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Ouganda

Joseph Kony prêche la paix sur DVD

Un mandat d'arrêt international a été lancé contre Joseph Kony en 2005.(Photo : AFP)
Un mandat d'arrêt international a été lancé contre Joseph Kony en 2005.
(Photo : AFP)
C’est une première en vingt ans de guerre que cette réapparition sur DVD du prophète autoproclamé de l’Armée de résistance du seigneur (LRA), Joseph Kony. Réalisé trois semaines plus tôt, l’enregistrement montre le patron du mouvement mystico-militaire recevant 20 000 dollars en liquide des mains de Riek Machar, le vice-président du gouvernement autonome du Sud-Soudan. Scellant ainsi la réconciliation entre l’Armée (devenue Mouvement) de libération du peuple soudanais (SPLA), dont il était le numéro deux, avec la LRA, Riek Machar s’offre en médiateur d’éventuelles négociations inter-ougandaises. Ebranlé par la nouvelle configuration soudanaise mais aussi par le mandat international qui le poursuit pour crimes de guerre, Joseph Kony répond qu’il veut lui aussi la paix.

«Vingt mille dollars ? OK. Achète-toi à manger avec ça, pas des munitions», plaisante Riek Machar en tendant une enveloppe gonflée à Joseph Kony qui s’est fait accompagner par Vincent Otti, vice-président et commandant en second de la LRA. «Les gens ne me connaissent pas, je ne suis pas un terroriste, je veux aussi la paix», assure Joseph Kony. Visiblement, le possédé du Saint-Esprit n’est pas insensible à la tournure terrestre des événements militaires et judiciaires. Les deux fidèles de la prêtresse acholi Alice Lakwena - la fondatrice du Mouvement du Saint-Esprit (1986-1997), l’ancêtre de la LRA -, Kony et Otti sont en effet poursuivis depuis le 8 juillet 2005 par des mandats d’arrêts lancés par la Cour pénale internationale (CPI) pour crimes de guerre et contre l’humanité.

Enlèvements d’enfants transformés en chair à canon ou en esclaves domestiques et sexuels, mise à sac de villages ou de camps de déplacés, la LRA entendait sonner l’heure du jugement dernier en semant la terreur, chassant devant elle près de deux millions d’Ougandais qui ne sont toujours pas à l’abri de ses exactions. Alice Lakwena hors-jeu et en exil au Kenya après sa défaite militaire de novembre 1997, l’armée gouvernementale n’en avait pas fini avec sa mouvance sanguinaire. Celle-ci se réclame d’une lecture toute particulière de la Bible, moyennant vingt commandements, toutes sortes d’esprits acholi mais aussi islamiques voire coréens, mais aussi une eau magique imperméable aux balles. Avec Joseph Kony, la LRA est sortie toute armée de l’ombre d’Alice Lakwena. Le président ougandais Yoweri Museveni a toujours préconisé une option exclusivement militaire pour en finir avec lui, paraissant toutefois se raviser lorsque l’adversaire semblait faiblir.

L'étau se resserre

Un temps, il y a quelques années, Museveni avait imaginé de jouer Lakwena contre Kony, offrant le gîte et l’amnistie aux repentis du Saint-Esprit. Sans succès concernant Kony et ses sbires, le Sud-Soudan demeurant une base arrière solide pour la LRA. Kony bénéficiait alors de l’appui de Khartoum en froid avec Kampala qui soutenait de son côté la SPLA. Le 30 janvier 2005, la donne a complètement changé avec l’accord de paix soudanais entre le Nord et le Sud dont l’administration civile et militaire est désormais aux mains de la SPLA. En outre, en Ouganda, la LRA n’est plus du tout en odeur de sainteté dans les terres acholi qu’elle a dévastées avec une cruauté indescriptible et où elle recrute de force. Certes les villageois sans défense ne trouvent guère de secours efficace du côté de l’armée gouvernementale. Mais sur le terrain militaire, l’étau régional s’est resserré et la LRA ne peut plus négliger les foudres judiciaires internationales qui la menacent.

Bien évidemment, Riek Machar a promis à Joseph Kony qu’il ne cherchait pas à l’attirer dans un traquenard pour le livrer à la CPI. L’entrevue qui vient d’être révélée s’est passée en brousse, la semaine dernière. Elle est intervenue après un communiqué signé le 17 mai par Museveni et promettant d’assurer la sécurité de Kony s’il déposait les armes. Fin 2004, le président ougandais avait déjà décrété un cessez-le-feu unilatéral de 47 jours, après des conciliabules forestiers entre des représentants du gouvernement et divers émissaires de la LRA, Kony restant invisible comme à son habitude. Début 2005, les combats avaient repris aussi férocement qu’à l’accoutumée. A l’époque, la saisine de la CPI par Museveni (en janvier 2004) avait servi de moyen de pression, Alice Lakwena demandant de son côté à rentrer au pays.

Aujourd’hui, Joseph Kony n’a plus les mains libres au Soudan. Il peut même craindre pour sa sécurité, ses approvisionnements militaires se tarissant et un nouveau front s’ouvrant sur ses arrières. En outre, le 8 juillet 2005, la CPI a finalement délivré cinq mandats d’arrêts internationaux contre lui et quatre de ses proches (l’un d’entre eux est mort depuis). Leurs dossiers sont accablants. Ils constituent aussi les premières affaires de crimes imprescriptibles traitées par une cour à compétence universelle qui entend faire ses preuves le plus rapidement possible. Museveni n’a jamais manqué de s’en servir pour battre le froid et le chaud à l’égard de la LRA, mais aussi pour justifier les investissements militaires qui garantissent son régime. Les Soudanais du Sud ont eux-aussi maintes raisons de vouloir piéger la LRA qui n’a pas fait de quartier dans leur région. Reste que, pragmatiques, Soudanais et Ougandais sont prêts à tout pour neutraliser l’imprévisible et insaisissable Kony.

Kony se méfie

Le scénario libérien, qui a vu l’ex-président Charles Taylor transiter au Nigéria avant d’être remis par les siens au tribunal mixte de Sierra Leone, a sans doute de quoi inspirer Yoweri Museveni et Riek Machar. Mais dans l’immédiat, comme au temps de l’asile provisoire accordé par le président Nigérian Olusegun Obasanjo à Charles Taylor, la perspective de négociations inter-ougandaises est plutôt une mauvaise nouvelle pour la CPI. Reste qu’au-delà de Kony et de ses principaux séides, c’est toute une galaxie de guérilleros qu’il s’agit de désarmer. Yoweri Museveni connaît la musique. Riek Machar aussi. Pour sa part, Joseph Kony a voulu se montrer et faire entendre le son de sa voix. «Il n'est pas dans notre intérêt de combattre la SPLA», observe-t-il dans le DVD. «Il n'y aura pas d'échanges de tirs entre notre peuple et votre peuple», promet-il à Riek Machar. Quant à Yoweri Museveni, «je n'ai pas de problèmes avec lui, il est vraiment possible d'en finir avec cette guerre», assure Kony qui se méfie quand même des intentions de son vieil adversaire.

Personne ne l’ayant jamais vu, «les gens croient cette propagande de Kony le tueur», se plaint le fondateur de la LRA. «Ils disent que Kony est un terroriste, mais je me bats pour la bonne cause», plaide-t-il en poursuivant : «Je suis un rebelle d'un rang militaire, je suis l'opposition, l'opposition armée, tout comme la SPLA et comme tous les opposants armés d'Afrique». «Ils devraient tous être conduits à La Haye» devant la CPI, si ce que Museveni dit est vrai, conclut-il. Pour sa part, habitué des ultimatums, le président ougandais lui donne jusqu’au mois de juillet pour examiner son offre de paix. Ce sera la dernière indique le porte-parole du gouvernement ougandais. Et si Kony n’est pas «sérieux», Salva Kiir, le premier vice-président du Soudan et président du Sud-Soudan s’est entendu avec Museveni pour que leurs deux armées «s'en occupent militairement». Une offre de paix en forme de sommation, à la manière de Museveni : la reddition ou la guerre. Entre les deux : la CPI.


par Monique  Mas

Article publié le 25/05/2006 Dernière mise à jour le 25/05/2006 à 17:36 TU