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France

Le CPE rouvre le débat sur les institutions

La Ve République a-t-elle fait son temps ?(Photo : La Documentation française)
La Ve République a-t-elle fait son temps ?
(Photo : La Documentation française)
La crise du contrat première embauche (CPE) a relancé le débat sur l’obsolescence des institutions de la Ve République. Comme après la dissolution de l'Assemblée nationale en 1997 ou le «non» au référendum sur la Constitution européenne en 2005, les questions du bon fonctionnement de l’Etat et de l’équilibre des pouvoirs sont revenues au premier plan du débat politique. Avec en toile de fond, les ambitions des uns et des autres pour les prochaines échéances électorales.

Jacques Chirac ne l’a sûrement pas voulu. Mais en décidant de promulguer la loi sur l’égalité des chances (qui contient le CPE), tout en demandant qu’elle ne soit pas appliquée, il a bel et bien une nouvelle fois tendu la perche aux pourfendeurs de la Ve République. Comment un chef de l’Etat peut-il argumenter du nécessaire respect des institutions pour justifier sa décision de promulguer et appeler, en même temps, à ne pas respecter la nouvelle loi ? Mais surtout dessaisir le Premier ministre de la gestion d’un dossier politique en donnant le pouvoir d’initiative aux parlementaires du parti majoritaire (en l’occurrence l’UMP) ? N’y a-t-il pas là une ambiguïté, pour ne pas dire une contradiction, de la part de celui qui est le garant des institutions ? Cela ne contribue-t-il pas aussi à donner prise à ceux qui se demandent qui dirige la France ?

C’est en tout cas l’opinion du président de l’UDF, le parti centriste, François Bayrou, qui a jugé sévèrement cette manière de procéder de la part d’un président qui s’est lui-même «zappé» et en a tiré une conclusion sans appel : «C’est la fin de la Ve République que nous avons en direct sous nos yeux». Ajoutant : «On est entré dans un autre monde qui est marqué par la déliquescence des institutions». Le constat est sévère mais le débat n’est pas nouveau. Un certain nombre de soubresauts de la vie politique ont régulièrement amené, depuis quelques années, les spécialistes à s’interroger sur la capacité de la Constitution de 1958 à permettre un fonctionnement efficace du système politique de la France du troisième millénaire.

Institutions et intérêts personnels

Les épisodes de cohabitation entre un président d’un bord et un Premier ministre du bord opposé soutenu par la majorité parlementaire -un cas de figure qui s’est produit avec François Mitterrand puis avec Jacques Chirac- ont, en effet, provoqué un fonctionnement conflictuel des deux têtes de l’exécutif et ont amené à s’interroger la pertinence du système institutionnel. Il ne s’agissait d’ailleurs pas de savoir s’il y avait, ou non, respect de Constitution (c’était le cas) mais plutôt si l’esprit de la loi fondamentale n’était pas trahi ou perverti par les intérêts personnels. Du coup, l’hypothèse d’un réajustement des institutions pour éviter de telles situations a émergé. Surtout, après la dissolution de l’Assemblée nationale par Jacques Chirac, en 1997, où c’est le président lui-même qui a été à l’origine du problème en bouleversant le calendrier électoral.

Le référendum sur la Constitution européenne auquel les Français ont répondu «non», en mai 2005, a représenté un autre épisode chaotique. Le désaveu du peuple aurait dû, selon certains, amener le président de la République à en tirer une conclusion immédiate : démissionner de ses fonctions. Tel le général de Gaulle, père fondateur de la Ve République, en son temps. Cela n’a pas été le cas. Jacques Chirac affaibli et désavoué est resté au pouvoir, remplaçant simplement un Premier ministre usé (Jean-Pierre Raffarin), par un autre plus gaillard (Dominique de Villepin). Et la polémique sur le rôle de simple fusible du chef du gouvernement a resurgi. La décision de Jacques Chirac de ne pas appeler à ce moment-là Nicolas Sarkozy, le dirigeant du parti majoritaire, l’UMP, à former une nouvelle équipe a dans ce contexte posé une autre question : de quelle marge de manœuvre allait disposer Dominique de Villepin face au président de l’UMP, d’autant plus que celui-ci avait réussi à s’imposer comme numéro deux dans son équipe ?

La gestion de l’affaire du CPE par le Premier ministre, qui a utilisé l’article 49.3 de la Constitution pour faire passer la loi sans débat parlementaire, et par le président de la République, qui a demandé aux députés et sénateurs UMP de préparer une deuxième loi sur les points litigieux du contrat, a représenté une nouvelle étape du débat institutionnel. Elle a placé l’attention sur le problème des pouvoirs du Premier ministre mais aussi du Parlement face au président de la République. En dessaisissant Villepin d’un dossier clef, Chirac n’en a-t-il pas fait un homme de paille ? En faisant appel aux parlementaires pour sortir de la crise, le président n’a-t-il pas aussi réalisé un retour vers le régime des partis version IVe République ? C’est ce que certains députés souverainistes de l’UMP, comme Nicolas Dupont-Aignan et Lionnel Luca, ont en tout cas affirmé immédiatement. Ne s’est-il pas lui-même fragilisé en permettant au chef de l’UMP, qui est en plus son principal concurrent politique, de s’immiscer dans une chasse gardée gouvernementale, à savoir la négociation avec les partenaires sociaux ? Le CPE est-il donc dans ce contexte le révélateur d’une véritable crise de régime ?

A quand la VIe République ?

C’est ce que pensent certains socialistes. Et notamment Arnaud Montebourg, l’un des leaders du courant NPS (Nouveau Parti socialiste), qui prône depuis un certain temps le passage à une VIe République, garante d’un renouveau démocratique. Pour les défenseurs de cette réforme institutionnelle, il faut s’orienter vers un régime où la direction de l’exécutif reviendrait à un Premier ministre à la Britannique, détenteur de tous les pouvoirs, et où le poids du Parlement serait renforcé. Le président serait toujours élu au suffrage universel mais n’aurait plus de prérogatives. Il s’agirait presque d’un poste honorifique.

Ce n’est pas la seule option. D’autres hommes politiques préconisent, au contraire, le renforcement des pouvoirs du président, de manière à le rendre pleinement et directement responsable de la politique gouvernementale. Et non plus caché derrière un Premier ministre fusible. Nicolas Sarkozy se situe plutôt dans cette mouvance. Il ne revendique pas l’enterrement de la Ve République mais un certain nombre d’aménagements pour rendre le fonctionnement des institutions plus efficace. Pour le président de l’UMP, le chef de l’Etat devrait «présenter lui-même sa politique devant le Parlement», devenu plus fort notamment grâce à un usage du 49.3 «limité, voire supprimé». Nicolas Sarkozy suggère aussi qu’une «loi organique oblige le gouvernement à demander aux partenaires sociaux s’ils souhaitent négocier avant toute intervention d’un texte en matière de droit du travail ou de protection sociale».

Qu’elles soient opportunistes ou pas, ces propositions montrent que le débat institutionnel fait partie des enjeux politiques du moment et qu’il risque de s’inviter lors des prochaines campagnes électorales.


par Valérie  Gas

Article publié le 07/04/2006 Dernière mise à jour le 07/04/2006 à 17:00 TU

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Dossier spécial sur la constitution européenne