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Tchad

Implications croisées

L'armée tchadienne près d'un camp de réfugiés à 100 kilomètres de la frontière avec le Soudan.(Photo : AFP)
L'armée tchadienne près d'un camp de réfugiés à 100 kilomètres de la frontière avec le Soudan.
(Photo : AFP)
Depuis l'attaque de N'Djamena du 13 avril dernier, les autorités tchadiennes ont repris leurs accusations contre le Soudan, qui a selon elles «envoyé ses mercenaires» contre la capitale tchadienne. Selon nos informations, les assaillants du 13 avril appartiennent bien à une rébellion tchadienne, mais une rébellion soutenue et encadrée par le Soudan. Cette implication soudanaise est elle même une réponse aux complicités tchadiennes dans le Darfour.

De notre envoyé spécial à N'Djamena.

Il est debout, au bord des gradins face à la foule. Les rayons du soleil baignent la capitale après l'avoir écrasée dans les premières heures de l'après-midi. Idriss Déby accuse une nouvelle fois son voisin soudanais de soutenir les rebelles, qu'il décrit comme des mercenaires à la solde de Khartoum. «Vous n'êtes pas prêts à laisser votre pays occupé par el-Béchir», lance le président tchadien, avant de scander: «el-Béchir, traître». La foule répète avec lui.

Autre lieu, autre scène: Adré, au pied d'une colline, du matériel militaire saisi sur les rebelles. «Il s'agit de matériel de fabrication chinoise, explique le préfet d'Adré. Tout ce que nous avons saisi : l'armement léger, l'armement lourd, les munitions. La Chine aide le Soudan, le Soudan aide les rebelles». L'implication du Soudan dans ce conflit est une obsession tchadienne. Les officiels y reviennent sans cesse. Au point qu'après les attaques du 13 avril, le Tchad a rompu ses relations diplomatiques avec le Soudan. Le Premier ministre, Pascal Yoadimnadji, s'en est immédiatement expliqué au corps diplomatique: «Vous venez d'être les témoins oculaires des attaques de mercenaires soudanais contre nos villes et garnisons militaires, a-t-il alors déclaré. L'attaque de la ville de N'Djamena aux premières heures de la matinée du 13 avril 2006 constitue l'affront ultime».

Les rebelles, eux, démentent ce soutien soudanais. Dans une interview à RFI, en janvier dernier, l'un des cadres du FUC (Front Uni pour le changement démocratique), Abdelwahit About, avait reconnu des relations «étroites et amicales» avec le Soudan. Lors de cet entretien enregistré à Khartoum, il avait nié que le Soudan ait pu fournir du matériel ou des armes à la rébellion. Mahamat Nour lui-même, le président du FUC, éclate de rire quand on lui demande quelles sont ses relations avec le Soudan. «Si les Soudanais nous soutenaient depuis le début, explique-t-il, nous serions déjà à N'Djamena».

Le soutien soudanais aux rebelles du FUC est pourtant une réalité. Le Soudan, en dépit de ses démentis, encadre les rebelles et leur apporte équipement et logistique. Cette implication est établie depuis la création de l'alliance, en décembre dernier. Les rebelles avaient alors diffusé un premier communiqué censé avoir été signé de Moudeïna, au Tchad. Selon des sources concordantes au sein des mouvements eux-mêmes, certaines des discussions ont en fait eu lieu à El-Geneina au Darfour. Vu la persistance de désaccords entre Tchadiens après la signature du communiqué fondateur, les Soudanais ont (disent ces mêmes sources) fait venir les responsables rebelles à Khartoum, la capitale, pour forcer l'union des différentes tendances.

Certains de ses anciens proches accusent Mahamat Nour, le chef du FUC, d'avoir travaillé pour les Soudanais, soit en recrutant des jeunes de son ethnie (les Tama), soit en se battant contre les rebelles du Darfour. Par ailleurs, selon des observateurs internationaux, les rebelles du Tchad ont pignon sur rue à El-Geneina où ils bénéficient du soutien ouvert des PDF (Popular Defence Forces), les milices supplétives soudanaises. Ils reçoivent un soutien logistique en armement et en approvisionnement. «Les rebelles sont entièrement soutenus par le Soudan, même s'ils sont Tchadiens, explique Olivier Bercault de Human Rights Watch qui ajoute: «Un mouvement de l'Est du Tchad ne peut arriver à N'Djamena sans un soutien logistique du Soudan».

Complicités tchadiennes dans le Darfour

Cette implication soudanaise s'explique par la volonté de contrer une nouvelle rébellion zaghawa, qui voudrait remplacer Idriss Déby par un autre leader issu du clan. Les défections d'octobre dernier et la création du SCUD (Socle pour le changement, l'unité nationale et la démocratie) ont sans doute incité Khartoum à pousser en avant ses protégés. L'implication soudanaise s'explique aussi par le rôle que le régime tchadien a joué au Soudan. Il est vrai en effet que les Tchadiens ont eux-même soutenu les rebelles du Darfour. Après une période de brouille, ils collaborent à nouveau avec eux.

Revenons à décembre 1990, quand Idriss Déby entre dans N'Djamena. Il est accompagné par des combattants zaghawa soudanais qui réclameront en contrepartie son soutien pour revenir en force dans leur pays. Les opposants à Idriss Déby disent qu'il a personnellement accédé à la demande des futurs rebelles. Mais, selon des sources concordantes, le soutien a plutôt été le fait de membres du régime, par affinité clanique. «Dès l'année 2003, explique un spécialiste, vous pouviez parfois voir des soldats de l'armée tchadienne, directement reconnaissables, aux côtés de rebelles du Darfour».

Certes, les relations ont connu des hauts et des bas. Les rebelles du Darfour ont rejeté à un moment la médiation tchadienne dans les pourparlers d'Abuja. Le régime tchadien a soutenu des tentatives de scission chez les rebelles, notamment au sein du MJE (Mouvement pour la Justice et l'Egalité). C'est ainsi que naîtra le MNRD, sous parrainage tchadien, un mouvement qui a valu à Idriss Déby d'être cité dans un rapport du comité de sanctions de l'ONU, en décembre dernier «pour soutien à un groupe dissident du MJE qui entrave le processus de paix». Au plus fort de la crise entre Déby et les rebelles du Darfour, Khalil Ibrahim, le président du MJE avait rappelé au chef de l'Etat tchadien la dette de 1990. «Il ne doit pas oublier, avait déclaré Khalil, qui l'a porté au pouvoir» .

Rebelles soudanais en renfort de l'armée tchadienne

Depuis, les relations se sont améliorées au point que le MJE et l'une des factions du MLS (Mouvement de Libération du Soudan), la faction de Minni Arkou Minnawi, ont prêté main forte à l'armée tchadienne lors des deux batailles d'Adré : celle de ce 13 avril, et celle du 18 décembre dernier. Information démentie par le gouvernement, mais que plusieurs sources confirment. «Les rebelles du Darfour circulent librement en armes à Adré, explique un habitant de la localité, ils y avaient même, en 2004, un bureau qui est fermé depuis. Les militaires d'Adré ne se cachent même plus de ce soutien».


par Laurent  Correau

Article publié le 21/04/2006 Dernière mise à jour le 21/04/2006 à 14:31 TU

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(Montage : C.Wissing / RFI)