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Jordanie

Amman, fragile asile des Irakiens

Sur une petite place d’Amman, en Jordanie, des travailleurs journaliers irakiens attendent qu'un éventuel employeur fasse appel à eux. 

		(Photo: Nazim Ayadat/RFI)
Sur une petite place d’Amman, en Jordanie, des travailleurs journaliers irakiens attendent qu'un éventuel employeur fasse appel à eux.
(Photo: Nazim Ayadat/RFI)
Selon un organisme indépendant, le Comité américain pour les réfugiés et les immigrants (USCRI), le nombre total des réfugiés irakiens vivant à l’étranger a atteint 900 000 personnes, à la fin de 2005. La Jordanie en abrite la moitié. Si le profil de ces réfugiés est varié, tous ont fui l’Irak pour les mêmes raisons : l’insécurité chronique, les conditions de vie précaires, les menaces et les persécutions.

De notre correspondant à Amman

Il n’est pas difficile de trouver des Irakiens à Amman. Plusieurs dizaines de milliers ont traversé la frontière depuis l’invasion américaine en 2003, cherchant la sécurité et le travail qu’ils n’ont plus chez eux. Dans la périphérie d’Amman, les employés du Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) ne chôment pas. Tous les jours, des dizaines d’irakiens de toutes confessions font la queue pour s’enregistrer et obtenir le statut de réfugiés politiques.

Imad et Hussein sont de ceux-là. Ils ont effectué cette démarche il y a trois ans. Ils  font figure de vétérans dans la communauté. Le premier est sunnite, le second chiite. Tous deux étaient militaires dans l’armée de Saddam Hussein. Ils gèrent désormais un minuscule café dans la ville basse, près de l’amphithéâtre romain. Lorsqu’on évoque la vague de violences inter-communautaires dans leur pays natal, les deux amis s’emportent. Le visage barré par une moustache drue, Hussein dénonce « l’occupation ». « Voilà où nous a mené la soi-disant démocratie américaine : à la guerre civile. Saddam n’était pas un ange certes, mais personne n’aurait songé à attaquer une mosquée lorsqu’il était au pouvoir. »

L’improbable arrivée d’un patron

Les deux anciens soldats tentent de s’intégrer tant bien que mal à la société jordanienne. « On a eu beaucoup de chance d’arriver il y a trois ans. On a eu nos papiers en trois mois seulement. » Plus chanceux que les Irakiens récemment exilés, ces associés possèdent une carte de résidence en Jordanie : un sésame qui leur permet de travailler légalement.

Sur une petite place d’Amman, près de la mosquée Al-Hussein, des travailleurs journaliers, leurs outils en évidence, attendent l’improbable arrivée d’un patron. Parmi eux, Ali, 34 ans. Il habitait Sadr City, le vaste quartier chiite de Bagdad. Il a débarqué il y a seulement 4 mois. Il partage une pièce à Amman-Est avec cinq autres personnes et décrit un quotidien très difficile : « On est des citoyens de seconde zone ici. Nous vivons harcelés par la police, sous la menace permanente de l’expulsion. On nous interdit tout rassemblement le soir. Pourtant je ne suis pas un terroriste. Je suis venu en Jordanie seulement pour gagner de quoi survivre. »

« Au pays on risque sa vie tous les jours »

A l’autre bout de la ville, Abdoun, le quartier chic d’Amman. Sur le chantier d’une luxueuse villa, Omar termine sa journée de travail au noir. Avant d’atterrir là, il a attendu plusieurs jours dans le no man’s land entre la Jordanie et l’Irak. Ce Bagdadi sunnite a pris le chemin de l’exil sous la menace. Il raconte que sa famille était persécutée par les milices chiites. Son fils Allel travaille avec lui un jour sur deux. Il n’a que 15 ans. Pourtant Allel bénéficie d’un droit à la scolarisation dans le système public jordanien, comme les autres enfants de réfugiés. Mais le coût est trop élevé pour sa famille qui ne dispose pas de grandes ressources.

Les réfugiés Irakiens en Jordanie sont loin de former un groupe socialement homogène. Les ouvriers y côtoient les hommes d’affaires, professeurs et ingénieurs. Car Amman est aussi le refuge du «nouvel Irak». On y signe des contrats loin du chaos qui règne au pays natal, l'argent transitant par les banques jordaniennes. Les riches irakiens ont en général investi dans l’immobilier, mais aussi dans des entreprises jordaniennes. Ils y ont établi un millier d’entreprises environ et leur investissement est évalué à 300 millions de dollars, hors immobilier. Les plus fortunés ont acquis de somptueuses villas. Ce qui fait grincer des dents certains habitants d'Amman, qui leur reprochent d'être à l'origine d'une spéculation immobilière effrénée.

Gare routière d’Abdali. Un des terminus des taxis collectifs Bagdad-Amman. Ceux qui peuvent se permettre ce trajet direct arrivent sporadiquement, à bord de gros 4x4. Douze heures de route pour 900 kilomètres. Un voyage dangereux à travers les axes contrôlés par les troupes américaines, les pillards et les milices. Peu importe les périls, explique ce jeune Bagdadi fraîchement arrivé avec femme et enfants, « au pays on risque sa vie tous les jours. » De quoi va-t-il vivre en Jordanie ? Il l’ignore pour l’instant. Il n’exclut pas de poser ses valises ailleurs. « Je veux trouver un pays où mes enfants pourront étudier et se construire un avenir », dit-il. « Dans l’Irak que nous avons fui, il faudra des années pour que l’on puisse vivre en paix. »



par Nazim  Ayadat

Article publié le 21/06/2006Dernière mise à jour le 21/06/2006 à TU