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Tchad

Idriss Deby s’accroche au fauteuil présidentiel

Le président tchadien Idriss Deby, habillé en civil, pendant la campagne présidentielle close le 1er mai 2006.(Photo : AFP)
Le président tchadien Idriss Deby, habillé en civil, pendant la campagne présidentielle close le 1er mai 2006.
(Photo : AFP)
Arrivé au pouvoir en décembre 1990 en Toyota militarisée, c’est aujourd’hui encore avec des armes à portée de main et surtout des yeux dans le dos qu’Idriss Deby demande aux urnes du 3 mai de lui livrer, «au premier tour», le troisième mandat capable de l’introduire dans le cercle des postulants africains à la présidence à vie. Et pour lui, le temps presse, car si le boycott de l’opposition politique efface toute concurrence dans la joute présidentielle, deux rébellions armées s'efforcent de le renverser. L’une provient de son propre clan. L'autre s'appuie sur Khartoum. Toutes deux ont conclu une alliance tactique à la veille du scrutin.

Idriss Deby se veut aussi Itno, revendiquant le patronyme de son grand-père depuis qu’il a franchi le cap de ses quinze ans de pouvoir, célébrés l’année dernière dans sa cité natale de Fata, modeste chef-lieu du département de l’Ennedi connu pour ses sites préhistoriques en plein désert, à quelque 1 000 kilomètres au nord-est de N’Djamena. Quelles que soient les raisons profondes de ce raccord, avec ou sans Itno, le régime Deby est une affaire de famille zaghawa, une branche du groupe gorane, à cheval sur la frontière soudanaise. Mais l’entreprise patrimoniale est en train de faire faillite avec l’implosion du clan zaghawa. Depuis l'année dernière, oncles et neveux, déserteurs de hauts grades, ont commencé à préparer le renversement d’Idriss Deby Itno. L'intrigue se noue au Soudan où Khartoum arme aussi une rébellion concurrente, chargée, elle, de défaire le pouvoir zaghawa installé à N’Djamena et d'éviter toute restauration, même partielle.

Les rebelles veulent empêcher la présidentielle

Sitôt la rébellion du Front uni pour le changement (Fuc) chassée de N’Djamena le 13 avril dernier, Idriss Deby s’est entêté à battre le fer de la campagne présidentielle, sous très haute escorte militaire. C'est en effet prudent car le Fuc à dominante arabe et le très zaghawa Socle pour le changement, l'unité nationale et la démocratie (Scud), les deux rébellions basées dans le Darfour soudanais, affirment avoir créé une «coordination militaire» le 28 avril. Depuis lors, leurs chefs jurent de «tout faire pour empêcher l'élection du 3 mai». Rien ne prédispose à l'union les «mercenaires à la solde du Soudan» et les «traîtres», ainsi que Deby qualifie les partisans de Mahamat Nour et ceux de ses neveux Erdimi. Mais les rebelles s'accordent au moins sur un objectif : le chasser du pouvoir.

Les rebelles veulent prendre d’assaut N’Djamena à partir du Soudan, comme Idriss Deby Itno le fit lui-même, le 1er décembre 1990, arrachant le fauteuil présidentiel à son ancien mentor Hissène Habré, avec l’appui de Paris. Pour estomper le péché originel du coup d’Etat, le chef de guerre Deby avait alors donné un visage civil à sa faction armée, le Mouvement patriotique du salut (MPS). Et puis, le 4 octobre 1991, alors qu’un vent de démocratisation semblait devoir s’imposer sur le continent, conformément aux aspirations des peuples africains et aux vœux français affichés dans la foulée, à La Baule, Idriss Deby avait levé l’interdiction des partis politiques, ce qui n’a jamais empêché le MPS de se tailler la part du lion dans le fromage politique tchadien, jusqu’à aujourd’hui.

Théorie des complots et répression politique

Dès le 13 octobre 1991, des affrontements dans les rues de N’Djamena avaient accompagné des accusations de complot lancées contre le ministre de l’Intérieur de l’époque, Maldom Badda Abbas. Ce fut l’occasion pour la France de renforcer son dispositif militaire Epervier déployé au Tchad depuis 1986. Un peu plus tard, le 5 avril 1993, Idriss Deby avait entrepris de se brosser une image démocratique avec une Conférence nationale pas vraiment souveraine, une charte de transition et des institutions intérimaires, chargées de préparer les premières élections sous son règne. En même temps, il donnait la chasse aux mécontents, en particulier dans le Ouaddaï, à la frontière soudanaise, déjà.

Entre le 4 et le 8 août 1993, le massacre de 82 villageois de Chokoyam prolongeait la répression, dans la capitale, d’une manifestation des habitants originaires de ces confins frontaliers. Le 22 octobre suivant, un repenti, Abbas Koty, était abattu pendant son arrestation, pour tentative de coup d’Etat. Sous Deby comme sous ses prédécesseurs, les annales critiques des organisations de droits de l’Homme n’ont guère cessé de se remplir. Dans l’immense territoire tchadien, mal desservi en moyens de communication, l’Etat indigent peine à s’imposer et, depuis l’indépendance en 1960, une théorie des complots sans cesse renouvelée alimente de multiples dégâts collatéraux. A défaut d’un quelconque exemple probant d’alternance par les urnes, les prétentions à tenir le pouvoir au bout du fusil se traduisent en général par des alliances contre-nature et par des trahisons. Idriss Deby n'échappe pas à cette «norme» tchadienne.

Le métier des armes plutôt qu'un destin de pasteur

Idriss Deby Itno est né en 1952 dans les confins tchadiens du Borkou-Ennedi-Tibesti appelés à rester sous l’administration militaire directe de la France jusqu'en 1965. Dans les années soixante-dix, baccalauréat français en poche, il s’est choisi une carrière militaire plutôt qu’un destin de pasteur. Il a débuté sa formation à l’école d’officiers de N’Djamena, l’ex-Fort-Lamy (jusqu’en 1973), fondée en mai 1900 par l’administrateur colonial Emile Gentil au bord du fleuve Logone, face à la cité camerounaise de Kousseri, en hommage au commandant français Amédée-François Lamy, mort le 22 Avril 1900 dans la bataille de Kousseri, prélude à la conquête coloniale du Tchad par l’Armée d’Afrique. Depuis lors, l’armée française n’a jamais vraiment quitté le Tchad, se prévalant de la formation des troupes tchadiennes à l’indépendance, des appels à l’aide pressants du président Tombalbaye en 1968 et des rébellions successives fomentées par la Libye jusque dans les années quatre-vingt-dix.

Un Sara du Sud, Felix Malloum, en chassant un autre - François N’Garta Tombalbaye assassiné en 1975 -, la Libye finit par imposer, en 1979, à N’Djamena, le Nordiste toubou Goukouni Weddeye et son Gouvernement d’union nationale de transition (Gunt). Dans celui-ci figure alors le Gorane Hissène Habré, au poste stratégique de ministre de la Défense. De son côté, Idriss Deby vient de décrocher un diplôme de pilote professionnel en France. Il suivra bientôt Hissène Habré, rapidement tombé en disgrâce à N’Djamena. Tous deux s'enfuient au Soudan. Le duo revient dans la capitale, en 1982, pour chasser le Gunt du pouvoir.

Dans le sillage d'Hissène Habré

L’avènement d’Hissène Habré sonne au Tchad l’heure de la reconquête du Nord, jusque là quadrillé par Tripoli. La bande d’Aouzou fera toutefois exception et ne sera restituée au Tchad qu’en 1994, après un verdict de la Cour internationale de justice de La Haye et 21 ans d’occupation libyenne. Commandant en chef de l'armée d'Hissène Habré, Deby n’en tire pas moins grand prestige militaire de la conduite des opérations au Nord. Cela fait ombrage à sa lune de miel avec Habré. Deby se sent pousser des ailes face à un chef d’Etat contesté et qui s’est compromis aux yeux des Français dans l’enlèvement de l’ethnologue Françoise Claustre et dans la mise à mort du commandant Galopin, au milieu des années soixante-dix.

Conseiller militaire à son retour de Paris où Habré l’a éloigné en 1985, Idriss Deby est accusé de complot en 1989. Il s’enfuit à nouveau au Soudan, via la Libye. Grâce à ses affinités au Darfour et à la complaisance de Khartoum, il lève une armée, le MPS. L'armée française taiera sa progression jusqu’à N’Djamena où, l’année suivante, il contraint Habré à l'exil sénégalais où le poursuit désormais la justice internationale. Idriss Deby engage alors sa reconversion de chef de guerre en chef d’Etat. Il donne le ton d’une «transition démocratique» de six ans qui voit sa victoire à la présidentielle de 1996, puis sa réélection en 2001.

L'implosion du clan Deby

En octobre 2003, le Tchad a fait son entrée dans le club courtisé des producteurs africains de pétrole. Mais l’usure du temps et l’odeur des hydrocarbures ont multiplié le nombre des adversaires d'Idriss Deby et décuplé leurs appétits. Une partie de sa famille lui reproche de ne pas aider suffisamment les «frères» zaghawa soudanais qui l'ont appuyé seize ans plus tôt. Deby hésite à renvoyer l'ascenseur. Mais dans son entourage, certains soutiennent déjà la rébellion qui a surgi au Darfour en février 2003. Dans le camp adverse, Khartoum fulmine et se fait fort de chasser les Zaghawa du pouvoir à N'Djamena, par rébellion interposée. Le Fuc est candidat.

Le clan Deby a implosé. Son pilier militaire s’est effrité au profit du Scud. Riches de la fortune pétrolière et cotonnière amassée dans son ombre, ses neveux, Tom et Timan Erdimi, viennent de pactiser avec le Fuc dans l’espoir de compromettre le scrutin présidentiel du 3 mai, une formalité aux yeux de Deby, qui se satisfait grandement de l’appel au boycott lancé par l’opposition et la société civile. D’autres que lui en Afrique disposent en effet d’une longévité présidentielle inextinguible en se suffisant d’une poignée de bulletins. Mais surtout, même si à ses premiers signes de faiblesses ses adversaires tchadiens ont sonné l'hallali, Idriss Deby bénéficie du répit international qui lui est concédé, en ces temps de crise pétrolière.

L’urgence internationale n’est pas de trouver une alternative à Deby, mais de tout faire pour que les robinets de pétrole restent ouverts. Les adversaires d’Idriss Deby le disent «gravement malade» et pressé de régler sa succession. En 2004, pour s’en donner le temps, il a fait réviser la Constitution qui lui interdisait de briguer un troisième mandat. Il lui reste à franchir le cap du 3 mai et à tirer son fauteuil présidentiel hors de la poudrière installée par les siens sous l’œil intéressé de Khartoum.


par Monique  Mas

Article publié le 30/04/2006 Dernière mise à jour le 30/04/2006 à 15:41 TU

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(Montage : C.Wissing / RFI)

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