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France

Les banlieues interrogent leur traitement médiatique

Novembre 2005 : des émeutes nocturnes se sont propagées dans certaines banlieues de Paris et de plusieurs grandes villes de province. 

		(Photo: AFP)
Novembre 2005 : des émeutes nocturnes se sont propagées dans certaines banlieues de Paris et de plusieurs grandes villes de province.
(Photo: AFP)
Les banlieues françaises risquent-elles de s’embraser à nouveau comme en novembre 2005 ? Le regard des journalistes sur ces vastes zones périurbaines a-t-il changé ? David Servenay est allé rencontrer les artisans de la presse et de la télévision des banlieues. Ceux qui s’intéressent à ces dernières depuis longtemps ou les (re)-découvrent depuis l’automne dernier.

Ils ont au moins deux points communs : une bonne connaissance de la banlieue et la certitude qu’elle peut à nouveau s’enflammer, aussi vite qu’en novembre 2005. Vieux routiers de l’information ou nouveaux-venus enthousiastes, les journalistes de banlieue portent un regard pessimiste sur leur environnement direct. Désormais, disent-ils en chœur, tout le monde a conscience de la fragilité des équilibres sociaux des quartiers dits sensibles. Comme souvent ailleurs, l’écrit laisse indifférents les habitants des cités.

«Notre problème à nous, journal local, analyse Jean-François Dupaquier, propriétaire-directeur de l’Echo régional, c’est que ces gens-là nous lisent peu. Quand on parle des défavorisés, on parle de gens qui ne nous lisent pas. C’est un vrai handicap quand on vend un journal, on a plutôt tendance à parler des gens qui vous achètent : le mariage du fils d’un député du coin très connu, ça fait plus vendre que d’interviewer un loubard qui nous dit qu’il brûle des voitures et des poubelles.» Avec ses 4 258 exemplaires vendus chaque semaine dans le Val-d’Oise, l’hebdomadaire fondé en 1888 souffre face à la concurrence des gratuits : une pile de 20 Minutes ou de Métro dans une gare et les ventes s’effondrent.

Comme tous les jeudis, conférence de rédaction à <i>l’Echo Régional.</i> &#13;&#10;&#13;&#10;&#9;&#9;(Photo : David Servenay/RFI)
Comme tous les jeudis, conférence de rédaction à l’Echo Régional.
(Photo : David Servenay/RFI)

Pour les neuf journalistes de l’Echo régional, les émeutes n’ont rien changé. Sauf pour les informations distillées au compte-gouttes par la police. «Récemment, pendant les matches de la Coupe du monde de football, précise Caroline Nugues qui est chargée des faits divers, il y a eu des voitures brûlées, pas soixante ou cent, mais quelques-unes. Bizarrement, il y a eu un refus de communiquer là-dessus. J’ai écrit ce que je savais, c’est-à-dire pas grand-chose. Les gens qui ont eu leur voiture brûlée ne comprendront pas forcément». La tendance est la même du côté des interlocuteurs officiels du département : pompiers, procureur ou préfet. Tous font preuve d’une extrême prudence dans leur communication sur les faits divers dans les cités.

Quels médias pour les banlieues ?

Télessone : une chaîne qui couvre le département de l'Essonne dans le sud de Paris

«La tension est toujours vive et n’importe quel incident peut mettre le feu aux poudres.»

Les faits divers, on s’en méfie comme de la peste à la rédaction de Télessonne, une chaîne câblée qui compte 190 000 spectateurs par semaine. Contrôlée par le Conseil général du département (majorité et opposition siègent ensemble au conseil d’administration), cette chaîne de proximité essaie de donner la parole aux habitants des cités, sans les stigmatiser. Pas facile d’échapper à la profusion des dépêches de l’Agence France Presse sur les incidents qui émaillent la vie des Tarterêts ou de la Grande Borne, des quartiers qui ont explosé à l’automne dernier.

Télessonne : pas facile de filmer la banlieue, même lorsque l’on est proche des habitants des quartiers. &#13;&#10;&#13;&#10;&#9;&#9;(Photo : David Servenay/RFI)
Télessonne : pas facile de filmer la banlieue, même lorsque l’on est proche des habitants des quartiers.
(Photo : David Servenay/RFI)

Laurent Savariaud, journaliste reporter d’images (JRI), a une méthode bien rôdée. Il commence toujours par un contact téléphonique avec son «réseau d’informateurs» pour identifier des interlocuteurs sur le sujet à traiter. Ensuite, un premier rendez-vous sur place a lieu sans caméra. «Sinon, précise-t-il, vous avez de bonnes chances de déclencher des incidents, exactement comme lorsqu’une voiture de police arrive dans une cité sans prévenir». Une fois le terrain balisé, Laurent Savariaud revient filmer et interroger les habitants. Méthode imparable, il n’a jamais eu le moindre ennui.

Pour ce JRI, la crise de 2005 va peut-être concrétiser un vieux projet. «Souvent, les jeunes des quartiers nous reprochent d’avoir un regard formaté sur leur réalité, explique-t-il. On s’est dit qu’ils n’avaient pas forcément tort. L’idée, c’est de proposer à des gens des quartiers qui maîtrisent l’outil vidéo de faire leur propre reportage, avec leur regard et avec les mêmes instruments que nous : le reportage, avec des sons, des ambiances, un commentaire off. Nous ne les payons pas, mais nous les suivons au cours du reportage en les conseillant et nous les diffusons». L’émission devrait voir le jour dans les mois qui viennent.

Quels médias pour les banlieues ?

Bondy : des journalistes suisses ont lancé au moment des émeutes de novembre 2005 un blog sur internet

«Qu’ils soient bachelier, professeur, assistant commercial ou chômeur, tous veulent proposer une autre vision de leur lieu de vie.»

S’approprier une réalité qui échappe… Serge Michel en a eu l’intuition lorsqu’il a débarqué à Bondy, commune de la Seine-Saint-Denis cernée par les émeutes. Chef du service étranger de L’Hebdo, un magazine suisse basé à Lausanne, il embrasse Bondy comme un terrain de conflit africain. Le journaliste baroudeur loue un appartement et raconte son quotidien à travers un blog internet qui surprend les journalistes français par son ton et sa fraîcheur de vue. Treize journalistes du magazine se relaient jusqu’en mars 2006 avant de passer la main à de jeunes habitants de Bondy. Professeur de gestion dans un lycée de Bobigny, Mohamed Hamidi se transforme alors en rédacteur en chef d’une équipe d’une dizaine de blogueurs, étudiants, employés ou chômeurs, motivés par l’envie de donner un autre point de vue sur leur quotidien.

Avec 2 000 internautes par jour, le Bondy Blog s’affirme comme une nouvelle voix de la banlieue. &#13;&#10;&#13;&#10;&#9;&#9;(Photo : David Servenay/RFI)
Avec 2 000 internautes par jour, le Bondy Blog s’affirme comme une nouvelle voix de la banlieue.
(Photo : David Servenay/RFI)

Malgré des contributions inégales, ce site internet, parcouru par 1 500 à 2 000 internautes chaque jour, aborde différemment des thèmes peu explorés par la presse généraliste. Pour eux, le prochain rendez-vous à ne pas rater est évidemment la campagne pour l’élection présidentielle. «Je pense que la sécurité sera à nouveau au cœur des débats, explique Mohamed Hamidi, et nous comptons bien être présent dans ce débat, pour exprimer la voix de la banlieue, celle que l’on n’entend jamais». Les communicants politiques, de plus en plus attentifs à la blogosphère, sont avertis.

Une agence de presse spécialisée

Dernière initiative en date : la création d’une agence de presse spécialisée sur la banlieue. Ressources urbaines rassemble un collectif d’une quinzaine de pigistes, rédacteurs et photographes, proposant leur service à la presse et aux collectivités locales. Pour l’un de ses fondateurs, Erwann Ruty, il est essentiel d’établir des passerelles entre les institutions et les habitants de la banlieue. «Le regard des médias sur la banlieue a changé», dit cet ancien collaborateur du magazine Respect. «Les médias accordent beaucoup plus d’attention et de moyens à tous les sujets que nous avons traité dès la fin des années 90 : les discriminations, la mémoire, la ghettoïsation, les relations homme-femme… Toutes ces questions ont vraiment émergé dans la presse, un peu avant les émeutes et beaucoup après», note Erwann Ruty.

L’ambition du collectif Ressources urbaines est de «montrer la réalité des quartiers avec un point de vue de l’intérieur». «Il y a une course de vitesse entre ceux qui vivent repliés dans les banlieues et ceux qui veulent s’ouvrir à l’extérieur, précise Erwann Ruty. La course est mal engagée, car les gens se voient comme des victimes de manière systématique, collective. Il y a donc un vrai besoin dans les médias de mettre les bouchées double pour donner une autre vision de cette réalité. Il y a urgence». Ce sentiment d’urgence est présent dans toutes les rédactions qui s’intéressent aux périphéries des grandes villes françaises. Avec l’impression très nette qu’une fois la colère passée, les responsables politiques se sont désintéressés des difficultés sociales et économiques.

Partout où un préfet à l’égalité des chances a été nommé, les journalistes locaux soulignent leur manque de moyens financiers. Reste les symboles : pour la traditionnelle cérémonie de récompense des bacheliers ayant obtenu la mention «Très Bien» à l’examen, seuls les élèves issus des «quartiers» étaient invités cette année par la préfecture du Val-d’Oise. «Cela devient vraiment une mode la discrimination positive…, ironise une journaliste de l’Echo régional, elle-même issue des «quartiers», c’est vraiment hypocrite ! »



par David  Servenay

Article publié le 25/07/2006Dernière mise à jour le 25/07/2006 à TU