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Kosovo

Pâque orthodoxe en état de siège

Une rue de Velika Hoca. «<em>Autrefois, Serbes et Albanais cohabitaient sans problème dans la région. Nous étions collègues, amis, nous nous respections</em>», explique Dimitrije Popovic.(Photo : Laurent Geslin)
Une rue de Velika Hoca. «Autrefois, Serbes et Albanais cohabitaient sans problème dans la région. Nous étions collègues, amis, nous nous respections», explique Dimitrije Popovic.
(Photo : Laurent Geslin)
Cette année encore, les 700 habitants de l’enclave de Velika Hoca, dans le sud du Kosovo, ont fêté la Pâque orthodoxe derrière des barbelés. Une question dominait toutes les pensées : les négociations en cours sur le statut final du Kosovo vont-elles entraîner un nouvel exode des Serbes ?

De notre correspondant dans les Balkans

«Est-ce que nous pourrons encore fêter Pâques dans notre village l’an prochain, seuls Dieu et le Conseil de sécurité des Nations Unies le savent», explique avec amertume le pope du village.

Velika Hoca est probablement l’un des plus beaux villages du Kosovo. Ses treize églises médiévales et ses vieilles maisons de pierre se nichent dans un vallon entouré de vignes. Au Moyen Âge, tous les monastères de Metohija, la riche plaine qui s’étend de Pec à Prizren, possédaient des vignes aux alentours de Velika Hoca. Le monastère de Visoki Decani, distant d’une trentaine de kilomètres, exploite toujours 4 hectares et produit un vin réputé.  

Check-point à l'entrée de Velika Hoca.(Photo : Laurent Geslin)
Check-point à l'entrée de Velika Hoca.
(Photo : Laurent Geslin)

L’horizon des villageois est pourtant extrêmement limité. Des barbelés et des checks-points des troupes allemandes de la KFOR, la mission de l’OTAN au Kosovo, ferment les accès au village. Les Serbes ne peuvent travailler que les vignes qui se trouvent à l’intérieur de ce périmètre de sécurité. Depuis 1999, plusieurs Serbes qui ont osé s’aventurer au-delà ont été tués.

«Autrefois, explique Dimitrije Popovic, un retraité de 77 ans, Serbes et Albanais cohabitaient sans problème dans la région. Nous étions collègues, amis, nous nous respections. Je parle l’albanais aussi bien que le serbe. Aujourd’hui, il ne reste plus un seul Serbe dans la région, hormis notre village et les 500 personnes qui s’entassent dans le ghetto d’Orahovac». Un petit quartier serbe existe encore, en effet, dans la ville haute du chef-lieu de la région, à trois kilomètres de Velika Hoca.

«Parfois, nous allons dans le quartier serbe d’Orahovac, à nos risques et périls», explique Dimitrije. «Les Albanais circulent aussi sur la route, et plusieurs des nôtres sont tombés dans des embuscades». Pour quitter le village, les Serbes de Velika Hoca doivent emprunter le convoi que la KFOR organise deux fois par semaine en direction de Mitrovica. «Il faut s’enregistrer deux jours à l’avance, et il n’y a pas toujours de la place», poursuit Dimitrije. «Si quelqu’un est malade, il doit attendre ce convoi pour aller à l’hôpital de Mitrovica. Ici, nous avons bien un médecin, mais il n’a ni médicaments ni équipements».

«Velika Hoca est une prison», martèle Zika, qui tient le café du village. Tous ceux qui avaient de l’argent ou de la famille en Serbie sont partis. Restent ceux qui n’ont pas où aller. Il n’y a pas 20 personnes qui ont un travail : les enseignants de l’école, le postier… Parfois, les hommes peuvent s’embaucher à la journée dans les chantiers de restauration des églises, engagés sous le patronage de l’UNESCO. C’est tout. Les autres travaillent un peu la vigne, mais surtout ils tournent en rond, et ils boivent. Il y a 70 jeunes célibataires et seulement 3 filles à marier dans le village»…

Les fêtes de Pâques sont un grand moment dans la vie du village. Tous les habitants ont assisté à la veillée du samedi soir dans l’église Saint-Nicolas, et des messes seront célébrées dans toutes les églises. Mardi, après les vêpres à l’église Saint-Elie, une grande fête réunira tous les habitants. «Autrefois, on dansait toute la nuit, c’était souvent le moment où s’amorçaient les amours», se souvient Dimitrije. «Depuis 1999, nous maintenons nos traditions, mais les jeunes dansent le cœur serré».

Les Serbes de Velika Hoca idéalisent-ils le passé en évoquant les bonnes relations qu’ils avaient avec les Albanais ? Discrets, plusieurs Albanais des environs sont venus assister à la veillée pascale. «Des Albanais sont toujours venus à cette célébration. Beaucoup de familles musulmanes conservent le cierge pascale comme un porte bonheur», explique le pope. «L’église est ouverte à tout le monde, ils sont les bienvenus».

Pourtant, précise Dimitrije, «les Albanais qui viennent nous rendre visite doivent le faire en cachette. Si les extrémistes de leur camp l’apprennent, ils risquent de subir des représailles».

La Semaine Sainte a été l’occasion de resserrer les liens dans la communauté. Le pope a été bénir toutes les maisons du village, et soutient que la concorde règne, malgré les tensions inévitables entre les habitants du village-prison. «Nous sommes une grande famille. Sans cela, nous aurions déjà disparu».

Il refuse de répondre à toute question sur la situation politique. Pourtant, la question de rester ou partir domine toutes les discussions, elle divise même les familles. Dimitrije veut rester «jusqu’au bout», alors que sa femme Mila le presse de fuir. «Même si nous n’avons rien en Serbie et si je sais très bien que notre seule perspective est de nous retrouver sous la tente dans un camp de réfugiés».

Zociste, à quelques kilomètres de Velika Hoca.(Photo : Laurent Geslin)
Zociste, à quelques kilomètres de Velika Hoca.
(Photo : Laurent Geslin)

A quelques kilomètres de Velika Hoca, Zociste était autrefois un village mixte. Tous les Serbes ont été chassés en juin 1999, tandis que le monastère médiéval qui domine le village était entièrement détruit. Depuis 2004, trois moines sont revenus y vivre, sous une étroite protection de la KFOR autrichienne, reconstruisant peu à peu le monastère. L’higoumène Serafim ne s’embarrasse pas de langue de bois : «le Kosovo sera indépendant dans quelques mois, et les Serbes d’Orahovac seront chassés. Par contre, si la KFOR fait correctement son travail, ceux de Velika Hoca pourront peut-être rester». Une vingtaine de maisons serbes ont été reconstruites dans le village. «Mais tout le monde sait très bien que personne ne reviendra y vivre. La communauté internationale se donne bonne conscience en dépensant de l’argent pour des programmes de retour, mais ce n’est qu’un jeu».

Et les moines du monastère resteront-ils ? «Si l’OTAN ou la nouvelle mission militaire internationale qui viendra au Kosovo continue à nous protéger, nous resterons. C’est notre devoir et notre mission de maintenir le témoignage d’une présence sur cette terre. Tant que cela sera possible»…


par Jean-Arnault  Dérens

Article publié le 23/04/2006 Dernière mise à jour le 23/04/2006 à 14:25 TU

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