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Chronique Médias

L’affaire Clearstream et la violation du secret de l’instruction

Amaury de Rochegonde
Amaury de Rochegonde

Les journaux ont été nombreux depuis le début de cette affaire à publier des pièces ou le compte-rendu d’auditions qui relève, comme on dit, du secret de l’instruction. Cela a notamment été le cas du Monde, qui a révélé les carnets du général Rondot, de L’Express qui a divulgué le texte intégral de la déposition du général Rondot ou encore du Nouvel Observateur qui a, lui, donné les pages manquantes des carnets du général Rondot. Si ledit général n’était un expert du renseignement et, donc, un manipulateur possible, on ne pourrait que saluer ce travail d’investigation qui, bien entendu, fait vendre du papier. En attendant, c’est ce type de révélations qui permet aujourd’hui au gouvernement d’ouvrir une instruction pour « violation du secret de l’instruction ». Le 12 mai, le ministre de la Justice Pascal Clément a diligenté l’ouverture d’une information judiciaire contre 18 articles de presse parus du 14 avril au 12 mai. Les poursuites contre des journaux viennent ainsi de celui-là même qui avait annoncé en janvier dernier, lors de ses vœux, vouloir inscrire le droit à la protection des sources d’information dans la loi sur la presse de 1881.

Ce droit est aujourd’hui reconnu par le code de procédure civil et par la Convention européenne des droits de l’Homme mais le pouvoir, quand il se sent malmené, est toujours en mesure de lui opposer le secret de l’instruction qui est d’ailleurs une sorte d’abus de langage. Car, dans la loi française, le secret de l’instruction ne s’applique pas aux journalistes mais aux personnes concourrant à l’enquête comme les juges, les policiers, les procureurs... Dès l’audition d’un témoin, une quarantaine de personnes sont à chaque fois concernées et comme dit le juge Eric Halphen, très vite, le secret n’existe plus. Il est donc assez aisé pour les journalistes d’avoir accès au dossier notamment par les avocats qui ont tout intérêt à leur rendre service s’ils veulent s’assurer une carrière un peu médiatique. Finalement, l’accusation de violation d’un secret est surtout un moyen pour le pouvoir de faire pression sur les journalistes. La dernière astuce étant d’accuser les médias de recel de violation puisqu’ils publient des documents qui sont supposés être couverts par le secret de l’instruction.

Les médias s’attendent donc à des perquisitions pour déterminer l’origine des fuites. Jean-Marie Colombani, le patron du Monde a prévenu le 13 mai : « Ne soyez pas surpris, dans les jours qui viennent, si nous devons subir des perquisitions ou d’autres faits de justice manifestement déclenchés à la demande du pouvoir pour nous intimider ». Comme l’explique Dominique Pradalié, secrétaire général du Syndicat national des journalistes, on cherche ainsi à faire coup double en faisant pression sur la presse et sur les sources elles-mêmes. Mais la presse a-t-elle pour autant intérêt à crier au scandale. Il ne faudrait pas que l’affaire Clearstream se transforme en débat sur la question de la protection des sources car, comme dit Dominique Pradalié, « plus on ramifie une histoire, moins on vise le centre ». Et, justement, si l’on voulait créer des histoires dans l’histoire, on ne s’y prendrait pas autrement. Après le général Rondot, la presse s’est intéressée la semaine dernière - avec moult portraits et interviews - à la personnalité de Jean-Louis Gergorin, ancien numéro 2 d’EADS. A travers ses révélations successives qui se complètent et se contredisent, on voit que l’affaire Cleartream a aujourd’hui ses personnages qui se jouent d’elle par médias interposés.

 

En partenariat avec l’hebdomadaire Stratégies.



par Amaury  de Rochegonde

[22/05/2006]

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