Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Allemagne 2006

Yeo Martial: Ma Coupe du monde avec les Eléphants (1)

Article publié le 05/06/2006 Dernière mise à jour le 05/06/2006 à 09:17 TU

Yeo Martial, directeur technique national à la fédération ivoirienne de football, nous fait vivre "sa" Coupe du monde avec les Eléphants de Côte d'Ivoire.(Photo: DR)

Yeo Martial, directeur technique national à la fédération ivoirienne de football, nous fait vivre "sa" Coupe du monde avec les Eléphants de Côte d'Ivoire.
(Photo: DR)

Directeur technique national de la fédération ivoirienne de football, Yéo Martial nous livre, jour après jour, son journal de bord. La Coupe du monde vue de l'intérieur avec les Eléphants de Côte d'Ivoire.

 

 

Jeudi 15 juin: On gagne, on gagne

 

Mercredi 14 juin: Moral au beau fixe

 Depuis mon retour de Hambourg avec les Eléphants, je ne vous ai fait aucun signe de vie. Quoi de plus normal pour un homme dont le rêve est devenu réalité. C’est vrai, durant le trajet retour par vol spécial de la Lufthansa,  j’étais bel et bien avec toute la délégation proche de l’équipe et nous rejoignions la base du groupe. Cela voulait tout simplement dire que je trouvais ainsi ma place au sein des mondialistes comme en Janvier au Caire pour la CAN.

Les jours qui ont suivi furent pleins d’émotions partagées avec la joie, l’angoisse et parfois quelques petits moments d’inquiétude. C’est ainsi que dès le lundi matin lorsque j’ai croisé Didier Drogba dans le couloir, j’ai aussitôt demandé après l’état de sa cheville. Il m’a répondu : tonton tout est rentré dans l’ordre. Ma joie intérieure fut grande, non  à cause de la réponse, mais surtout parce que, en  psychologue, je venais de découvrir qu’il a été sensible au fait que moi aussi je me souciais de son état de santé.


Le lendemain, le vice-président Benjamin Djédjé qui remontait certainement le moral de Baki et Aruna Dindané, m’a interpellé pour que je me joigne à eux. J’en ai profité pour leur parler du passé d’entraîneur de Ben. Ainsi ils étaient heureux de se savoir entourés de footeux expérimentés. En effet, je leur ai appris que Djédjé est le coach qui avait conduit notre équipe nationale junior au premier Mondial des jeunes à Tunis en 1977 puis au Mexique en 1983.

Ayant utilisé ces quelques jours pour récupérer des fatigues de mon voyage, je n’ai pas pu assister à la séance d’entraînement d’hier matin. Aujourd’hui c’est chose faite, je me suis rendu compte de l’état d’esprit du groupe en ce moment, avant, pendant et après le travail. Je puis vous dire que les Eléphants respirent la pleine forme. On peut, sans se tromper, les appeler la bande joyeuse. Mais ne vous y trompez pas. Ils ne sont pas du tout dans une joie d’inconscience ; ce sont  tous de grands garçons, ils savent ce qui les attend pour les deux matches qui viennent. Je les entends souvent se dire : « Jo ! On a le dos au mûr, ou  Abi, serrons nous les coudes, ca ira ! »

En ce qui me concerne quand je les vois, un seul sentiment m’anime : la fierté d’être aux côtés d’un groupe qui, malgré sa jeunesse, son inexpérience dans cette si haute compétition, reste égal à lui-même. Oui c’est bien la vérité, et quoi de plus normal quand on sait qu’il avaient déjà le même comportement au Caire  lors de la CAN. C’est vrai aussi que du groupe de la campagne d’Egypte 2006, seul Tiéné Siaka dit Chico est absent. Il a été remplacé par Kéita Kader dit Popito venant de Lille. Et puis,  on sent une certaine complicité entre tous les membres : administrateurs, staff médical, intendance, encadrement technique, joueurs, tous forment une sorte de bloc. A la limite, on se sent un peu comme de trop au premier contact, mais on s’intègre assez vite car l’humilité, le respect, la solidarité sont les maîtres mots du groupe.

De retour de la séance d’entraînement, quelqu’un nous attend, c’est de toute évidence le Président Jacques Anouma qui ne peut pas passer un jour sans venir voir de visu sa troupe. Il veut se rassurer, savoir s’il ne nous manque rien… Je signale en passant que le directeur général de la FIF est dans nos murs pour quelques quatre ou cinq jours, sa venue m’ a permis de savoir comment se portent mes collègues de la DTN á Abidjan.

Il est l’heure pour les séries de matches télévisés. Je vous laisse en vous disant à demain, si Dieu le veut.

Yeo Martial

_______________________________________________________________________________________________________________________________________________

Dimanche 11 juin: Découragement n'est pas ivoirien

Pour ce match contre l'Argentine j'étais très relaxe au point que les jeunes supporters des Eléphants qui sont montés á bord du même train que moi  pour  effectuer le voyage Bonn-Hamboug me semblaient, à l'inverse, très inquiets.
 
En réponse aux nombreuses questions qu'ils me posaient  je leur disais, entre autre, que ma quiétude venait du fait que pour moi, la position de challenger de la Côte d'Ivoire devrait  libérer les joueurs.
Ayant démarré de Bonn à 9h 45 , mon train est arrivé à Hambourg à 14h10.
 
J'ai éte conforté dans mon attitude, dès mon entrée à l'Hôtel Grand Elysée oú se trouvait toute la délégation ivoirienne. La sérenité se lisait sur tous les visages. Si j'avais été aux commandes, je n'aurais pas mieux pu faire que ce qu'a fait Henri Michel dont l'expérience - il en est à sa cinquième Coupe du monde, une comme joueur et désormais quatre comme entraîneur - est un atout très appréciable. Les joueurs étaient donc isolés sur leur pallier pour mieux se concentrer. L'essentiel de ce qui aurait pu être dit l'a été par le coach dans sa dernière interview, lorsqu'il demandait aux joueurs d'avoir un mental fort.
 
Tout cela s'est vérifié au cours du match, car les novices du Mondial, les Eléphants, face aux grands habitués et favoris Argentins ont livré un match sans complexe , dominant de surcroît une partie de la rencontre. Ils n'ont pas démérité, au contraire. iIs sont á encourager malgré cette courte défaite. Mes espoirs demeurent toujours, par rapport à la suite de la compétition.
 
Nous avons encore un bon coup à jouer. Que tous redoublent d'efforts. De ma place d'observateur derrière les buts comme aiment le faire les techniciens britanniques, j'ai pu bien suivre l' évolution de notre attaque en premiére mi-temps, là je peux dire qu'avec un peu plus d'audace nous aurions pu mener au score avant les Argentins. Ensuite, en deuxième mi-temps j' ai pu également bien observer notre défense qui, je pense, pourra s'améliorer durant les rencontres qui viennent. Ne dit-on pas que découragement n'est pas ivoirien? Allez les Eléphants! Tout le pays vous soutient, nous sommes fiers de vous.
 
Yeo Martial
 

Jeudi 8 juin 2006: Les Ivoiriens passent à l'orange

« Le football fait l’amour au monde à l’horizontale et même à la verticale ».Qui peut dire le contraire. Qui laisse t-il indifférent ? C’est la fièvre du football aujourd’hui en Côte D’Ivoire. Qui ne voudrait pas que son fils, son neveu, son beau-fils devienne Drogba, Arouna, Maestro ? D’aucuns regrettent de n’avoir conçu que des filles. Il est devenu le baromètre des Ivoiriens. Dans tous les coins et recoins des rues, on vend du Kolo, du Arouna, du Drogba. Jamais les Ivoiriens n’ont autant aimé l’orange. Ils sucent l’orange, mangent et boivent en orange, s’habillent en orange, téléphonent en orange, s’éventent en orange. Même les pose souris des computers sont aux couleurs des Eléphants. Cela ne fait rechigner personne. Au contraire, c’est normal.

Chacun, dans son service, son foyer s’organise de sorte de profiter de l’événement. Les affaires les plus sérieuses, les plus importantes, sont remises à sine die, à l’après-Coupe du Monde. Et pourtant, le football est ce qu’il est, c'est-à-dire que ce n’est pas le Sénat, ce n’est pas le sommet du G8, ce n’est pas l’ONU, ça ne réunit que des footeux . Oui, des footeux. Ceux qui n’ont jamais rien su faire de leurs doigts, de leurs mains. Non seulement, il  regroupe plus de monde qu’aucun autre mouvement de quelque nature que ce soit n’a pu rassemblé jusqu’aujourd’hui et il capte l’attention de milliards de personnes au même moment, consciemment ou par ricochet grâce aux postes de radio et de télévision. C’est ça le phénomène football.

Cette fois-ci c’est au tour du pays de la Mannschaft, de Beckenbauer, de Netzer, de Gerd Muller, de Breitner et de tant d’autres sommités du football germanique, d’organiser l’apothéose. Ce rendez-vous ne peut qu’être une fête quand on sait le sens de l’organisation des Allemands, conduits cette fois par le Kaiser. Celui qui a le don de magnifier tout ce à quoi il touche. Après avoir été champion du monde en tant que joueur et entraîneur, il voudra, c’est sûr, atteindre le haut du pavé en tant qu’organisateur. Ce qu’aucun autre avant lui, n’a pu accomplir. Est-il possible, cette fois que le monde retienne « que le football, est ce spectacle produit par 22 acteurs et qui finit toujours par la victoire de la Mannschaft quand on sait aujourd’hui que tous les voyants virent au jaune brésilien sans discussion aucune ? C’est ce qui le rend encore plus attrayant. Rien n’est écrit à l’avance.

Alors, il vaut mieux être spectateur de visu, de cette cérémonie grandiose, inédite que de se la faire raconter. C’est la raison pour laquelle ma joie était aussi grande, immense, indescriptible, qu’incommensurable lorsque j’ai appris ma « sélection ». Et je suis resté coi, sans voix, lorsque la nouvelle m’a été annoncée. Au même moment une inquiétude s’est emparée de moi. Je venais d’apprendre que le visa avait été refusé à Laurent Pokou et Ezan Emmanuel, tous deux personnalités du football ivoirien et africain. L’un demeure jusqu’aujourd’hui le recordman des buteurs en phases finales de Coupe d’Afrique et l’autre a été sacré champion d’Afrique en club et, à une époque, président de la fédération ivoirienne de football. J’ai été, il faut le reconnaître, perturbé. Aurais-je pu me remettre de la déception de ne pas y être. Moi, qui ai tout le temps rêvé de cet instant ? Aujourd’hui mon rêve est devenu réalité ; je suis en possession de mon billet et de mon visa.

Je pourrai dire demain aux miens, à mes proches, que cette année-là, j’y étais. Ma gratitude va à l’endroit de ceux qui m’ont associé à ce dernier rendez-vous du football avant qu’il ne soit fêté sur notre continent. Puisse le Tout-puissant me donner longue vie pour que je prenne part à ce « must » du football mondial. Et ceux qui n’ont pu y être et qui devraient y être ?  Pourquoi ne pas leur donner l’occasion de prendre part à cette liesse populaire surtout que leur valeur n’est pas mise en cause ?

« Enrichissons nous de nos différences » pour que vive le football.

Yeo Martial


Mercredi 7 juin 2006: « Mon » Mondial, enfin !

Après avoir participé à plusieurs phases finales de Coupe d’Afrique des nations et de clubs, puis intercontinentales, sans compter les phases finales régionales et j’en passe, je suis appelé aujourd’hui à assister à l’apothéose du football mondial. C’est une joie immense, débordante, indescriptible même qui m’anime. Mais, faut il attendre que mon pays arrive à ce stade de la compétition pour découvrir le Nirvana du football, moi qui ai tant roulé ma bosse sur les stades de football ?

J’étais au comble de ma joie en 1992 après avoir porté les Eléphants sur la plus haute marche du podium à l’issue de la CAN au Sénégal. Je ne voulais pas m’arrêter en si bon chemin car cette belle formation, je voulais la conduire au Mondial des Etats-Unis. Mais j’ai été débarqué au profit d’un expatrié qui a abandonné le navire en plein naufrage et comme un pompier, je suis revenu à la rescousse des Eléphants à deux semaines du match qualificatif contre le géant Nigeria à Surulélé où la Côte d’Ivoire devait voir s’envoler ses derniers espoirs.

Malgré cet échec, la notoriété acquise à l’issue de Sénégal 92, à mon avis aurait pu (dû ?) m’ouvrir des portes si jamais la CAF ou la FIFA faisaient un clin d’œil à un certain nombre de techniciens ayant obtenu de bons résultats dans leur pays ou continent.

Mes espoirs se sont vite dissipés lorsqu’on m’a démis de mes fonctions. On ne m’a même pas invité à assister à la CAN 94 en Tunisie. Par bonheur, le Gabon m’invita pour être consultant auprès d’Alain Da Costa à Johannesburg en 1996. Puis le Niger m’accorda une place de sélectionneur de son équipe nationale.

Comme pour boucler la boucle, le président Jacques Anouma me confia les destinées du football ivoirien sur le plan technique en me nommant Directeur technique national.

N’eût été la qualification de mon pays pour la phase finale, il aurait fallu que ma bourse soit lourde et conséquente pour être compté parmi les hôtes de Beckenbauer.

Et les Alain Da Costa du Gabon, Bako Adamou du Niger, Chérif Souleymane de Guinée, ex-ballon d’or Africain, et tant d’autres n’auraient-ils pas mérité d’aller, eux aussi, au pèlerinage du football?

Souhaitons que les années à venir puissent augurer d’un futur radieux pour les instances du football que sont la CAF et la FIFA  pour qu’elles jettent un regard sur ces techniciens valeureux qui n’ont pas les moyens de cette politique.

Vive le football pour que le travail de fourmi abattu par les techniciens soit mondialement reconnu. Chaque vedette n’est-elle pas le fruit d’un homme de terrain, la face cachée de l’iceberg !

Sportivement vôtre.

Yeo Martial