Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Nucléaire iranien

L’appel au Grand Satan reste lettre morte

Les présidents Ahmadinejad et Bush.(Photo : DR/AFP)
Les présidents Ahmadinejad et Bush.
(Photo : DR/AFP)

Dans un geste spectaculaire – une première depuis 26 ans -, le président iranien a écrit à son homologue américain. Mahmoud Ahmadinejad propose à George Bush « de nouveaux moyens » pour faire baisser les tensions dans le monde. Mais, selon Washington - qui ne répondra pas officiellement à la lettre -, il s’agit d’une manœuvre visant à diviser davantage la communauté internationale sur l’épineux dossier du programme atomique de Téhéran. Les grandes puissances ont de nouveau échoué à s’entendre sur d’éventuelles sanctions.


Lundi soir, dans un grand hôtel de New York, les ministres des Affaires étrangères russe, chinois, britannique, allemand et français accompagnés du représentant diplomatique de l’Union européenne s’apprêtaient à dîner, conviés par la secrétaire d’Etat américaine Condoleezza Rice. Le rendez-vous devait être consacré à l’examen d’une résolution élaborée par Londres et Paris avec le soutien de Washington, et destinée à contraindre Téhéran à renoncer, sous peine de sanctions, à ses activités nucléaires sensibles.

C’est, très opportunément, à quelques heures de cette réunion qu’un courrier a été envoyé à George Bush par Mahmoud Ahmadinejad. Le chef de la diplomatie iranienne, Manoucher Mottaki, l’a remis à l’ambassadeur de Suisse à Téhéran, Etats-Unis et Iran n’ayant plus de relations diplomatiques depuis la prise d’otages de l’ambassade américaine en 1980.

Cette lettre, qualifiée d’« historique » par de nombreux observateurs, marque une rupture avec 26 années d’absence de contacts officiels directs, un quart de siècle de menaces et de tension. D’un côté, le « Grand Satan » américain, de l’autre l’Iran, pilier de l’« Axe du mal », selon George Bush.

« Les enseignements des prophètes »

Dans ces dix-huit pages rédigées en anglais, le très conservateur président de la République islamique d’Iran s’adresse à son homologue américain, mêlant incantations religieuses et accusations diplomatiques. Tout en fustigeant la politique étrangère des Etats-Unis, notamment au Proche-Orient et en Irak, Mahmoud Ahmadinejad défend son programme nucléaire et suggère à George Bush de s’en remettre « aux enseignements des prophètes » pour rétablir la confiance entre les deux pays.

Le président iranien réitère également ses attaques contre le Conseil de sécurité des Nations unies et l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), accusés par Téhéran d'être de simples instruments aux mains des grandes puissances. « Les peuples du monde n'ont pas foi dans les organisations internationales, parce que leurs droits ne sont pas défendus par ces organisations », écrit Mahmoud Ahmadinejad.

Les convives de Condoleezza Rice -parmi lesquels les ministres français et chinois des Affaires étrangères, Philippe Douste-Blazy et Li Zhaoxing- sont restés divisés sur l'attitude à adopter vis-à-vis de l'Iran.(Photo : AFP)
Les convives de Condoleezza Rice -parmi lesquels les ministres français et chinois des Affaires étrangères, Philippe Douste-Blazy et Li Zhaoxing- sont restés divisés sur l'attitude à adopter vis-à-vis de l'Iran.
(Photo : AFP)

Malgré son importance diplomatique, la lettre, aux dires des participants à la réunion de New York, n’a pas été discutée officiellement. Les Etats-Unis ayant visiblement décidé de minimiser la portée du geste iranien, seule Condoleezza Rice l’« a évoquée brièvement », selon le département d’Etat qui estime que le message iranien ne contient rien de nouveau. « Rien dans la lettre, a déclaré Frederick Jones, porte-parole du Conseil national de sécurité du président Bush, ne répond aux problèmes en cours entre l’Iran et la communauté internationale. »

Téhéran félicite Moscou et Pékin

En tout cas, les protagonistes de la réunion de New York n'en sont pas moins restés divisés sur le contenu d'un projet de résolution sur l'Iran. La Chine et la Russie, importants partenaires économiques et énergétiques de Téhéran, restent opposées à une référence au chapitre VII de la charte des Nations Unies, qui ouvre la voie à des sanctions, voire, en dernier recours, à une intervention militaire. Les Occidentaux, qui soupçonnent Téhéran de vouloir acquérir l'arme nucléaire avec son programme d'enrichissement de l'uranium, ce que l'Iran dément, souhaitent au contraire un texte contraignant.

Le porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères a appelé toutes les parties au calme et réitéré la position de Pékin : « La Chine est opposée à l'utilisation de sanctions ou de la force dans le règlement des affaires internationales. » Attitude analogue de Moscou : « Les négociations, y compris des pourparlers directs entre les grandes puissances et l'Iran, doivent se poursuivre pour sortir de l'impasse sur le programme nucléaire de Téhéran », a estimé le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov.

En revanche, le ministre français des Affaires étrangères Philippe Douste-Blazy a noté que Téhéran avait accéléré son programme atomique au lieu de le suspendre. « L'attitude de l'Iran, a-t-il dit, crée une situation préoccupante pour l'ensemble de la communauté internationale. » Après plus de trois heures de discussions infructueuses, un haut responsable américain a conclu : « Les chances d'un accord cette semaine ne sont pas bonnes. » Ce qui a conduit Ali Larijani, responsable iranien chargé du dossier nucléaire, à féliciter mardi Pékin et Moscou. « Nous pouvons estimer que certains pays se conduisent de manière plus réaliste », a-t-il déclaré, citant « la Chine et la Russie ».


par Philippe  Quillerier

Article publié le 09/05/2006 Dernière mise à jour le 09/05/2006 à 16:38 TU

Dossiers

(Conception : RFI)