Tchad
Washington engage N’Djamena au dialogue
(Photo : AFP)
Visiblement, le sous-secrétaire d'Etat adjoint américain chargé des Affaires africaines, Donald Yamamoto, n’est pas sûr qu’il soit raisonnable de tenir la présidentielle le 3 mai prochain, dans le climat d’incertitude qui prévaut au Tchad après l’offensive rebelle du 13 avril dernier. D’après l’envoyé américain, il n’est pas trop tard pour la reporter, l’essentiel étant, selon lui, que «tout le monde» puisse participer à la course organisée par le président Idriss Deby Itno pour légitimer le troisième mandat qu’il s’est autorisé à briguer au prix d’une contorsion constitutionnelle. A la clef, l’argent du pétrole, gelé par la Banque mondiale avec laquelle Donald Yamamoto a mission de réconcilier N’Djamena.
«Quand les gens disent qu'il est trop tard pour reporter une élection, il n'est jamais trop tard pour faire quoi que ce soit», assure Donald Yamamoto, au sortir des «discussions privées, directes et très franches», avec le président Idriss Deby Itno. Sauf à ajouter qu’il faut se «concentrer sur ce qui compte, c'est-à-dire la possibilité pour tout le monde de participer au processus» électoral, le diplomate américain se refuse à s’avancer sur le contenu exact du vraisemblable marchandage qui l’a conduit à N’Djamena les 23 et 24 avril, dans le cadre de sa médiation entre le régime Deby et la Banque mondiale (BM).
Le 6 janvier dernier, la Banque mondiale a coupé les vivres au Tchad en suspendant le décaissement de quelque 124 millions de dollars d’argent frais, en représailles à la décision du gouvernement tchadien de rayer d’un trait de plume le Fonds pour les générations futures. Pour renflouer ses caisses, N’Djamena avait en effet décidé de puiser dans les 10% de royalties pétrolières thésaurisées sur recommandation pressante de la Banque mondiale. On se souvient aussi que deux jours après la bataille de N’Djamena, Idriss Deby a menacé de couper les robinets du pétrole avant de se raviser à l’annonce de la visite de Donald Yamamoto et de renvoyer sa décision à fin avril.
Donner des gages de stabilité
Aujourd’hui, l’envoyé de Washington presse Idriss Deby de «commencer maintenant un dialogue constructif» avec son opposition. Il devra même «répondre» du résultat de ces pourparlers, dit-il. S’il s’agit sans nul doute de trouver un terrain d’entente avec l’opposition civile qui a décidé de longue date de boycotter la présidentielle, Donald Yamamoto ne précise pas en revanche s’il engage aussi le chef de l’Etat à discuter avec l’opposition armée dont l’un des chefs, Tom Erdimi, est basé aux Etats-Unis. Ses propos indiquent en tout cas que d’un point de vue américain, le président Deby doit non seulement faire un effort démocratique, mais surtout qu’il lui faut donner quelques gages de légitimité - et donc de stabilité -, s’il veut toucher l’argent du pétrole.
Du 4 au 6 avril dernier, juste avant l’offensive rebelle, les autorités tchadiennes avaient reçu des représentants de la Banque mondiale à N’Djamena. Depuis lors, la balle est restée dans le camp du bailleur de fonds, N’Djamena s’efforçant de minimiser le litige en invoquant «un déficit de communication», le ministre tchadien du Pétrole répétant que «les Etats-Unis sont perdants si on arrête la production et que c'est pour ça qu'ils vont essayer de trouver un terrain d'entente». Les prix du brut flambent en effet et les quelque 200 000 barils extraits chaque jour au Tchad constituent un enjeu d’autant plus crucial à Washington que ce sont des compagnies américaines qui se partagent l’essentiel des puits tchadiens. Reste pour Washington à s’assurer qu’Idriss Deby n’est pas trop chancelant.
Pétrole de campagne
Après avoir plaidé la cause sécuritaire pour obtenir gain de cause auprès de la Banque mondiale, après avoir fait savoir urbi et orbi qu’il achetait des armes pour se prémunir de toute nouvelle percée rebelle, Idriss Deby poursuit sa campagne présidentielle en jurant de «tout faire pour récupérer l'argent du pétrole» quitte à «tirer les conséquences qui s’imposent au cas où une solution ne serait pas trouvée». Tout en continuant d’exhorter l’Union européenne et l’Union africaine de condamner son voisin soudanais, le «criminel Omar el-Béchir», Deby promet à ses électeurs de mettre en déroute les rebelles, des «bons à rien dont l’objectif est de conduire à la guerre civile et de ramener le Tchad trente ans en arrière». Prudent quand même, il demande aussi aux Tchadiens de «rester vigilants car Béchir n'a pas baissé les bras».
Tandis que les principaux groupes armés continuent de prophétiser la chute d’Idriss Deby, dans les rues de N’Djamena, affiches et banderoles appellent à sa réélection «dès le premier tour». Les concurrents invités à lui servir de lièvres dans la lice présidentielle se tiennent en revanche en retrait. De son côté, l’opposition non armée appelle plus que jamais au report de l’échéance du 3 mai. Pour une fois unanime, elle s’active à faire le tour des chancelleries pour demander la réforme de la Commission nationale électorale indépendante (Ceni) et la refonte des listes d’électeurs. Mais jusqu’à présent, le régime Deby est resté sourd. Le président de la Ceni affirme d’ailleurs que «les camions avec le matériel pour le scrutin sont arrivés à destination à Adré», la turbulente cité frontalière de l’Est où, de sources convergentes, l’armée tchadienne a repris la main avec le concours de rebelles soudanais venus du Darfour.
Le régime Deby voulait coûte que coûte tenir ses élections le 3 mai. Tout en estimant «très sérieuses, les menaces en provenance du Soudan auxquelles le Tchad est confronté», Washington ne souhaite pas figer par une position tranchée ses relations avec l’un ou l’autre des deux pétroliers. Donald Yamamoto suggère toutefois à Idriss Deby de mettre un doigt de démocratie dans son verre de pétrole pour convaincre la Banque mondiale et assurer sa longévité à N’Djamena.
par Monique Mas
Article publié le 26/04/2006 Dernière mise à jour le 26/04/2006 à 15:58 TU