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Musée du quai Branly

Un musée des « arts premiers », pour quoi faire ?

Sculpture zoomorphe Namau, de Papouasie Nouvelle Guinée. 

		Photo : Patrick Gries
Sculpture zoomorphe Namau, de Papouasie Nouvelle Guinée.
Photo : Patrick Gries
Jacques Chirac le rêvait: situé sur les bords de Seine, à deux pas de la tour Eiffel , le très attendu « musée vivant », à vocation internationale, entièrement dévolu à la puissance et à la beauté très diversifiée des arts extra-européens, ouvre ses portes le 23 juin prochain. Le président de l’institution, Stéphane Martin, le présente comme « un outil social et politique dont se dote la France pour que les visiteurs accèdent, par le truchement des collections, à la problématique des relations qui unissent le monde européen avec le reste du monde ». Une architecture futuriste, confiée à Jean Nouvel, fait entrer solennellement et en beauté les cultures traditionnelles dans le monde demain ; l’idée force que veut promouvoir Jacques Chirac est celle que « les chefs d’œuvre du monde entier naissent libres et égaux », et que « les cultures sont faites pour dialoguer ».

Art nègre, cubisme,  Picasso: l’équation est posée. Combien de peintres sculpteurs et hommes de lettres -à l’instar de ce chef de file d’un courant artistique dont le succès fit le tour de la planète- se sont inspirés des arts improprement appelés « Arts premiers » ou « Arts primitifs » ? « Primitif », l’adjectif en disait d’ailleurs long sur la nécessité de « sortir de l’ombre des œuvres trop restées dans l’ombre –une ombre qui a pu parfois être celle d’un discours dominateur les empêchant d’exprimer la pluralité de leurs significations », explique Stéphane Martin, président du musée quai Branly. Il fallait solder cette dette de reconnaissance des arts européens à l’égard de ceux du reste de la planète, largement empruntés, en même temps que trop souvent ignorés. Pour Jacques Chirac, passionné (bien avant d’accéder à la magistrature suprême) par les cultures traditionnelles, l’idée force était de créer un musée conçu comme « un  instrument de paix, qui témoigne pleinement de l’égale dignité des cultures et des hommes ». 

Se retournant, critique, sur ses expéditions menées en Amazonie brésilienne dans les années 1930, « j’ai honte d’aller prendre à ces hommes, si démunis de tout, un petit ustensile dont la perte constitue pour eux un manque irréparable », écrivait l’anthropologue Claude Levi-Strauss (Tristes tropiques, 1955). De fait, la question de l’origine et de la provenance du fonds des collections, est toujours épineuse et maintes fois remise en jeu dans les polémiques : quand les uns parlent de pillage et de spoliation, les autres défendent l’idée de sauvegarde et de mémoire. Question de point de vue.

Le visiteur s’interroge légitimement sur les modes d’acquisition de tous ces trésors, des statuettes chupicuaros du Mexique -dont l’une sert d’emblème au musée- aux tapas (tissus d’écorce) polynésiens, en passant par les instruments de musique du monde entier ou les marionnettes japonaises. « Nous avons la chance de rassembler des collections très anciennes », répond Jean-Pierre Mohen, directeur du patrimoine et des collections, rappelant qu’une massue américaine a été offerte à François Ier au XVIe siècle. « Nombreux sont les Etats, collections particulières ou institutions qui ont déjà manifesté leur soutien au futur musée », assure par ailleurs Stéphane Martin, qui ne fait pas mystère du regroupement des œuvres autrefois conservées au musée de l’Homme et au musée des Arts d’Afrique et d’Océanie.

 

Mur végétal conçu par Patrick Blanc.Photo : Yves Bellier
Mur végétal conçu par Patrick Blanc.
Photo : Yves Bellier

« Non pas un vaste cabinet de curiosités pour amateurs en mal de folklore ou d’exotisme »

L’humanité s’installe dans la monoculture, elle s’apprête à produire la civilisation en masse, comme la betterave », déplorait le père de l’anthropologie brésilienne, célèbre pour avoir défendu l’identité des Indiens d’Amérique. Ses collections personnelles furent partagées entre les deux Etats, brésilien et français : à titre de juste restitution pour l’un, et en signe de reconnaissance pour l’autre. Aujourd’hui, insiste Germain Viatte, « nous voulons rendre accessibles  aux chercheurs mais aussi aux pays d’origine des objets et des collections qu’ils ont perdus. C’est une mémoire restituée à tous ». Ainsi, les collections de Claude Levi-Strauss désormais visibles quai Branly, seront rejointes par celles de quelque 80 donateurs français et étrangers. Une très importante collection a été léguée au musée par Jacques Kercharche (décédé en 2001), -l’interlocuteur favori de Jacques Chirac, à l’origine du projet avec le président.

L’appellation Musée du quai Branly a le mérite de signaler une adresse, sur les bords de Seine, à l’ombre de la tour Eiffel. Le nom de baptême ne fait peut être pas rêver. Il eût été toutefois impropre de l’appeler musée des « Arts premiers » ou bien musée des « Arts primitifs », comme cela fut évoqué au départ du projet : le concept, font remarquer les historiens, ne représente rien pour ceux qui ont créé les artefacts ainsi désignés. Il ne s’agit là que d’un vocabulaire pratique, qui appartient à la boîte à outils des historiens d’art et des penseurs qui se tournent vers des civilisations parfois plus anciennes que la leur.

Plus qu’un musée, une cité culturelle

Sous-jacente à cette réflexion, pointe la volonté de faire précisément de l’institution un lieu d’interrogation et de réflexion, « un centre de recherche et d’analyse sur l’histoire et les variations anthropologiques, et non pas un vaste cabinet de curiosités pour amateurs en mal de folklore ou d’exotisme », explique Stephane Martin. « Nous voulons montrer la pensée que ces objets abritent », ajoute Jean-Pierre Mohen, le directeur du patrimoine et des collections. Dans le même esprit, toute la richesse du patrimoine mondial immatériel et vivant donnera lieu à des programmations de spectacles de danses, de théâtre, et de concerts. Plus qu’un musée, le quai Branly a pour ambition d’être, en fait, une cité culturelle à l’instar du Centre Pompidou. 

Riches d’un fonds qui compte pas moins de 300 000 pièces, les collections seront présentées au fil de rotations régulières. Cependant, tout comme à l’importante médiathèque (250 000 imprimés), les chercheurs et amateurs éclairés auront toujours la possibilité d’accéder aux réserves sous l’égide d’Anne-Christine Taylor (ethnologue et directrice de recherche au CNRS), qui va présider ce département de la recherche scientifique. L’institution  sera également dotée d’une université populaire « non diplomante », précise sa présidente, la philosophe Catherine Clément. Cette université proposera, gratuitement et pour tous, des débats de réflexion à l’image des « disputes médiévales ». Ils se tiendront dans l’auditorium du musée, et dans un total respect des prises de position opposées qui seront défendues. (http://www.quaibranly.fr/).

Photo : Nicolas Borel
Photo : Nicolas Borel

«Vous qui venez de toutes les Amériques, vous conservez dans les destins historiques de pays où vous vivez, le souvenir d’une histoire commune brutalement interrompue voici cinq siècles par déferlement des conquérants venus chercher l’Eldorado. Vous êtes les héritiers de civilisations somptueuses, mutilées par l’histoire, mais dont nous avons enfin réappris qu’elles apportèrent à l’humanité des trésors d’art et de savoir », a déclaré Jacques Chirac lors de la réception des peuples amérindiens, en juin 2004, pour l’ouverture de l’année du Brésil en France. En septembre 2006, pour le coup d’envoi de cette « université », le premier cycle de rencontres sera consacré à l’histoire mondiale de la colonisation et de la décolonisation à partir du XVe siècle.



par Dominique  Raizon

Article publié le 18/04/2006Dernière mise à jour le 18/04/2006 à TU