Rechercher

/ languages

Choisir langue
 
interview

Nucléaire iranien

Quand l’Occident aidait l’Iran

Ardeshir Zahedi (milieu), ancien ministre iranien des Affaires étrangères, a signé, en 1968, l’adhésion de son pays au Traité de non-prolifération nucléaire. 

		(Photo : Kayhan.com)
Ardeshir Zahedi (milieu), ancien ministre iranien des Affaires étrangères, a signé, en 1968, l’adhésion de son pays au Traité de non-prolifération nucléaire.
(Photo : Kayhan.com)
Le programme nucléaire iranien est depuis quelques années à l’origine d’une importante tension entre l’Iran et la communauté internationale. Pourtant ce programme a commencé sous le règne de Mohammad Reza Pahlavi, le dernier shah d’Iran, sans poser de problème dans les relations entre ce pays et ses partenaires internationaux. Comment peut-on expliquer ce changement d’attitude de la part de la communauté internationale ? Ardeshir Zahedi, ancien ministre iranien des Affaires étrangères (1966-1973), a signé, au nom de son pays, le Traité de non-prolifération (TNP). Très proche de Mohammad Reza Shah, dernier ambassadeur d’Iran aux Etats-Unis (1973-1979), Ardeshir Zahedi fut l’un des hommes les plus influents en Iran avant la révolution islamique de 1979. Il estime que l’accès à la technologie nucléaire est le droit de tout adhérent au Traité.

RFI : A quand remonte l’idée d’un programme nucléaire en Iran ?

Ardeshir Zahedi : C’est au début des années 50, que l’Iran s’est intéressé à la technologie nucléaire. Il s’agissait, essentiellement, d’un programme de recherche universitaire limité. Lors d’un voyage officiel en Inde en 1956, Sa Majesté feu Mohammad Reza Shah Pahlavi, a été invité par les autorités indiennes à visiter les installations nucléaires de ce pays. Cette visite, à laquelle j’ai assisté, a encouragé le roi dans sa décision de développer la technologie nucléaire civile en Iran. Quelques années plus tard, en compagnie du Shah, nous avons visité les équipements nucléaires allemands et avons engagé, avec ce pays, des négociations de coopération sur ce sujet. Dans la même période, les Russes aussi nous ont fait visiter leur programme.

RFI : Quel était à cette époque le véritable objectif du programme nucléaire iranien ?

A. Z. : L’objectif était de trouver une source d’énergie substitutive au pétrole. Le roi disait toujours que si le pays continuait à exploiter son pétrole au rythme d’alors, un jour il serait obligé d’en acheter à l’étranger pour ses besoins. Il souhaitait recourir à la technologie nucléaire civile pour la production de l’énergie et utiliser le pétrole dans la fabrication des produits plus valorisants. L’objectif du programme nucléaire iranien n’était pas militaire. Mais, il est évident que lorsqu’on développe la technologie nucléaire civile, le volet militaire deviendra forcément accessible. Si on maîtrise la connaissance fondamentale de cette technologie, le développement viendra sûrement un jour. C’est un peu plus long et un peu plus difficile mais c’est dans la continuité des choses. Et si on peut obtenir le nucléaire militaire sous le contrôle international il ne devrait pas y avoir de problème. Regardez autour de l’Iran : Israël, l’Inde et le Pakistan n’ont jamais signé le TNP et sont aujourd’hui des puissances nucléaires. C’est pourquoi je pense qu’il y a là ce que l’on appelle deux poids deux mesures et ce n’est pas juste. Comme je suis persuadé que l’Iran est dans son droit inaliénable d’accéder à cette technologie, je pense que la seule solution serait le dialogue et la négociation.

RFI : Si la maîtrise de la technologie nucléaire aboutit facilement à la capacité nucléaire militaire, les Occidentaux devaient s’attendre, dès le départ, à ce que l’Iran accède un jour au nucléaire militaire. Comment peut-on expliquer leurs inquiétudes d’aujourd’hui ?

A.Z. : L’Inde et le Pakistan, qui n’ont même pas signé le TNP, ont plusieurs accords de coopération nucléaire avec les Occidentaux. Il s’agit de deux pays en conflit depuis plusieurs décennies. Il est surprenant qu’aujourd’hui le nucléaire iranien soit considéré comme un danger pour les Etats-Unis. Dans les années 70, deux personnalités américaines m’ont dit que leur pays était au courant du programme nucléaire militaire pakistanais. C’était une façon pour me faire comprendre que la voie était libre pour l’Iran aussi.

RFI : Mais, alors comment expliquez–vous la tension actuelle dans les relations entre l’Iran et la communauté internationale. Est-ce les objectifs du programme nucléaire iranien qui ont changé ou la politique de la communauté internationale à l’égard de ce pays ?

A.Z. : Quand la course à la maîtrise et au développement de la technologie nucléaire a commencé entre les grands pays industriels : les Etats-Unis, l’Allemagne, la France, la Grande-Bretagne,… chacun tentait d’établir en la matière une coopération avec l’Iran et en même temps nous mettait des bâtons dans les roues pour, en réalité, empêcher l’autre d’obtenir des contrats et de développer son industrie nucléaire. Il y avait une concurrence entre les pays et les projets proposés par l’un présentaient toujours des défauts pour l’autre. Mais, cela a évidemment changé avec la révolution islamique en Iran. Le ton a fortement monté.

RFI : Le président iranien, Mahmoud Ahmadinejad, a menacé de faire sortir son pays du Traité de non-prolifération et cesser ses collaborations avec l’Agence internationale de l’énergie atomique. Dans ce cas quelles seraient les conséquences pour l’Iran ?

A.Z. : Dans la diplomatie et les relations internationales il faut éviter les déclarations intempestives et les mensonges. Le dialogue, la négociation et la sincérité forment la base de la diplomatie. Ce monsieur fait beaucoup de déclarations. Il ne faut pas lui donner trop d’importance. Il faut faire la différence entre les slogans, les menaces et les vrais actes diplomatiques. Ceci étant, rien ne l’empêche de retirer l’Iran du TNP. Il y a des pays qui n’ont jamais signé le TNP et qui n’ont aucun problème pour développer leur programme nucléaire.

RFI : Croyez-vous à une attaque militaire contre l’Iran ?

A.Z. : Une attaque américaine contre l’Iran, aggraverait la situation et ce serait une fois de plus le peuple iranien qui devrait en payer le prix. Dans ce cas, c’est une guerre contre un autre pays et c’est contraire au droit international. L’Iran n’est pas dans la même situation géopolitique que l’Irak ou l’Afghanistan alors cette attaque serait contre productive : la situation au Moyen-Orient se détériorerait, cela mettrait en danger la paix dans la région et en Asie. Et comme je suis persuadé qu’il reste encore des gens intelligents dans le monde j’espère qu’on n’aura pas à voir cette situation. Je ne veux pas que mon pays subisse la situation qui règne actuellement en Irak ou en Afghanistan. Alors il faut que la Chine, l’Europe, la Russie, les Etats-Unis et l’Iran se mettent autour d’une table et négocient.

RFI : N’est-ce pas la nature du régime iranien qui pose problème aux Occidentaux ? Si le régime de Téhéran était un régime démocratique, ou si un changement du régime devait survenir en Iran, cela provoquerait-il un changement de l’attitude de la communauté internationale ?

A.Z. : D’abord, le changement du régime doit se faire par les Iraniens qu’ils soient à l’intérieur ou l’extérieur du pays. Si le régime change avec les attaques étrangères la situation va être encore pire qu’aujourd’hui et le régime sera renforcé parce que les Iraniens, pour ou contre le régime islamique, n’accepteront pas une invasion des étrangers dans leur pays. D’un autre côté, je ne suis pas sûr qu’en cas de changement du régime, la communauté internationale soit prête à laisser l’Iran user de son droit au nucléaire. Alors je pense qu’il y a une hypocrisie de la part de certains Occidentaux.

Propos recueillis par Darya  Kianpour

Article publié le 01/05/2006Dernière mise à jour le 01/05/2006 à TU

Dossiers

Iran : le défi nucléaire