Festival de Cannes
« Indigènes », les soldats oubliés de l’armée d’Afrique
(Photo : Tessalit production)
De notre envoyée spéciale à Cannes
Saïd, Messaoud, Abdelkader et Yassir sont des héros de l’armée française, mais ce sont aussi des oubliés de l’Histoire. Rachid Bouchareb leur redonne une identité, une dignité, une postérité. L’humoriste Djamel Debbouze, d’origine marocaine, incarne un Algérien, Saïd, un pauvre hère qui recherche dans l’armée française une deuxième famille, et s’attachera à son sergent, un Pied-noir sensible et juste. Sami Naceri campe Yassir, un mercenaire qui s’engage surtout pour l’argent. Messaoud, alias Roshdy Zem, c’est un peu le « joli cœur », amoureux d’une Française. Et puis il y a Abdelkader, joué par Sami Bouajila : c’est l’intellectuel de la troupe, un patriote aussi, mais qui se bat pour la liberté, indigné par la différence de traitement entre les soldats français de souche, racistes et méprisants, et ceux qu’ils appellent des «Indigènes».
C’est cette insupportable injustice qui, on le devine, nourrira à la fin de la Seconde Guerre mondiale les désirs d’indépendance et de liberté des colonies françaises. Ce même désir de liberté pour sa patrie, incarnée en France par le général de Gaulle. C’est d’ailleurs en le citant que le capitaine Abdelkader, alias Sami Bouajila, galvanise ces soldats de l’armée d’Afrique maltraités par leurs frères d’arme « français de souche ».
« Ils ont 80 ans aujourd’hui ; dans 5 ans il n’en restera aucun »
Le film, très applaudi lors des projections, vaut surtout par son sujet et le symbole : ces acteurs français d’origine magrébine rendent également hommage à leurs ancêtres morts pour la France. Jamel Debbouze ou Sami Bouajila avouent avoir découvert des tombes portant leur nom de famille dans ce cimetière d’Alsace où reposent tant de soldats ayant participé à la libération de la France. Pour préparer le film, les acteurs ont rencontré des survivants. « J’vous assure, je les ai rencontrés, ils sont dans des foyers Sonacotra, ils collectionnent des paquets de pâtes, ils ont 80 ans aujourd’hui, se souvient Jamel Debbouze avec émotion. Dans 5 ans il n’y en a plus aucun ! Il en reste 70 000, ça m’a arraché le cœur, c’est sûr ».
Pour autant, il ne faudrait pas les plaindre ou les traiter comme des victimes. L’humoriste raconte que, dans ses discussions avec ces vétérans, il avait souvent à la bouche le mot « moushkin », qui signifie « le pauvre » en arabe. Mais il se faisait reprendre par ces anciens soldats, fiers de leur combat, enrôlés volontaires pour libérer une « mère patrie » qu’ils ne connaissaient même pas.
Trait d’union entre le passé et le présent, trois anciens soldats, algérien, marocain et tunisien, ont monté les marches du palais des Festivals jeudi soir pour la présentation officielle. Et leur combat pour la justice, leur amour pour le drapeau résonnent avec d’autant plus de vigueur et de douleur aujourd’hui, quelques mois après les émeutes dans les banlieues françaises.
par Sophie Torlotin
Article publié le 26/05/2006 Dernière mise à jour le 26/05/2006 à 19:04 TU