Médecine
Médicaments : des prescriptions qui tuent
(Photo : AFP)
Aux Etats-Unis, l’Académie des sciences tire la sonnette d’alarme pour alerter soignants et responsables sanitaires. Ce sont 1,5 million de patients qui chaque année reçoivent un traitement qui ne devrait pas leur être prescrit. Que ce soit à l’hôpital ou dans tout autre centre de soins, ces erreurs, révèle l’Institut américain de médecine, peuvent avoir de lourdes conséquences, au point d’être directement responsables de la mort de 7 000 patients chaque année. Au vu de ces chiffres, l’Institut de médecine a ainsi estimé qu’un malade hospitalisé courait le risque de se voir prescrire ou administrer un médicament non adapté à son cas, au moins une fois par jour !
Ces mauvaises prescriptions coûtent 3,5 milliards de dollars chaque année. Ce surcoût est la conséquence des soins supplémentaires que nécessitent ces malades mal soignés. A cela s’ajoute le manque à gagner des victimes, qui aux Etats-Unis, demandent et obtiennent le plus souvent d’importantes indemnités. Ce nombre colossal d’accidents de prescription pourrait être notablement réduit si, comme le préconise le rapport, hôpitaux et cliniques conservaient la trace de toutes ces erreurs. Par ailleurs, il recommande aussi le recours à des systèmes électroniques pour rédiger et transmettre les ordonnances médicales, autre vecteur d’erreur.
Les ordonnances rédigées avec l’aide d’un logiciel spécialisé ont aussi l’avantage de signaler d’éventuelles interactions ou des contre-indications. Ainsi les enquêteurs ont pu constater que le système pouvait sortir de ses rails dès la rédaction de l’ordonnance (erreur de dosage, de durée, molécule inadaptée…) ou encore à cause de la très classique écriture illisible. Ensuite, même si l’ordonnance a été correctement rédigée, l’erreur peut encore survenir quand le pharmacien la lit. Passée cette étape, le patient n’est pas encore complètement sorti de la zone de risque : l’administration du ou des médicaments peut également être l’objet d’une confusion ou d’une bévue.
Pas de données centralisées en France
Ce problème est loin d’être limité aux seuls établissements américains. Les Anglais y sont également confrontés. Pour la seule année 2000, les hôpitaux publics anglais ont fait état du décès de 1 100 personnes directement attribué à des prescriptions erronées. Dans leur analyse, les Anglais mettaient en avant la puissance de plus en plus grande des nouveaux médicaments, l’inexpérience de certains médecins et le problème des sous-effectifs. Un ensemble de facteurs qui, en se combinant, mène de plus en plus souvent à la catastrophe.
La France est loin d’être épargnée par le phénomène même si son étude est assez récente. Ce n’est en effet qu’en 1998 qu’ont eu lieu les premières études sur ce que les spécialistes appellent les effets iatrogènes des médicaments, autrement dit, les conséquences indésirables et négatives de ceux-ci sur l’état de santé. Mais Claude Huriet le président de l’ONIAM, l’organisme chargé d’indemniser notamment les accidents médicamenteux en France, reconnaissait récemment devant une commission sénatoriale, que les données statistiques sur le sujet restaient parcellaires. Il n’existe pas, expliquait-il alors, de recueil spécifique de données relatives aux accidents provoqués par des prescriptions inadaptées. Mais les chiffres couramment avancés font état de 140 000 hospitalisations provoquées par des accidents médicamenteux et 13 000 décès avérés. Ces chiffres ne sont pas à mettre en parallèle avec le bilan américain, car ils incluent toutes les causes, les erreurs d’indication, comme les surdosages, les suicides, les prescriptions médicales comme l’automédication.
Trop de médicaments tue le médicament
Même s’il n’y a pas de registre national en tant que tel, on sait que le bilan des accidents médicamenteux reste très lourd en France. Dans un très récent rapport, l’Assurance maladie estime à 130 000 le nombre d’hospitalisations dues à des prises indues de médicaments. La moitié de ces accidents pourrait être évitée selon cet organisme. Ce sont les personnes âgées qui en sont les premières victimes. Chez les plus de 65 ans, les effets secondaires des médicaments sont deux fois plus fréquents que chez les plus jeunes et ils représentent de 10 à 20% des causes d’hospitalisation dans cette tranche d’âge, peut-on lire dans le rapport. 1,2 million de Français prennent chaque jour plus de sept médicaments de classes différentes. Or, on sait qu’à partir de trois molécules différentes, les effets secondaires ne sont plus connus et que les produits perdent leur efficacité. On sait aussi que plus le patient est âgé, plus les effets indésirables ont un risque de se manifester. Un rein fatigué par l’âge élimine moins bien les molécules absorbées, d’autant plus, si le patient en prend plusieurs quotidiennement.
Même si la France reste un champion de la consommation de médicaments, les Français modifient légèrement leur attitude. 66% se disent conscients du risque associé à la prise de plusieurs médicaments. Des efforts vers une prescription médicale plus pointilleuse sont aussi demandés aux médecins par l’Assurance maladie. Car il reste beaucoup à faire, comme le montre une étude réalisée par l’Association pédagogique nationale pour l’enseignement de la thérapeutique (APNET). Son enquête révèle que, parmi les consultations en urgence des plus de 70 ans pour effets indésirables de médicaments, 32% concernent des patients consommant plus de 10 médicaments par jour. Un constat qui fait dire au professeur Jean Doucet, gériatre au CHU de Rouen et secrétaire général de l’APNET, «que tous les inconforts liés au vieillissement ne doivent pas être systématiquement traités par médicaments».par Claire Arsenault
Article publié le 21/07/2006Dernière mise à jour le 21/07/2006 à TU