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Immigration

Désillusions d’un journaliste demandeur d’asile

François Bikindou, journaliste et écrivain, auteur&nbsp;du roman&nbsp;<em>Des rires sur une larme</em>, paru aux éditions L’Harmattan.(Photo : Gervais Nitcheu/RFI)
François Bikindou, journaliste et écrivain, auteur du roman Des rires sur une larme, paru aux éditions L’Harmattan.
(Photo : Gervais Nitcheu/RFI)
Menacé de mort au Congo, son pays d’origine, François Bikindou a trouvé refuge en juillet 2002 en Angleterre. A travers Frédéric, le personnage central de son roman, intitulé Des rires sur une larme, paru en février aux éditions L’Harmattan, l’ancien correspondant de la BBC à Brazzaville décrit son parcours de demandeur d’asile politique en Grande-Bretagne. Un véritable calvaire pour cette ancienne star de la radio, contrainte à la clochardisation.

(Source : L'Harmattan)
(Source : L'Harmattan)

RFI : Pourquoi avez-vous choisi l’Angleterre comme terre d’asile, alors que vous êtes francophone ?

François Bikindou : J’ai choisi ce pays pour deux raisons. Première raison : j’avais longtemps travaillé pour le service mondial de la BBC (British Broadcasting Corporation, ndlr). Donc, j’avais un certain nombre de relations en Angleterre. La deuxième raison : le caractère cosmopolite de Londres. Avant mes problèmes, je m’étais rendu deux fois dans cette ville, et j’avais découvert qu’il était facile de s’intégrer.

RFI : Pourquoi avez-vous choisi de raconter votre histoire de demandeur d’asile en Angleterre sous la forme d’un roman, qui renvoie quand même à la fiction ?

François Bikindou : La fiction me donnait beaucoup de liberté au niveau de l’écriture. Je pouvais très facilement aborder certaines questions délicates et sensibles relatives à la situation politique de mon pays d’origine et aux difficultés des demandeurs d’asile en Grande-Bretagne sans craindre des procès.

RFI : Malgré cette précaution, votre œuvre reste un roman autobiographique.

François Bikindou : Pas tout à fait. Frédéric – le personnage central du roman, ndlr -, c’est François Bikindou enrichi d’autres apports, notamment des difficultés d’autres demandeurs d’asile politique en Grande-Bretagne. C’est un personnage autonome. Même s’il y a une grande partie de moi dans Frédéric. Comme Frédéric, j’ai été menacé de mort par le président de mon pays, à cause d’une affaire de cassette contenant l’interview d’un chef rebelle opérant dans la région du Pool – région autour de Brazzaville dont François Bikindou est originaire, ndlr. Comme lui, j’ai été contraint de quitter mon pays, en y abandonnant ma femme et mes deux enfants. Mais ce qu’il faut retenir, c’est que Frédéric est le symbole des demandeurs d’asile en Grande-Bretagne.

RFI : Dans quel état d’esprit avez-vous vécu en tant que demandeur d’asile en Grande-Bretagne ?

François Bikindou : Contrairement à ce que certains pensent, la Grande Bretagne n’est pas un paradis pour les demandeurs d’asile. La remise en cause et l’angoisse constituent leur lot quotidien dans ce pays. Et lorsque l’on a été un journaliste célèbre, ancien correspondant d’une radio internationale, on souffre plus que les autres demandeurs d’asile. Le fait de se retrouver en intellectuel dans un milieu de laissés-pour-compte est difficile à vivre. On connaît une solitude intellectuelle effroyable. Une situation aggravée par le fait que l’on est tout le temps confondu avec les exilés économiques. Quand vous partez en exil, vous perdez tout, vous êtes dépouillé de toute valeur.

RFI : Comment avez-vous réussi à tenir le coup dans ce milieu aussi difficile ?

François Bikindou : J’ai pu tenir grâce au téléphone portable. J’appelais tous les jours mon épouse, au point qu’elle a fini par avoir des problèmes d’ouïe. Durant nos conversations téléphoniques, nous nous remontions mutuellement le moral. Et quand elles s’achevaient, j’étais soulagé.

RFI : La BBC, votre ancien employeur, vous a-t-elle aussi soutenu ?

François Bikindou : En tant que structure, la BBC ne m’a apporté aucun soutien. J’ai été très déçu. Quand on est correspondant, on est important pour la chaîne tant qu’on reste en Afrique. Mais lorsqu’on est confronté à des situations difficiles, le soutien de la chaîne ne suit pas. Tout ce que le chef de service par intérim m’avait proposé avec beaucoup de légèreté, à mon arrivée, c’était d’aller m’installer comme correspondant à Kinshasa, en République démocratique du Congo. Une proposition indécente lorsque l’on sait que Brazzaville et Kinshasa sont les deux capitales les plus proches au monde, du point de vue géographique. Mais je dois noter que des collègues de la BBC m’ont soutenu à titre individuel.

RFI : Regrettez-vous d’être parti en exil ?

François Bikindou : Même si j’ai eu des moments de doute, je dois vous avouer que je ne regrette pas d’être parti en exil. Car l’important, c’était de me mettre à l’abri, de protéger ma vie. En restant à Brazzaville, tout pouvait m’arriver, à l’époque.

RFI : Et si c’était à refaire aujourd’hui, que feriez-vous ?

François Bikindou : Je referais le même métier : correspondant de la BBC. Mais je prendrais un peu plus de précautions. Je dois affirmer que j’ai exercé le métier avec beaucoup de passion, en oubliant que ce métier avait des revers.

RFI : Est-ce que vous en voulez aujourd’hui aux gens qui vous avaient menacé de mort ?

François Bikindou : Je n’en veux à personne. La colère détruit tous ceux qui la portent. Les gens qui m’ont menacé de mort quand j’étais correspondant de la BBC à Brazzaville étaient dans leur rôle. Et moi, j’étais dans le mien.


Propos recueillis par Gervais  Nitcheu

Article publié le 19/04/2006 Dernière mise à jour le 19/04/2006 à 12:12 TU

François Bikindou : « Des rires sur une larme », L’Harmattan, 2006