Italie
Scandale royal
(Photo : AFP)
Correspondance
Selon le juge Alberto Iannuzzi de Potenza, où Victor Emmanuel a été incarcéré vendredi dernier, les enquêtes ont commencé il y a deux ans suite à la découverte de graves irrégularités dans la gestion de certaines machines à sous en Basilicata (département dont le chef-lieu est Potenza). Le parquet de Potenza a alors découvert l’existence d’une filière, qui dispose de relais à Campione d’Italia, petite enclave italienne en territoire suisse. D’après Alberto Iannuzzi, le scandale actuel a pour origine une affaire concernant des jeux de hasard mêlé à un trafic d’influence. Selon le juge, le prince dirigeait le réseau, profitant de ses liens « institutionnels et maçonniques pour pénétrer les institutions et mettre en place les bases et les lignes fondamentales de la corruption ». C’est ce qui ressort d’un an d’écoutes téléphoniques ordonnées par le parquet de Potenza.
Mardi, le prince a pu s’expliquer, pendant cinq heures devant Henry John Woodcok, le magistrat en charge de l’enquête. Le parquet de Potenza l’accuse entre autres « d’associations de malfaiteurs à des fins de corruption, d’usage de faux, et d’exploitation de la prostitution ». « Je suis innocent, je ne sais rien de ces histoires dont on m’accuse », a déclaré le prince dans une interview accordée au Corriere della Sera. Vendredi 23 juin, il a finalement été placé «aux arrêts domiciliaires», suite à une demande de ses avocats.
Les preuves
A partir des écoutes, et d’après le compte-rendu du juge Alberto Iannuzzi, il ressort que le réseau, dont Victor Emmanuel est la « carte de crédit », recrutait de jeunes femmes chargées d'assurer des prestations « particulières » à des Siciliens venant blanchir de l’argent sale au casino de Campione d'Italie. C’est ce que la bande appelait «paquet complet» : casino, hôtel de luxe et accompagnatrices. Le maire de Campione d'Italia, Roberto Salmoiraghi, puissant baron local, est inculpé pour recyclage de gains illicites. Incarcéré lui aussi à Potenza, Roberto Salmoiraghi a refusé de répondre au magistrat lors de l’interrogatoire de mardi.
Des photos de police datant du 7 mai 2005 montrent le prince sur la terrasse de la luxueuse Villa d'Este de Côme. Trois comparses lui remettent deux enveloppes censées contenir dix à vingt mille euros. De ces écoutes, il ressort que le 3 mars, deux mois auparavant, le prince avait manifesté de l’impatience à l’égard de l’un d'eux pour n'avoir pas encore reçu sa part pour son intervention dans l'octroi de 400 faux permis d'exploitation de machines à sous, contresignés par le directeur des Monopoles d'Etat et son adjointe. Mais toujours, dans les colonnes du Corriere della Sera, Victor Emmanuel crie à l'équivoque : « Chaque enveloppe contenait deux mille euros et elles m’ont été remises par deux amis, au titre de frais d'adhésion à l'ordre de San Maurizio », fondé par sa dynastie, les Savoie en 1572.
L’affaire RAI
Une autre piste évoquée par le juge Iannuzzi concerne les relations d'affaires avec Simeone de Saxe-Cobourg (cousin de Victor Emmanuel, prince et ancien Premier ministre de Bulgarie). La bande lui aurait fourni de fortes sommes d'argent en échange de promesses de marchés publics lors de la campagne électorale de juin 2005 en Bulgarie. Les écoutes téléphoniques dévoilent également des intérêts en Russie, en Libye et en Erythrée. Victor Emmanuel aurait eu l’intention d’installer en Libye des casinos et d’organiser un trafic de médicaments périmés vers Asmara. Pour le parquet de Potenza les écoutes révèlent que le prince, fort de ses relations, menaçait ceux qui pouvaient déranger ses intérêts, comme ce journaliste de Novella 2000 menacé de mort en raison des articles peu élogieux qu’il aurait écrit à son encontre.
Le réseau du prince, tel que le révèlent les écoutes, disposait aussi d’un réseau d’influence au sein de la RAI, la radio télévision italienne. Salvatore Sottile, porte-parole de Gianfranco Fini de l’Alliance nationale, faisait partie de ce réseau et il est accusé d’avoir obtenu les faveurs de jeunes et belles starlettes en échange de recommandations à la RAI. Certaines rencontres auraient été même « consommées » dans les bureaux de la Farnesina, le ministère des Affaires étrangères, alors que Fini était le titulaire du portefeuille. Sottile est assigné à domicile à Rome et ses explications étaient attendues par les magistrats de Potenza.
par Jean-Baptiste Sourou
Article publié le 22/06/2006Dernière mise à jour le 22/06/2006 à TU