Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

France

A qui profite la crise du CPE ?

De gauche à droite : Bruno Julliard (Unef), Caroline Caron (FIDL) et Karl Stoeckel (UNL), qui ont mené le mouvement de contestation des étudiants et lycéens.(Photo : AFP)
De gauche à droite : Bruno Julliard (Unef), Caroline Caron (FIDL) et Karl Stoeckel (UNL), qui ont mené le mouvement de contestation des étudiants et lycéens.
(Photo : AFP)
La crise du contrat première embauche (CPE) a fait des heureux. Les étudiants et les lycéens ont prouvé une nouvelle fois qu’on ne pouvait pas gouverner contre la jeunesse. Les confédérations syndicales ont été revigorées par une union retrouvée. Les partis de gauche ont vécu les ennuis du gouvernement comme une aubaine. Et Nicolas Sarkozy a réussi à se sortir du guêpier de la solidarité gouvernementale en marquant sa différence.

Il faut toujours des perdants et des gagnants. L’affrontement autour du contrat première embauche qui a perturbé la France pendant douze semaines n’aura pas dérogé à cette règle. Face au Premier ministre décrédibilisé par son renoncement, les meneurs de la fronde sortent rassérénés d’un combat mené sans faillir jusqu’à la victoire. Ce sont d’abord les jeunes qui peuvent se montrer satisfaits. Car ils ont incontestablement été le moteur du mouvement. Leur mobilisation a joué un rôle déterminant à la fois pour entraîner les syndicats de salariés, faire basculer l’opinion en faveur de leur combat et pousser le gouvernement dans ses derniers retranchements. Sans les jeunes dans la rue et les blocages dans les universités et les lycées, le mouvement anti-CPE n’aurait pas eu le même impact. Avec les jeunes aussi massivement contre lui, le CPE n’avait pas d’avenir.

Cette dynamique qui a permis une mobilisation croissante dans les établissements secondaires et universitaires semble du coup être la plus difficile à faire retomber après l’annonce de la disparition du CPE intervenue le 10 avril. Satisfaites de leur victoire, les organisations étudiantes et lycéennes n’en ont pas pour autant tiré la conclusion immédiate que le combat était fini. Elles ont maintenu leur journée d’action du 11 avril, prévue depuis une semaine, et ont appelé à rester mobilisé jusqu’au vote de la loi qui remplace le contrat première embauche par un nouveau dispositif -ce qui pourrait intervenir d’ici quelques jours. Des actions coup de poing de blocage des voies de circulation ont encore eu lieu dans plusieurs villes. Malgré tout, la participation a déjà fléchi.

Après le CPE, les examens

Premiers vainqueurs, les jeunes sont aussi ceux qui risquent de payer le plus cher leur mobilisation. Après plusieurs semaines d’interruption des cours, le retard accumulé est important et sera difficile à rattraper avant les examens de juin. Il faudra donc que les étudiants trouvent maintenant les aménagements de calendrier nécessaires avec les présidents de leurs universités. Les prétendants au baccalauréat devront, pour leur part, mettre les bouchées doubles et peut-être compter sur la clémence des jurys, car le ministre de l’Education nationale a annoncé que les sujets étaient déjà en boite et qu’ils porteraient sur l’ensemble du programme.

Derrière les jeunes, les syndicats de salariés peuvent eux aussi se frotter les mains. Le CPE leur a offert l’occasion de renouer avec l’unité mise à mal par les derniers combats sociaux sur les retraites ou la sécurité sociale, où ils n’avaient pas réussi à faire front commun. Les cinq grandes confédérations (CGT, CFDT, FO, CFTC, CFE-CGC) sont restées solidaires non seulement entre elles, mais aussi avec les organisations étudiantes et lycéennes membres de l’intersyndicale anti-CPE. Cette attitude a permis de faire plier le gouvernement en réussissant à envoyer deux fois de suite dans la rue de 1 à 3 millions de personnes, mais elle a aussi contribué à recrédibiliser l’action des syndicats. Victorieux, ceux-ci entendent d’ailleurs profiter de l’effet CPE pour mener d’autres combats. La CGT a notamment commencé à mettre sur la table le problème du contrat nouvelle embauche (CNE), le grand frère du CPE (période d’essai de 2 ans, non justification du licenciement) mis en œuvre en août 2005 et réservé aux entreprises de moins de 20 salariés. Les autres confédérations sont pour le moment plus prudentes, mais n’excluent pas néanmoins de donner des suites au mouvement anti-CPE. Reste à savoir quand et comment.

La gauche unie jusqu’à quand ?

Les partis politiques de gauche ont aussi tiré parti du mouvement de protestation contre le CPE qui a affaibli le gouvernement et la majorité au sens large. Le Parti socialiste, le Parti communiste, les Verts, la Ligue communiste révolutionnaire… ont unanimement dénoncé le contrat première embauche et ont soutenu les appels à la grève et à la manifestation. Cette crise a, là aussi, permis de ressouder une gauche désunie, notamment par le référendum sur la Constitution européenne. Onze partis ont d’ailleurs rédigé une déclaration commune adressée au chef de l’Etat pour lui demander de ne pas promulguer la loi instaurant le contrat. Cette alliance d’intérêt peut-elle durer plus que le CPE ? Pas sûr. En tout cas, pour vraiment bénéficier de la faiblesse actuelle de la droite, les partis de gauche devront, non pas seulement critiquer la majorité, mais faire de véritables propositions aux Français. Pour le moment, les sondages montrent que ceux-ci ne sont pas dupes de l’opportunisme politique de l’opposition puisqu’ils indiquent que 63% d’entre eux estiment que la gauche «n’a pas de meilleure idée à proposer que la droite sur le chômage des jeunes». 

Côté sondages, celui qui se sort le mieux du bourbier du CPE, c’est Nicolas Sarkozy. Le ministre de l’Intérieur a réussi à faire valoir sa différence avec Dominique de Villepin en utilisant sa casquette de président de l’UMP. Affirmant fermement sa solidarité avec le gouvernement, il a tout de même trouvé le moyen d’apparaître comme celui qui a compris la nécessité d’arrêter les frais et de suspendre un CPE rejeté de toutes parts. Au bout de compte, il a gardé la cote auprès des Français qui, selon l’institut CSA, sont 51% à lui faire confiance pour mener des réformes. Son pragmatisme a plus convaincu que l’inflexibilité de Dominique de Villepin. Il marque donc des points précieux face au Premier ministre, son principal rival à droite, dans la perspective de la candidature à la présidentielle de 2007.


par Valérie  Gas

Article publié le 11/04/2006 Dernière mise à jour le 11/04/2006 à 16:33 TU

Dossiers