Terrorisme
Interrogatoires clandestins à Guantanamo
(Photo : AFP)
Le cours du procès des six Français, ex-détenus de Guantanamo, pourrait bien s’en trouver modifié. C’est en tout cas ce qu’espèrent Mes William Bourdon et Jacques Debray les avocats de deux prévenus, Nizar Sassi et Mourad Benchellali. Depuis quatre ans, ils soutiennent que des auditions ont été réalisées sur la base militaire de Guantanamo par des enquêteurs français. Mais jusqu’à ce jour, ces affirmations n’avaient jamais été confirmées et pour cause : aucun document n’a été versé au dossier d’instruction français.
Selon le texte publié, les agents des services français affirment d’abord que les six détenus interrogés à Guantanamo «sont bien traités». Pourtant, dès l’ouverture de leur procès lundi, les six présumés islamistes ont affirmé avoir été soumis à des traitements cruels et dégradants sur la base américaine. Autre sujet de satisfaction pour les enquêteurs français : l’accueil très cordial et « la coopération des militaires américains (qui) s’est révélée excellente ». Leur mission à Guantanamo s’est déroulée du 26 au 31 mars 2002 ; elle suivait un autre séjour où ils avaient rencontré deux premiers détenus, en janvier 2002. Tous ces déplacements ont eu lieu en dehors de toute commission rogatoire, un document indispensable dans toute procédure judiciaire.
Au cours de leur mission, les agents des services secrets français ont d’abord identifié puis interrogé les six détenus français sur leur parcours. Ces ex-détenus dont cinq comparaissent libres, leur reprochent aujourd’hui de s’être faits passer pour des membres du ministère des Affaires étrangères. Une imposture pour ces Français qui ont cru que ces agents venaient les aider à sortir de Guantanamo. Un d’entre eux, Mourad Benchellali, s’est tellement senti en confiance avec ces interlocuteurs qu’il leur a révélé sa véritable identité ce qu’il n’avait jamais fait jusque là devant ses geôliers américains qui le connaissaient comme Jean-Baptiste Mihoub, le nom figurant sur son faux passeport. En fait selon la défense, les renseignements ainsi recueillis viendront alimenter les éléments à charge dans leur procès pour « association de malfaiteurs en vue de préparer des actes de terrorisme », une accusation qui leur fait encourir jusqu’à dix ans de prison.
Un caractère «déloyal»
Les avocats seront dorénavant bien mieux armés pour faire valoir leur requête en nullité, une demande déjà formulée mais rejetée en Cassation le 18 janvier dernier, faute de preuves que des auditions aient bien eu lieu à Guantanamo. Cette fois, le document diplomatique en mains, ils espèrent bien parvenir à emporter une décision favorable à leurs clients. Toutefois, la défense a finalement décidé de ne pas réclamer le report du procès parce que selon Me Bourdon, « cela n’affecte pas le débat de fond sur la responsabilité pénale des prévenus qui sont par ailleurs heureux d’avoir la possibilité de s’exprimer ». Cependant, les avocats entendent bien persister à en démontrer l’irrégularité. Dès mercredi matin, ils ont demandé au tribunal de relaxer les prévenus dans le jugement final en estimant que le fameux télégramme diplomatique démontrait le caractère « déloyal » de la procédure. Les avocats ont également annoncé avoir déposé un recours en annulation du procès devant la Cour européenne des droits de l’homme.
Plus largement, le fait que des fonctionnaires français se rendent dans un lieu considéré par de nombreux pays et singulièrement par la France comme une zone de non-droit, pour y mener des interrogatoires clandestins, ne peut pas passer inaperçu. D’ailleurs, le ministère des Affaires étrangères a réagi quelques heures à peine après la divulgation du document émanant de ses services. Pour son porte-parole Jean-Baptiste Mattéi, le Quai d’Orsay a agi de manière normale dans cette affaire. Tout en reconnaissant l’authenticité du document classé confidentiel mais en rejetant l’aspect secret des auditions, il a rappelé que « tout citoyen français en difficulté à l’étranger, en particulier lorsqu’il est incarcéré, est en droit de recevoir une visite et une assistance consulaire ». De son côté, la procureure Sonya Djemmi-Wagner a affirmé n’avoir eu connaissance des interrogatoires de Guantanamo que ce mercredi par la presse. Elle a assuré que l’accusation n’avait fondé son dossier que sur la base d’interrogatoires menés après le rapatriement en France des six prévenus en 2004 et 2005. Le procès devrait reprendre lundi prochain et le tribunal a annoncé qu’il se prononcerait sur la question à la fin des audiences.
par Claire Arsenault
Article publié le 05/07/2006Dernière mise à jour le 05/07/2006 à TU