Economie
Le Qatar se place sur la carte mondiale de l’énergie
(Image: Energy City Qatar)
De notre correspondant au Qatar
C’est encore l’un de ces méga-projets dont les pays du Golfe raffolent. Une ville nouvelle entièrement dédiée à un secteur d’activité et destinée à propulser le pays hôte sur la scène régionale et internationale. Dubaï a sa Cité des Médias, Bahrein sa Cité Financière, le Qatar sa Cité de l’Education et, bientôt, sa Cité de l’Energie, lancée en grande pompe la semaine dernière et présentée comme le futur centre névralgique du Moyen-Orient.
Le projet est aussi ambitieux qu’innovant. Energy City intègrera toutes les activités liées à l’exploitation pétrolière et gazière, de la production à l’exploration, de la transformation au transport. Sur 2 km2, elle accueillera les bureaux des sociétés du secteur, ainsi qu’une myriade de services : laboratoires, banques, assurance, centre de formations, hôtels... Montant global du chantier : 2,6 milliards de dollars supportés par Gulf Energy, un consortium de quatre sociétés qui renforce le caractère régional du projet avec Gulf Finance House de Bahrein, Abou Dhabi Inv. des Emirats arabes unis, Koweït Inv. Co. Et, pour le Qatar, Diar Real Estate. Ce groupe privé à capitaux publics développe le nouveau quartier de Losail, au Nord de Doha, où sera implantée la Cité de l’Energie et il est présidé par le ministre qatarien des Affaires étrangères.
Bourse des matières énergétiques
Plus que le montage financier et la caution politique des dirigeants –pas moins de quatre ministres assistaient au lancement-, la crédibilité de ce pôle d’activités repose avant tout sur le Qatar lui-même. En plus de sa production pétrolière qui dépassera 800 000 barils/jour à la fin de l’année, l’émirat possède les troisièmes réserves mondiales de gaz avec le gisement de Northfield, à 70 km de la côte nord-est : 900 milliards de mètres cubes, plus d’un siècle d’exploitation.
Depuis 10 ans, les investissements y ont dépassé les 150 milliards de dollars. Toutes les grandes compagnies internationales sont là, aux côtés des sociétés nationales (Qatar Petroleum, Qatar Gaz, Ras Gas) pour se partager le gâteau en développant les filières de transformation. En 2010, le pays sera le premier producteur mondial de gaz naturel liquéfié, fournisseur des Etats-Unis, de l’Europe (5 pays dont la France à partir de 2009) et de l’Asie (Japon, Corée, Inde). En 2015, il sera le premier producteur du Gas to Liquid que l’on retrouve dans le diesel, le naphte et les lubrifiants… Il aura aussi renforcé sa production de polyéthylène (plastique) et se sera attaqué aux carburants propres.
Avec de tels atouts, la Cité de l’Energie n’est donc pas un défi démesuré. Pari plus risqué en revanche, Gulf Energy ambitionne de centraliser aussi les transactions, avec la création d’une nouvelle Bourse de l’énergie. « Le Moyen-Orient, c’est 60% des réserves prouvées de pétrole, 40% de celles de gaz et pourtant il n’y a pas de plate-forme d’échange », constate Esam Janabi, le président du consortium.
Rivalités régionales
Aujourd’hui, le négoce se déroule en effet à New York, Londres et Singapour. « Il y a un vide à combler, un trait-d’union entre l’Asie et l’Occident à mettre en place », reconnaît Saïd Nahé, spécialiste du secteur. Le Qatar s’y verrait bien, avec l’International Mercantile Exchange de la Cité de l’Energie, mais Dubaï est aussi sur les rangs. L’émirat voisin s’est allié à New York pour créer le Dubaï Mercantile Exchange. Pour Saïd Nahé, « il n’y a pas de place pour les deux. Le premier à réunir les conditions d’un marché crédible s’imposera, il faut que les grandes compagnies internationales soient membres de cette Bourse pour qu’elle fonctionne ».
Adossée à une Cité de l’Energie et à un développement effréné du secteur gazier, la Bourse du Qatar pourrait disposer d’une légère avance. L’Américain Chevron Texaco lui a déjà apporté son soutien, Microsoft sa caution technologique. Sa régulation a été confiée au Qatar Financial Center, dirigé par des transfuges britanniques de Dubaï. PFC Energy et Heco, filiale du groupe Amerada Hess spécialisé dans la vente de produits dérivés, joueront enfin les consultants.
Une inconnue demeure, l’attitude des compagnies pétrolières du Golfe, en particulier la saoudienne Aramco et ses filiales. Les relations entre le Qatar et l’Arabie Saoudite sont tendues depuis 10 ans et Riyad n’apprécie pas vraiment les initiatives d’intégration régionale de son petit voisin. Si elle n’a pu empêcher l’installation d’un gazoduc vers les Emirats arabes unis (projet Dolphin), elle a récemment fait capoter deux projets similaires vers Bahreïn et le Koweït, en refusant le passage dans ses eaux territoriales.
par Aurélien Colly
Article publié le 26/03/2006 Dernière mise à jour le 26/03/2006 à 12:22 TU