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Egypte

Il y a 50 ans Nasser nationalisait le canal de Suez

Le colonel Nasser, debout dans sa voiture, parcourt les rues d'Alexandrie, acclamé par la foule après avoir annoncé la nationalisation du canal de Suez. 

		(Photo : AFP)
Le colonel Nasser, debout dans sa voiture, parcourt les rues d'Alexandrie, acclamé par la foule après avoir annoncé la nationalisation du canal de Suez.
(Photo : AFP)
Cinquante ans après la crise déclenchée par la nationalisation du canal de Suez, le successeur de Gamal Abdel Nasser, Hosni Moubarak, s'apprête à commémorer l'événement avec une certaine discrétion. Et cela, sans nul doute en raison du conflit en cours au Proche-Orient. Aujourd'hui, le canal de Suez est une voie de circulation prisée des pétroliers. Mais le 26 juillet 1956, c'est un branle-bas international qu'avait déclenché l'annonce de sa nationalisation. La France, la Grande-Bretagne et Israël étaient même intervenus militairement contre Nasser, finalement salué comme un héros dans le monde arabe et, plus largement, dans le tiers-monde.

Certains historiens considèrent que la crise de Suez a commencé le 19 juillet 1956, lorsque le secrétaire d’Etat américain, John Foster Dulles, a annoncé que Washington ne participerait pas au financement du barrage d’Assouan, malgré les garanties qui avaient été données sept mois auparavant dans le cadre de la Banque mondiale. La décision de Dulles, qui était intervenue pendant la campagne pour la réélection du président Eisenhower, constituait une riposte au contrat d’armement que l’Egypte venait de conclure avec la Tchécoslovaquie, alliée de l’URSS sous Khrouchtchev.

Selon Kennett Love, universitaire américain et ancien collaborateur du New York Times, qui a publié ses entretiens avec Nasser, la décision de l’administration Eisenhower avait été jugée outrageante par le président égyptien. Celui-ci avait accusé Washington de violer «tous les principes de décence sur lesquels reposent les relations internationales». De fait, Dulles avait mis en cause «l’aptitude de l’Egypte à consacrer au projet d’Assouan les ressources nécessaires pour en assurer le succès». Nasser prit donc toutes les dispositions pour que les bénéfices de la Compagnie universelle du canal maritime de Suez puissent financer la construction du barrage sur le Nil. Ce projet énergétique et agricole était en effet considéré comme une priorité pour le président égyptien qui ne voulait pas compter sur la seule aide soviétique. D'une part, Moscou n'était pas vraiment désintéressé. Mais d'autre part, le régime soviétique commençait à être contesté dans sa zone d’influence, notamment en Pologne et en Hongrie.

Le discours historique d’Alexandrie

Le 26 juillet 1956, Nasser a prononcé son célèbre discours à Alexandrie sa ville natale. Pendant plus de deux heures, en appelant à la dignité des Egyptiens, il a dénoncé un «impérialisme sans soldats» à Suez. A la surprise de ses auditeurs, le président égyptien a cité quatorze fois le nom de Ferdinand de Lesseps, le diplomate français qui était à l’origine de la construction du canal inauguré en 1869. En réalité, ce «de Lesseps» était un mot de code, le signal pour le déclenchement d'opérations conduites par trente proches collaborateurs du Raïs. Parmi ces derniers se trouvaient notamment Mohammad Younès, son spécialiste des questions pétrolières. L'objectif était d'occuper les principaux points de contrôle du canal, à Port-Saïd et à Suez. Au fil de son discours, Nasser a même déclaré : «à cette minute même, des fils de l’Egypte assurent le contrôle de la Compagnie du canal de Suez, de ses installations et de la direction du trafic». Effectivement, les opérations s'étaient déroulées sans grandes difficultés. La circulation des navires n'avait même pas été interrompue, les employés continuant de vaquer à leurs occupations. En revanche, les administrateurs français ont dû être rapatriés.

Dans ses entretiens avec Kennett Love, le président Nasser lui a confié qu’il ne s’attendait pas à une réaction immédiate de la part des Britanniques, qui détenaient plus de 40% du capital de la compagnie. «Il leur faudrait deux mois pour monter un expédition contre nous. Ces deux mois suffiraient, pensais-je, pour arriver à un accord par la voie diplomatique», expliquait alors le Raïs, en poursuivant : «En même temps, je pensais que les Français étaient trop occupés en Algérie pour pouvoir participer à une opération contre nous. Quant aux Etats-Unis, nous avions l’impression qu’ils se refuseraient à tout emploi de la force». Mais Nasser avait fait une erreur de calcul. Il avait oublié le ressentiment du gouvernement de la France, alors dirigé par le socialiste Guy Mollet. Paris reprochait à l'Egypte son soutien aux nationalistes algériens du Front de libération nationale (FLN). Le président égyptien ne pouvait pas prévoir non plus que le gouvernement britannique d'Anthony Eden allait faire alliance avec les Israéliens. Pour leur part, ces derniers entendaient garantir le passage de leurs navires par le canal. Ils s'inquiétaient déjà des activités au Caire d’un certain Yasser Arafat.

L'opération «Mousquetaire»

Le 24 octobre 1956, un accord ultra-secret entre la France, la Grande-Bretagne et Israël a été conclu à Sèvres, dans la banlieue de Paris, en présence de Guy Mollet et du ministre français de la Défense, Bourgès-Maunoury. La Grande-Bretagne était représentée par Selwyn Lloyd, le secrétaire du Foreign Office. Le Premier ministre israélien Ben Gourion était aussi à Sèvres, avec son ministre des Affaires étrangères et le responsable de la Défense, Moshe Dayan. L’opération «Mousquetaire» prévoyait que les forces israéliennes pénétreraient dans le Sinaï le 29 octobre. Il s'agissait d'une manœuvre de diversion pour justifier l’intervention franco-britannique, sous couvert de «séparer les combattants». Des combats intenses se sont déroulés à Port-Saïd, occupé par des parachutistes français et britanniques en route pour Le Caire où l'objectif était de renverser le régime d'un Nasser, comparé à Hitler par Anthony Eden.

Contre toute attente, le président des Etats-Unis, Dwight Eisenhower qui allait être réélu le 6 novembre, a ouvertement condamné l’intervention franco-britannique en Egypte, peut-être parce que les Américains avaient été écartés des conversations de Sèvres. Eisenhower a même menacé de ne pas soutenir la livre sterling qui était alors en mauvaise posture. Plus encore que les menaces de Khrouchtchev qui agitait l'épouvantail nucléaire, c'est la condamnation américaine qui a marqué la fin de l’opération «Mousquetaire». Un cessez-le-feu a été instauré le 7 novembre 1956, les casques bleus de l’ONU étant appelés à maintenir la paix pour la première fois, dans cette zone du monde.

Suite à cette crise de Suez, la Grande-Bretagne a fait profil bas au Proche-Orient. Le Premier ministre britannique Anthony Eden a été obligé de quitter le gouvernement. En France, il faudra attendre 1958 et le retour au pouvoir du général de Gaulle pour parvenir à une redéfinition de la politique nationale vis-à-vis du monde arabe. A l'époque, pour de Gaulle : «Israël c’est très bien, mais les Arabes ont aussi leurs droits». L'épisode de Suez terminé, les Israéliens ont évacué le Sinaï pour revenir sur leurs positions antérieures, celles de 1949. Enfin, après avoir été à l’origine de la crise de Suez, les Etats-Unis se sont affirmés comme un acteur de premier plan dans les affaires proche-orientales, remplaçant les Européens. Malgré la défaite militaire de l'Egypte en 1956, Gamal Abdel Nasser s'est vu sacré champion du tiers-monde. Plus tard, en 1960, l’Union soviétique décida finalement de financer la construction du barrage d’Assouan, le plus grand projet réalisé en Egypte depuis la construction des pyramides.

Une source de revenus importante pour l’Egypte

Cinquante ans après la crise de Suez, le canal demeure une voie de navigation d’importance cruciale, notamment pour l’Europe. Outre sa position stratégique, Suez est un point de passage obligé pour le pétrole extrait au Moyen-Orient comme pour les marchandises produites en Asie. Le canal de Suez permet de réduire de plus de 20% la distance entre l’Asie et les principaux ports du nord de l’Europe. 7% du commerce maritime mondial transite par ce canal, l'une des plus grandes sources de revenus de l’Egypte, après le tourisme et les envois d’argent des émigrés. En mai 2006, les navires pétroliers et les porte-conteneurs transitant entre la Méditerranée et la Mer Rouge par les 190 kilomètres du canal de Suez ont rapporté plus de 320 millions de dollars de recettes fiscales à l’Egypte. Les projets de privatisation de la compagnie du canal de Suez n’ont jusqu'à présent jamais été retenus, pour des raisons de fierté nationale. Celle-ci n’empêche pas le successeur de Nasser, Hosni Moubarak, de maintenir de très bons rapports avec les Etats-Unis et avec Israël.     



par Antonio  Garcia

Article publié le 25/07/2006Dernière mise à jour le 25/07/2006 à TU

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Les 50 ans de la nationalisation du canal de Suez

Reportage de Mounia Daoudi

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[26/07/2006]

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«Paris et Londres refusaient d'augmenter la part des redevances qui revenait à la République égyptienne. Eh bien, Nasser a décidé que ce serait 100% des revenus du canal qui reviendraient à l'Egypte.»

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