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Santé

La corruption qui tue

La santé, un marché de 3 000 milliards de dollars par an.(Source : Transparency international)
La santé, un marché de 3 000 milliards de dollars par an.
(Source : Transparency international)
Publié en français le 10 mai, le dernier Rapport mondial sur la corruption de Transparency International (TI) s’est donné pour thème central la corruption dans le secteur de la santé. Le marché planétaire de la santé brasse en effet chaque année plus de 3 000 milliards de dollars. Il intéresse de plus en plus la grande criminalité internationale aussi bien que les fraudeurs de moindre envergure, infirmiers, médecins, administrateurs, entreprises du bâtiment ou fabricants qui détournent fonds ou matériel, font payer des services officiellement gratuits, maximisent abusivement leurs profits, truquent les marchés publics, fabriquent ou distribuent des contrefaçons de médicaments. 

Aucun pays n’est épargné par la gangrène qui vérole le secteur de la santé. Et cela, à des niveaux divers, selon le degré de contrôle des réseaux de soins, de distribution des produits pharmaceutiques ou d’assurances maladie, mais toujours au mépris des patients et des contribuables qui financent les services publics. «Quelle que soit la nature du système de santé en vigueur, public ou privé, simple ou complexe, démuni ou bien doté, la corruption opère», souligne Thierry Beaugé, évoquant l’opacité qui entourent les multiples protagonistes d’un secteur dans lequel «les médecins en savent plus que les patients et les laboratoires plus que les médecins». Or, si pour les malades la santé peut être une question de vie ou de mort, pour les Etats, c’est toujours une affaire d’équilibre budgétaire et pour les industriels c’est de profit qu’il s’agit, pour les praticiens aussi, souvent.

Conflits d'intérêts

En France, «on ne parle jamais d’argent en matière médicale alors qu’il n’est question que de ça», relève Jean de Kervasdoué aujourd’hui professeur d’économie de la santé au Conservatoire national des arts et métiers. Ancien directeur des hôpitaux, il s’est attaché il y a quelques années à cartographier une pathologie cardiaque courante en France, l’infarctus du Myocarde, pointant aussi bien le nombre de cardiologues que celui des consultations et des interventions cliniques qui lui étaient liée dans une période donnée. Il a noté selon les départements une double modulation des revenus des praticiens jouant sur le prix des consultations (du simple au double selon le nombre d’acte requis) et sur le nombre des consultations par patient et par an.

Les Français consomment deux fois plus de médicaments que les Néerlandais par exemple, souligne Jean de Kervasdoué. Pourtant, la croissance de la consommation de médicaments n’est nullement corrélée avec une quelconque augmentation de la longévité, ajoute-t-il. Au passage, il accuse l’industrie pharmaceutique d’inventer de nouvelles et incurables maladies, à grand renfort de marketing. Le «disease mongoring» (le bidouillage de maladies) est manifestement une valeur montante au Nord. Jean de Kervasdoué cite à cet égard l’usage grandissant des médicaments anti-cholestérol et les psychotropes en France, qui traitent des facteurs de risques et non plus des maladies, sans parler du Viagra pour femmes qui occupe certains laboratoires de recherche.

Aux Etats-Unis, avant son retrait du marché pour ses effets secondaires, l’analgésique Vioxx avait bénéficié aux Etats-Unis d’une campagne publicitaire grand public dotée d’un budget équivalent à celui consacré par Pepsi-Cola à promouvoir son breuvage gazeux. Entre les besoins réels des patients, la viabilité des services de santé publics et les appétits mercantiles de l’industrie pharmaceutique, les conflits d’intérêts posent la question des médicaments inaccessibles aux malades du Sud et creusent, en France par exemple, le «trou» de la Sécurité sociale. Selon Jean de Kervasdoué, en 2005, le déficit de la caisse française d’assurance maladies représentait «exactement le montant nécessaire pour traiter le sida et la tuberculose en Afrique».

A ces conflits d’intérêts, s’ajoutent parfois dans les pays du Nord des fraudes aux assurances maladies. Ces malversations sont particulièrement juteuses là où le marché public de la santé correspond à un pouvoir d’achat moyen significatif. De leur côté, les détournement de fonds ou de médicaments affectés à la santé publique, les truquage des marchés publics à l’occasion de la construction d’infrastructures sanitaires ou de l’achat de matériels sophistiqués sont des pratiques répandues sur l’ensemble de la planète. Accréditation ou certification d’une installation, mais aussi accès à des services de soins censés être gratuits sont aussi un peu partout l’occasion propice à des extorsion de fonds sous forme de dessous-de-table. C’est particulièrement fréquent au Sud comme l’indiquent plusieurs études sectorielles de TI dans les pays d’Europe de l’Est, en Amérique du Sud, en Asie et en Afrique.

Services gratuits monnayés

Au Kenya par exemple, une enquête internationale a prouvé que les 48 millions de dollars d’aide britannique alloués au Conseil national de lutte contre le sida (NACC) étaient passés dans la poche de hauts-fonctionnaires kényans dont le Nacc était devenu la vache à lait. En Europe de l’Est, ce sont les médecins qui se font verser un complément de salaire informel pour multiplier leurs revenus, par dix parfois, comme en Bulgarie. Au Maroc, pour entrer à l’hôpital public et ensuite, souvent, pour recevoir des soins, il faut payer. Au Cambodge, ce sont aussi les postes de directeurs au ministère de la Santé qui se négocient jusqu’à 100 000 dollars, avec bien sûr, pour l’impétrant un espoir de retour sur investissement à plusieurs zéros.

En fin de compte, ce sont les plus pauvres qui paient le plus cher puisque leur vie est très fréquemment mise directement en danger par des pratiques qui séduisent de plus en plus la grande criminalité internationale. Impuissants face aux diktats des grandes compagnies de l’industrie pharmaceutiques, ils vivent le plus souvent dans des régions qui cumulent les facteurs de risques : mauvaise gouvernance, misère économique, pénurie et dénuement des systèmes de santé, absence de contrôle des services sanitaires et des réseaux de distribution de produits pharmaceutiques, faible niveau d’information etc. C’est au Sud que fleurissent les réseaux organisés de médicaments détournés de leur usage ou pis encore de produits pharmaceutiques contrefaits.

Certains faux médicament sont de simples placebos, c’est-à-dire, des compositions sans principe actif. Dans ce cas, le patient risquera quand même de mourir, faute de traitement, alors qu’il croit se soigner. Au Nigeria, où le problème reste endémique malgré des progrès considérables enregistrés depuis l’arrivée en 2000 de Dora Akunyili à la tête de l’Agence de contrôle des produits pharmaceutiques (NAFDAC), certains produits contrefaits sont fabriqués avec «du lactose, de la craie ou de l’huile d’olive, des préparations à bases d’herbes toxiques sont mélangées à des produits orthodoxes, des médicaments périmés sont ré étiquetés».

Mortelles contrefaçons

Certains faux médicaments sont fabriqués et mis en boîtes ou en flacons sous des appellations fantaisistes ou effectivement répertoriées par les services pharmacologiques habilités. C’est dire qu’il existe des chaînes de fabrication clandestines qui font métier de copier l’habillage des produits pharmaceutiques au mépris du contenu moléculaire des produits. Des corrompus locaux se chargent de les injecter dans les circuits de distribution locaux mal surveillés. Faux antipaludéens au Cameroun, faux anti-biotiques en République démocratique du Congo, ces contrefaçons ne sont pas seulement en vente libre dans des boutiques de marabouts. Elles entrent aussi dans les pharmacies et les hôpitaux, contribuant par leur inefficacité à la propagation des maladies qu’elles sont censées traiter. Au Nigeria, Dora Akunyili cite «un traitement vital par l’adrénaline remplacé par de l’eau». Un crime.

Si le crime organisé investit le marché de la santé, c’est qu’il n’est pas aussi lourdement sanctionné que le trafic de drogue par exemple. Du reste, selon la commissaire de police française Valérie Maldonado, chef de la brigade centrale de lutte contre la contrefaçon, les industriels du médicament ne sont pas très prolixes sur la question, question d’image de marque et tradition du secret sans doute. Elle évoque toutefois la plainte déposée par un laboratoire français qui a découvert qu’un concurrent a repris ses anciennes boîtes et son ancien label pour conditionner des vaccins anti-cholérique vendus au Cameroun. L’affaire est en cours. Elle exige une coopération internationale.

Une affaire de lentilles de contact contrefaites a été révélées par des opticiens abusés par leur fournisseur qui imitait la marque américaine dont ils se croyaient clients. Les fausses lentilles étaient made in China et arrivaient en France via Israël. Tous ces réseaux tirent des bénéfices énormes de produits dont le prix de fabrication est dérisoire puisqu’ils ne valent rien. C’est ainsi qu’un Pakistanais a longtemps fabriqué en France une crème à la cortisone mise en boîte en Pologne et qui se vendait tout particulièrement bien parmi les Afro-Antillais de Paris pour ses vertus réelles ou supposées dans le blanchiment de la peau. Les pharmacies ne délivrent ce genre de crème que sur ordonnance et les médecins ne la prescrivent bien évidemment pas pour ce très dangereux usage.

Au final, par action ou par omission, le charlatanisme médical tue. La ruine lente ou rapide des services de santé publics a également des effets désastreux sur la vie des plus modestes. Paradoxalement, l’aisance accrue des populations qui voient leur espérance de vie s’allonger dans certains pays et ne les met pas non plus à l’abri des criminels attirés plus que jamais par le filon de la santé.


par Monique  Mas

Article publié le 11/05/2006 Dernière mise à jour le 11/05/2006 à 18:09 TU