été nommée ambassadrice de bonne volonté de l’Onu, chargée des questions des mutilations sexuelles.
Plume sans concession
Dans son livre, Waris Dirie restait extrêmement pudique, ne révélant pas, par exemple, le type d’excision dont elle avait été victime. Les femmes qui ont pris la plume plus récemment choisissent de tout dire, de façon parfois très crue. C’est le cas de Nura Abdi. « C’était comme si on me dépeçait vivante », écrit-elle dans Larmes de sable (L’Archipel, 2004). Elle y raconte sans détour que c’est à 4 ans que, par mesure de « purification », elle passe entre les mains de l’exciseuse. Elevée dans cette tradition, il lui faudra arriver en Allemagne pour prendre conscience du traumatisme qu’elle a refoulé jusqu’ici. Né à Mogadiscio (Somalie) en 1974, elle est réfugiée politique à Francfort, en Allemagne, depuis 1994. Elle se bat aujourd’hui pour venir en aide aux femmes victimes de mutilations sexuelles et a écrit ce livre pour faire connaître son expérience.
« Tant de femmes dans le monde sont contraintes de vivre avec cette horreur. Cette horreur inscrite dans leur chair et contre laquelle elles sont impuissantes. Certaines ne peuvent même pas en parler parce qu’elles en ont honte. Je veux leur rappeler qu’il n’y a pas de honte à révéler ce que l’on a vécu sans l’avoir voulu. Il fallait donc que j’élève la voix, au nom de celles qui ont subi l’excision et de celles qui ont triomphé », explique-t-elle.
Livre de douleur et de rage
Khady Koïta, sublime Sénégalaise de 46 ans, a été excisée à 7 ans. Elle parle dans Khady, Mutilée (Oh !Editions, 2005) de la « douleur inexplicable, qui ne ressemble à aucune autre », de « l’intime blessure » qui « ne cicatrisera jamais » et des « hurlements » qu’elle a poussés et qui « résonnent encore » à ses oreilles.
Mariée de force à 13 ans à un homme plus âgé qui lui fera trois enfants, elle met au monde son premier bébé à 16 ans. A 18, son mari lui impose une coépouse. « En grandissant, j’ai commencé à comprendre que mon destin de femme soninkée partait de là, de cette coupure intime qui me retranchait pour toujours d’une sexualité normale. » En effet, à cause de son excision, les relations sexuelles avec son mari sont « un supplice », chaque accouchement une épreuve. « C’est un livre de cri, de colère, de douleur, de rage », indique-t-elle. Mais « c’est aussi un livre d’espoir ». Khady symbolise toute l’ambiguïté du rôle des femmes dans la transmission de ces pratiques. Blessées dans leurs chairs, elles n’en perpétuent pas moins la tradition. Khady elle-même, avant de militer contre l’excision, a fait « salinder » (comme on dit en soninké) ses petites filles. Aujourd’hui divorcée, elle est interprète à Interservice Migrants et au Groupe pour l’abolition des mutilations sexuelles (GAMS). Elle est aussi présidente du réseau européen pour la prévention des mutilations génitales féminines (EuroNet-FGM) depuis 2002.
Une loi contre l’excision
De son côté, la jeune députée néerlandaise d’origine somalienne, Ayaan Hirsi Ali, compile dans Insoumise (Robert Laffont, 2005), les textes qui l’ont rendue célèbre dans son pays. Et qui ont créé la polémique. Depuis des années, elle prend des positions tranchées dans le débat sur l’islam. Musulmane devenue athée, elle fustige crimes d’honneur, persécution des homosexuels, violence à l’égard des femmes musulmanes, mariages transformés en viols… allant jusqu’à traiter Mahomet de « tyran » et de « pervers ». Elle livre aussi quelques attaques en règle contre les mutilations sexuelles féminines. Née à Mogadiscio en 1969, elle a été excisée à 5 ans. Après un long exil familial, notamment au Kenya, elle profite, à 22 ans, d’un passage en Allemagne pour échapper à un mariage forcé et elle fuit aux Pays-Bas, où elle demande l’asile.
D’abord membre du parti travailliste, elle rejoint le parti libéral en 2002. Elue au Parlement en 2003, elle réussit à faire adopter une loi (qui porte son nom) réprimant sévèrement la pratique de l’excision dans le pays. Le 2 novembre 2004, le cinéaste Theo Van Gogh, avec lequel elle avait réalisé le film Submission, est assassiné dans une rue d'Amsterdam. Sur son corps, on retrouve une lettre menaçant de mort la jeune femme. Depuis, elle est en permanence protégée par la police.
par Olivia Marsaud
Article publié le 22/03/2006 Dernière mise à jour le 22/03/2006 à 16:55 TU