Tchad
Le chaudron régional reste en ébullition
«Très tôt ce matin, les rebelles de al-Djinedi ont de nouveau attaqué nos positions à Adé, mais ils ont été vite repoussés par l'armée tchadienne», affirme à l’Agence France Presse «un responsable militaire sous le couvert de l'anonymat». Lundi un communiqué du porte-parole du gouvernement, Hourmadji Moussa Doumgor, revendiquait la mise en déroute d’un «groupe de mercenaires commandé par un certain al-Djinedi [qui avait] attaqué à 11h45 les positions de l'Armée nationale tchadienne à Adé dans le département de Sila», aux confins orientaux du Tchad, à la frontière soudanaise. «Toutes les armes lourdes des assaillants ont été soit détruites, soit récupérées», assurait le communiqué.
Officiellement, les combats de lundi ont fait «de nombreux morts» côté rebelles, l’armée gouvernementale faisant également de «nombreux prisonniers». Toujours selon le communiqué, la riposte gouvernementale devrait servir «définitivement de leçon à tous les autres mercenaires et aventuriers qui sont au service du Soudan dans son entreprise de déstabilisation du Tchad». Pas question donc de changer de tactique pour Idriss Deby Itno conforté dans son fauteuil présidentiel par un scrutin ad hoc le 3 mai dernier. L’opération française Epervier lui a sauvé la mise en avril dernier. Il compte visiblement toujours sur Paris pour survivre à la dissidence qui sape ses assises militaro-communautaires. Pour autant, rien ne paraît de nature à réduire le danger qui grossit avec la montée en force des interactions entre la crise politico-économique interne au Tchad, le conflit du Darfour soudanais et la débâcle sécuritaire en Centrafrique.
«Des rebelles tchadiens fortement armés» en Centrafrique
Dans la nuit du 25 au 26 juin, tout près de la frontière tchadienne, autour de la localité centrafricaine de Gordil, à plus de 800 kilomètres au nord-est de Bangui, de très violents combats ont opposé des rebelles tchadiens à l’armée centrafricaine et à la force de la Communauté économique et monétaire de l'Afrique centrale (Cémac), la Fomuc. Selon le ministère centrafricain de la Défense, «un groupe de rebelles tchadiens fortement armés» avait alors attaqué un «détachement de militaires appartenant à la Fomuc et aux forces armées centrafricaines qui étaient stationnés à Gordil». Les corps de onze soldats centrafricains et de deux Tchadiens de la Fomuc ont été transportés le 28 juin à Bangui. Une vingtaine de rebelles auraient été tués.
Le 26 mai, deux militaires centrafricains avaient déjà été tués dans la région de Birao, dans un accrochage avec des «rebelles lourdement armés». Bangui avait également dénoncé un mois plus tôt le viol de son espace aérien par un avion cargo venu du Soudan déposer des «hommes en armes» et du matériel dans la localité de Tiringoulou, également au nord-est. On se souvient aussi des accusations centrafricaines faisant état du passage en Centrafrique d’une colonne de rebelles tchadiens lors de leur offensive d’avril. Le nord de la Centrafrique frontalier du Tchad «vit pratiquement sous occupation» a lancé lundi le président centrafricain, François Bozizé, dénonçant les rebelles tchadiens comme «des individus sanguinaires et criminels, soutenus par des puissances étrangères», le Soudan en l’occurrence.
Bon gré, mal gré, le général François Bozizé se doit d’épouser la cause de son parrain Idriss Deby qui l’a aidé à débarquer Ange-Félix Patassé, jugé importun à Paris comme à N’Djamena. Le président tchadien est également inextricablement impliqué dans la rébellion soudanaise du Darfour, ce qui lui vaut les foudres très manœuvrières d’Omar al-Béchir. Au plan intérieur, Idriss Deby s’est jusqu’à peu suffit d’une stratégie de division et d’endiguement. Il a entretenu des oppositions factices pour faire prévaloir un système de parti unique déguisé, réprimant dans le sang ou chassant par-delà les frontières quiconque s’opposait véritablement à lui. Mais cette fois, les effets boomerang de ses implications régionales pourraient s’avérer ingérables.
En traitant son opposition armée de «mercenaires à la solde du Soudan», le président Deby indique qu’il renvoie à d’autres le soin de traiter la crise tchadienne en externe. Reste que la crise tchadienne irradie la région, comme le souligne un rapport intitulé «Tchad, vers le retour de la guerre ?» publié début juin par les analystes politiques de l’organisation indépendante International Crisis Group (ICG). Selon ICG, la détérioration rapide de la situation aux frontières du Tchad ne doit pas être décryptée comme «un simple débordement de la crise du Darfour, ni uniquement comme le résultat de l’instrumentalisation par Khartoum de chefs de guerre tchadiens». La crise du régime Deby s’est en effet externalisée. Elle est politique, mais aussi sociale, envenimée par le détournement du pactole pétrolier et entretenue par ce qu’ICG qualifie de «factionnalisme armé», une pratique tchadienne en voie de s’ancrer définitivement, faute de toute perspective d’alternance électorale.
En tentant de faire diversion pour survivre, le régime Deby implique dans la tourmente militarisée des acteurs de plus en plus nombreux. Il enclenche aussi un chassé-croisé d’intérêts autrement plus complexe que celui auquel prétend répondre le vieil adage toujours en usage à N’Djamena : «les ennemis de mes amis sont mes ennemis».
par Monique Mas
Article publié le 04/07/2006Dernière mise à jour le 04/07/2006 à TU