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France

CPE : le pari Sarkozy

Nicolas Sarkozy arrive à Matignon. Le ministre de l'Intérieur est le nouveau négociateur de la sortie de crise du CPE.(Photo : AFP)
Nicolas Sarkozy arrive à Matignon. Le ministre de l'Intérieur est le nouveau négociateur de la sortie de crise du CPE.
(Photo : AFP)
Depuis l’intervention télévisée du président Chirac, la donne politique a changé. Le Premier ministre n’est plus à la manœuvre pour décider de l’avenir du contrat première embauche (CPE). Dominique de Villepin a cédé l’initiative aux présidents des groupes UMP à l’Assemblée nationale et au Sénat, Bernard Accoyer et Josselin de Rohan, qui sont chargés de préparer le nouveau projet de loi demandé par le chef de l’Etat pour modifier le CPE. Cette nouvelle configuration place de fait Nicolas Sarkozy, le président de l’UMP, en position de reprendre la main sur ce dossier sensible. Avec les avantages et les inconvénients liés à la gestion d’une crise révélatrice d’un malaise social profond.

Et revoilà Nicolas Sarkozy en première ligne. Le numéro deux du gouvernement semble désormais être devenu, par la grâce du contrat première embauche, «le Premier ministre réel». C’est en tout cas comme cela que le nomme désormais le chef du Parti socialiste, François Hollande. En quelques jours, l’homme aux deux casquettes, ministre de l’Intérieur et président du parti majoritaire (Union pour un mouvement populaire), en a sans complexe accepté une troisième, celle de négociateur de la sortie de crise du CPE.

Dominique de Villepin a beau déclarer qu’il ne se sent pas désavoué, il est sur la touche concernant le dossier dont il avait fait le symbole de sa fermeté et de sa capacité à reformer la France : la mise en œuvre du contrat première embauche. Bien que, pour le moment, le CPE ne soit officiellement ni retiré, ni suspendu (comme l’avait réclamé Villepin), il est sur le tremplin idéal pour être remisé au placard des tentatives avortées. Car la méthode Sarkozy semble être à des années lumière de celle du chef du gouvernement. Depuis l’allocution télévisée de Jacques Chirac qui a engagé le changement de stratégie, le président de l’UMP a donné des indications claires de sa volonté d’ouvrir sans condition le dialogue avec les partenaires sociaux et les jeunes. Il a, dès samedi, décroché son téléphone pour le faire savoir aux principaux concernés. Et lundi, le porte-parole de l’UMP, Luc Chatel, a précisé pour ceux qui n’auraient pas bien compris : «La dialogue sera ouvert sans tabous et sans préjugés». Autrement dit on peut discuter de tout, même de l’abrogation de la loi instituant le CPE.

Un pas vers le dialogue ?

Les opposants au contrat première embauche ont d’ailleurs entendu le message. Le président du syndicat étudiant Unef, Bruno Julliard, jusqu’ici très déterminé à refuser le compromis avec le gouvernement, a pour la première fois laissé entrevoir la possibilité d’une négociation. Il a déclaré qu’il était probable «qu’un dialogue s’établisse». Bien sûr, pour le moment, les revendications restent identiques. L’intersyndicale ne veut pas entendre parler d’aménagements du contrat première embauche, elle veut sa disparition. Et même, semble-t-il, celle de son grand frère le CNE, contrat nouvelle embauche, entré en application en août 2005 et qui prévoit aussi, pour les entreprises de moins de 20 salariés, une période d’essai de deux ans avec licenciement possible sans justification. C’est en tout cas dans cet esprit que déclare être le secrétaire général du syndicat CGT, Bernard Thibault, qui a manifesté son refus de venir négocier avec les parlementaires qui seront chargés de préparer la nouvelle loi, si l’abrogation n’est pas au menu des discussions.

Si la donne a changé, il n’est pas encore question de renoncer au rapport de forces. Les syndicats de salariés, d’étudiants et de lycéens savent qu’ils sont actuellement en position avantageuse. Et ils espèrent qu’après le 4 avril, cinquième journée de mobilisation contre le CPE en dix semaines, ils auront encore plus d’arguments pour amener les discussions avec les parlementaires sur le terrain qu’ils souhaitent. C’est pour cela qu’ils appellent les salariés et les jeunes à descendre aussi massivement dans la rue que le 28 mars dernier, date à laquelle entre 1 et 3 millions de personnes avaient manifesté.

L’enjeu du 4 avril

Nicolas Sarkozy sait bien qu’il faut attendre le déroulement de cette manifestation avant d’entamer le prochain round. Mais il espère certainement que ces défilés seront les derniers sur le CPE et qu’on entrera ensuite dans la phase du dialogue. Les lettres d’invitation aux syndicats de salariés, d’étudiants et de lycéens doivent d’ailleurs être envoyées aux intéressés le jour de la grève. La composition du groupe parlementaire UMP chargé de préparer la nouvelle loi sera aussi décidée ce 4 avril. Et l’intersyndicale anti-CPE doit se réunir pour faire le bilan de la journée d’action le lendemain, 5 avril. C’est à ce moment-là que l’on pourra vraisemblablement avoir une idée plus claire de la suite des événements. Est-ce que les protestataires décideront de poursuivre l’affrontement par la rue interposée ? Ou bien, accepteront-ils d’entrer, tout de suite ou un peu plus tard, dans le processus de sortie de crise proposé par Jacques Chirac et dirigé par Nicolas Sarkozy ?

De la réponse à ces questions dépendra en grande partie le bénéfice politique que le président de l’UMP pourra retirer de cet épisode. Nicolas Sarkozy a, certes, réussi à s’imposer comme un recours dans le dossier du CPE, mais il s’agit tout de même d’un pari risqué. S’il parvient à calmer le jeu rapidement en trouvant avec les partenaires sociaux des solutions pour lutter contre le chômage des jeunes, il aura marqué des points pour la prochaine échéance électorale. S’il ne dénoue pas rapidement la situation, il peut aussi perdre gros et traîner un boulet que la gauche (voire ses camarades de la droite parlementaire) ne manqueront pas d’utiliser le moment venu.


par Valérie  Gas

Article publié le 03/04/2006 Dernière mise à jour le 03/04/2006 à 15:51 TU

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Dominique Rousseau

Professeur de droit constitutionnel à la faculté de Montpellier

«La situation est très grave. Dans l'affaire du CPE, l'Etat de droit, la Constitution ne sont pas respectés.»

[03/04/2006]