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interview

Nucléaire iranien

«Le régime cherche le conflit pour bâillonner la société»

Parviz Varjavand : «<em>la société iranienne est dans un état d’implosion</em>».DR
Parviz Varjavand : «la société iranienne est dans un état d’implosion».
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Installé à Téhéran, l’universitaire Parviz Varjavand est l’un des rares opposants à oser prendre la parole contre le régime. Il dénonce la fuite en avant du pouvoir de Téhéran sur la question nucléaire. Une politique motivée, selon lui, par la volonté de masquer les tensions internes qui traversent le pays. Professeur d’histoire et de civilisation iraniennes, chercheur en science politique, ministre de la Culture dans le gouvernement provisoire (1979), Parviz Varjavand est actuellement membre du conseil dirigeant et porte-parole du Front national (coalition des forces politiques du centre gauche fondée en 1949 par Mohammad Mosadegh, ancien Premier ministre de 1951 à 1953), parti politique interdit en Iran.

RFI : Les autorités iraniennes placent le programme nucléaire en tête de leurs projets et préoccupations stratégiques et politiques. La priorité accordée à ce programme se justifie-t-elle ?

Parviz Varjavand : Le régime a mis toutes ses forces et tout son pouvoir dans son programme nucléaire comme si tous les nombreux problèmes et les insuffisances graves du pays pouvaient être solutionnés par le nucléaire. Il s’agit d’une stratégie irrationnelle qui a conduit l’Iran dans une crise grave et a privé le pays des avantages et occasions bénéfiques que lui offre sa situation géopolitique.

RFI : Y a-t-il un consensus entre les différentes factions du pouvoir à propos du programme nucléaire ?

P.V. : Il y a deux courants au sommet de l’Etat. Le premier, revenu au pouvoir après plusieurs années, trouve dans la question nucléaire une occasion pour réaffirmer sa position radicale et créer une situation de tension extrême pour mieux s’imposer. Le deuxième groupe composé essentiellement de personnalités pragmatiques ne souhaite pas que la crise nucléaire aboutisse à l’adoption d’une résolution contre l’Iran par le Conseil de sécurité des Nations unies. Ainsi il n’y a pas de consensus au sein des instances de pouvoir sur ce sujet.

RFI : Certains observateurs pensent que l’attitude des responsables iraniens sur la question nucléaire est plutôt dictée par les préoccupations de politique interieure permettant au régime de se consolider. Qu’en pensez-vous ?

P.V. : Ceux qui gouvernent actuellement l’Iran sont incapables de répondre aux besoins fondamentaux du pays, d’obtenir la confiance réelle de la population et assurer leur participation effective aux affaires publiques. Le pouvoir exécutif est aux mains d’un clan particulier qui non seulement exclut de toute participation les spécialistes iraniens indépendants, mais ne tolère même pas que ceux qui ont pris part à l’exercice du pouvoir durant ces deux dernières décennies puissent aujourd’hui s’associer à la gestion du pays. Pour consolider sa position à l’intérieur du pays, ce clan cherche à créer un conflit avec l’extérieur de façon à imposer à la société le silence et l’obéissance.

RFI : Est-ce que les opinions divergentes de celle de la ligne officielle trouvent la possibilité de s’exprimer ?

P.V. : Alors que la communauté internationale manifeste son mécontentement à l’égard du pouvoir en Iran, les autorités iraniennes font tout pour empêcher que la voix des vrais opposants soit entendue à l’extérieur ainsi que par le peuple iranien. La grande majorité des journaux en Iran est contrôlée directement ou indirectement par le pouvoir politique et les diverses factions du régime. Quelques autres par crainte de suspension ou d’interdiction véhiculent certaines idées prudentes qui, tout en exprimant une opinion un peu différente, ne dérangent pas le pouvoir. Ainsi les médias nationaux, outre la diffusion de la ligne officielle, reflètent de façon sélective l’opinion de ceux qui à l’extérieur vont dans le même sens. Et malheureusement, certains médias basés à l’étranger et destinés à l’Iran ne font que reproduire ce même discours.

RFI : Alors comment une voix opposée peut-elle se faire entendre ?

P.V. : C’est le problème de notre pays. Dans une société où il n’est pas possible de dire non, où il est interdit de ne pas être d’accord avec la politique du gouvernement, où il n’y a aucune tribune et aucun moyen d’expression pour les opposants, où les partis politiques d’opposition n’ont pas le droit d’éditer des journaux, de manifester ou d’organiser des rassemblements pour faire partager leurs opinions avec la population, comment voulez-vous qu’une opinion opposée puisse librement s’exprimer. A force de tout interdire le régime a non seulement entraîné la société dans une vaste crise mais s’est conduit dans une impasse où lui-même est confronté à des menaces dépassant ses propres ressorts.

RFI : La communauté internationale est convaincue que le principal objectif du programme nucléaire iranien est militaire. Au-delà de la position politique à l’égard du pouvoir en Iran, que pense la population à ce sujet ?

P. V. : L’opinion internationale est formée à partir des déclarations des responsables iraniens. Il s’agit le plus souvent de déclarations irresponsables qui renforcent la conviction de la communauté internationale. L’Iran est un vaste et important pays qui du fait de ses positions géostratégique et géopolitique et de ses ressources naturelles peut accéder au rang d’une puissance régionale et compter sur la scène internationale sans recourir au nucléaire militaire. Devenir une « demi-puissance » nucléaire n’aura pour effet que d’instaurer une méfiance dans nos relations avec les pays voisins et de les pousser à se placer sous le parapluie sécuritaire des grandes puissances. Ainsi, la majorité du peuple iranien, non seulement, n’approuve pas cette politique mais, tenant compte de l’hostilité de la communauté internationale à cet égard, doute de la capacité du pouvoir actuel à réaliser, sans trop de casse, ses desseins.

RFI : La question nucléaire a relégué les principaux problèmes du pays au second plan. Est-ce durable ?

P. V. : En ce qui concerne les problèmes majeurs du pays, le régime se trouve déjà dans l’impasse. Il suffit de comparer notre économie, notre état de développement, la situation de nos infrastructures, notre organisation sociale avec ceux des autres pays de la région pour s’en rendre compte. Comparez notre situation avec celle des petits émirats du golfe Persique qui quelques décennies auparavant ne formaient que des oasis méconnus. Durant ces années, l’Iran a perdu son rang international, son économie s’est gravement affaiblie, le chômage ronge la société. La prostitution, la toxicomanie, les délits et crimes sont devenus monnaie courante. La société est dans un état d’implosion. Et dans le même temps, les manifestations ouvrières sont réprimées, un petit rassemblement de femmes dans un parc est violemment dispersé. La majorité de l’élite iranienne quitte le pays. Ceux qui restent sont confrontés à des intimidations de toute sorte. Ainsi la société est déjà dans l’impasse même si les manifestations apparentes de cette crise sont pour l’instant contenues par la force. 


Propos recueillis par Darya  Kianpour

Article publié le 19/05/2006 Dernière mise à jour le 19/05/2006 à 09:09 TU

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