Inde
Les filles manquent à l’appel
(Source : DR)
Dans l’Etat de l’Haryana, le docteur Anil Sabani et son assistant Kartar Singh ont été condamnés à deux ans de prison pour avoir révélé le sexe d’un fœtus à une femme enceinte, ce qui est interdit par la loi indienne. C’est la première condamnation de ce type en Inde. Les deux professionnels ont été pris en flagrant délit : ils ont pratiqué une échographie et révélé le sexe de l’enfant à la future mère. Des preuves vidéo et audio ont été enregistrées en 2001 et montrent le Dr Sabani en train de dire à la patiente qu’elle est enceinte d’une fille et qu’il va « s’en occuper »… La femme en question avait accepté de jouer le rôle du « leurre » et ce genre de piège est de plus en plus pratiqué par les autorités.
Le pays compte un grand nombre de cliniques qui toutes ne respectent pas la loi de 1994. Celle-ci interdit de pratiquer des échographies uniquement pour connaître le sexe du futur enfant et rend illégal l’interruption médicale de grossesse basée sur le sexe. Les échographies ne doivent servir qu’à vérifier la santé du fœtus et détecter d’éventuelles anomalies, afin d’éviter les avortements discriminatoires qui sont légions en Inde. Les ONG notent que ces avortements sont régulièrement révélés sans pour autant que les médecins qui les pratiquent soient inquiétés, à cause de la corruption de certains officiels et de la lenteur des procédures judiciaires. Certains médecins contournent aussi la loi en ne déclarant pas les échographies (ce qui est aussi illégal mais très dur à prouver). « Ces condamnations sont historiques », indique Vinay Agarwal, président de l’Association médicale indienne. « Nous devons affirmer que c’est un mal social. Les gens doivent être fiers d’avoir une fille ».
5 millions d’avortements par an
En Inde, la préférence traditionnelle va aux garçons. Depuis les années 70 et 80, et encore plus depuis que les échographies se sont répandues dans le pays, l’utilisation de l’avortement sélectif au détriment des filles est devenue une pratique courante. A tel point que certains parlent de véritable « fœticide ». Une étude, publiée en janvier dernier par le journal médical The Lancet, comptabilise 10 millions de fillettes « manquantes » durant les 20 dernières années. Manquantes, c’est à dire avortées. 500 000 filles « manqueraient » chaque année en Inde. Hindustan Times rapporte qu’au moins 5 millions d’avortements de fœtus féminins y sont pratiqués chaque année. Le chiffre officiel est de 2 millions. Dans ce pays de 1,07 milliard d’habitants, le ratio national hommes/femmes est tombé de 972 femmes pour 1 000 hommes en 1901 à 933 femmes pour 1 000 hommes en 2001 (chiffres du dernier recensement).
Les deux principales causes du déséquilibre du ratio sont l’avortement des fœtus féminins et l’infanticide des bébés filles. La sélection pré-natale et l’avortement ont atteint des proportions inquiétantes dans certains Etats, à cause de la banalisation des échographies, de plus en plus accessibles et bon marché (moins de 80 roupies, soit moins de 2 dollars). La BBC note que dans certaines régions, les équipements en ultra-sons mobiles sont plus accessibles qu’un bon approvisionnement en eau potable… Les Etats les plus touchés par les interruptions discriminatoires de grossesse (Haryana, Punjab, Delhi, Gujarat, Maharashtra et Chandigarh) ont un ratio qui tourne autour de 800 femmes pour 1 000 hommes.
« Elever une fille c’est comme arroser le jardin de son voisin »
Si la détection du sexe des fœtus est devenue une source de rendement juteux pour les médecins et les fabricants d’équipement médical, cette pratique trouve surtout sa source dans des facteurs socio-économiques anciens. La société indienne est depuis longtemps dominée par les hommes. Dans les campagnes, le garçon est considéré comme une force de travail. Il hérite du patronyme, des biens et chez, les Hindous (communauté religieuse qui compte le ratio hommes/femmes le plus faible), c’est lui qui doit prendre en charge le rituel funéraire du père. Les filles sont considérées comme inférieures et comme une charge économique puisqu’il faudra payer la dot. Dans l’Etat du Punjab, on peut encore trouver des inscriptions sur les murs comme « Dépensez 500 roupies, sauvez-en 500 000 » : dépensez 500 pour une échographie et économisez 500 000 de dot… « Elever une fille c’est comme arroser le jardin de son voisin », dit d’ailleurs un proverbe indien. Hindustan Times précise que la pratique ne touche pas que les familles pauvres et rurales mais s’est largement répandue dans les classes aisées, cultivées et urbaines.
Les chiffres du recensement de 2001 ont alerté les autorités qui, depuis, tentent de réagir. Car le manque de filles a déjà conduit dans certaines régions à un manque cruel de femmes à marier… Les enquêtes dans les cliniques, comme celle qui a menée à la condamnation mercredi du médecin et de son assistant, ont été multipliées. Dans l’Etat du Punjab, les femmes enceintes qui acceptent de jouer les leurres, gagnent 5 000 roupies. Depuis 2002, 166 licences de cliniques ont été confisquées ou suspendues dans le pays. Le 10 mars dernier, l’Etat d’Andhra Pradesh (qui enregistre 943 femmes pour 1 000 hommes) a annoncé qu’il allait allouer 2 300 dollars aux familles qui auraient une fille unique. La somme sera donnée à l’enfant lorsqu’elle aura atteint l’âge de 20 ans. L’Etat a aussi lancé une campagne de sensibilisation avec, sur les affiches, la jeune joueuse de tennis surdouée Sania Mirza. Le slogan : « Votre fille pourrait être le prochain champion ».par Olivia Marsaud
Article publié le 29/03/2006 Dernière mise à jour le 29/03/2006 à 18:48 TU