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Musée du quai Branly

Qu’est-ce-qu’un corps ?

Au XVI<sup>ème</sup> siècle Albrecht Dürer se peint dans la stature du Christ. 

		(Photo :  DDCP, musée du quai Branly)
Au XVIème siècle Albrecht Dürer se peint dans la stature du Christ.
(Photo : DDCP, musée du quai Branly)
«Qu’est-ce-qu’un corps ?» n’est pas le sujet de philo du baccalauréat 2006 mais le titre de la première grande exposition d’anthropologie du musée du quai Branly consacré aux arts et aux civilisations extra-européennes, présentée jusqu’au 25 novembre 2007. En l’introduisant sous une forme interrogative, le commissaire de l’exposition, Stéphane Breton, oriente immédiatement le visiteur vers une remise en question des évidences dans la manière de penser sa relation à son corps, aux autres, à la société, au monde. Le corps, rappelle l’exposition, n’est pas simplement constitué d’une tête, d’un tronc, de quatre membres et d’un sexe. Chaque partie du corps est aussi un lieu d’expression très complexe, celui d’une confrontation entre des principes communément différenciés : masculin/féminin, vivant/mort, divin/profane, humain/animal, qui varient selon les cultures et qui s’expriment à travers leurs productions rituelles, sociales artistiques.

La perception que l’on a du corps varie d’une culture à l’autre et il n’existe pas une représentation universelle de celui-ci. L’ethnologue Stéphane Breton, commissaire de l’exposition, a choisi d’ouvrir une fenêtre sur la diversité des représentations humaines pour inviter le visiteur à réfléchir et bousculer chez lui l’idée toute occidentale que le corps serait le siège d’une «irréductible singularité». Le parcours de l’exposition s’articule autour de quatre zones géographiques : l’Occident, l’Afrique de l’Ouest, l’Amazonie en Amérique, la Nouvelle Guinée en Océanie.

A l’entrée de l’exposition, un grand Christ en croix signale l’Occident chrétien qui a instauré l’idée de l’homme créé à l’image de Dieu. A côté, un diaporama sur grand écran reprend cette vision occidentale au travers d’images, de photos, de tableaux, de sculptures et de questions. Des corps drapés ou nus, écorchés, opérés chirurgicalement, recousus, radiographiés, gros, sveltes, plastiquement beaux -ou moins beaux- s’enchaînent en un rythme syncopé. Les images sont zébrées de phrases courtes : «réussi ?» «raté ?», «la chair est image», «le verbe s’est fait chair», «ceci est mon corps», «le corps est image».

Statue féminine. Cette statue est ornée à l'occasion des fêtes organisées par les Bozo (Mali). &#13;&#10;&#13;&#10;&#9;&#9;(Photo : musée du quai Branly, photo Patrick Gries)
Statue féminine. Cette statue est ornée à l'occasion des fêtes organisées par les Bozo (Mali).
(Photo : musée du quai Branly, photo Patrick Gries)

Juste à côté, une installation singulière souligne l’idée qu’en Afrique de l’Ouest, «le corps humain provient d’une sorte de recyclage de l’immense société des ancêtres», comme le résume Stéphane Breton. Un  tas de terre rouge côtoie un linceul sous lequel se devine la forme d’un corps. A côté, se trouve un réceptacle censé recevoir le placenta du nouveau-né et trois poupons en celluloïd noir sont perchés sur des tiges de fer poursuivent l’illustration d’un cycle éternel de la vie et de la mort. Le premier a la tête tournée vers le monde des ancêtres d’où il vient, le second regarde de côté dans un mouvement d’affranchissement et le troisième fixe droit devant lui les «effigies exemplaires» (les statues qui représentent les ancêtres). Là, le visiteur est invité à saisir le lien essentiel qui unit le monde des morts et celui des vivants dans les sociétés mandé et voltaïque d’Afrique de l’Ouest, celles des Dogons, Bambaras, Senoufos, ou Lobis.

En Amazonie, : «le corps n’est qu’une apparence»

Têtes-trophées munduruku, Brésil.&#13;&#10;Ces trophées sont toujours pourvus d'yeux et de crocs. Ils matérialisent les non-humains mal intentionnés à l'égard des vivants. &#13;&#10;&#13;&#10;&#9;&#9;(Photo : DR)
Têtes-trophées munduruku, Brésil. Ces trophées sont toujours pourvus d'yeux et de crocs. Ils matérialisent les non-humains mal intentionnés à l'égard des vivants.
(Photo : Dominique Raizon / RFI)

Dans une vitrine des parures de plumes aux couleurs chatoyantes, des masques, des coiffes, des pendants d’oreilles en élytres de coléoptère sont autant d’objets présentés pour évoquer la représentation du corps en Amazonie. Dans les basses terres d’Amérique du Sud, explique Stéphane Breton, «si l’autre mange comme moi et avec moi, c’est un congénère et je le vois sous une forme humaine (…). En Amazonie, le corps n’est qu’une apparence prise par les seuls animaux qui vivent ensemble», prédateurs des uns, gibiers pour les autres. Attributs de séduction, d’apprivoisement, d’ornementation, les plumes signalent «qu’on possède les mêmes capacités à vivre en couple ou en parents [que les oiseaux] et les ornements de dents, de crocs ou de griffes indiquent une disposition prédatrice à l’égard des non-humains [entendons : ceux qui s’alimentent différemment]».

«Pour les hommes, ce corps fécond est un corps social»

En Nouvelle-Guinée, les théories locales de la procréation aboutissent à l’idée que l’être humain est fondamentalement androgyne. Ce faisant, pour assurer la lignée, l’homme doit affirmer le principe masculin, «à l’origine incertain» puisque androgyne, et donc évacuer le principe maternel dont il est enveloppé, puisqu’il a été conçu dans une matrice. Autrement dit, le garçon «doit devenir incomplet pour pouvoir se compléter avec une épouse et perpétuer le corps paternel», explique Stéphane Breton qui souligne : «pour les hommes, ce corps fécond qui peut contenir quelque chose d’autre que lui n’est pas [perçu comme] un corps physiologique. Ce n’est pas le corps de quelqu’un, mais le corps social». La transformation symbolique passe par des rites extrêmement complexes et des instruments de métamorphoses. Une statuette de maternité, un pénis pourvu de bouche, une statuette à bec ou bien encore un crochet phallique portant la jupe de la maison des hommes sont autant d’objets qui traduisent tout à la fois ces fonctions de pénétration, d’absorption, d’engloutissement, et de restitution liées à la procréation : «tout organe qui sort est en même temps un organe avalé», explique le commissaire.

Masque en tapa, Papouasie-Nouvelle-Guinée.&#13;&#10;«<i>C'est par la dévoration que le corps masculin affirme sa féminité. De cette manière, l'objet masculin englouti devient un objet englobant</i>», explique l'ethnologue Stéphane Breton. &#13;&#10;&#13;&#10;&#9;&#9;(Photo : DR)
Masques en tapa, Papouasie-Nouvelle-Guinée. «C'est par la dévoration que le corps masculin affirme sa féminité. De cette manière, l'objet masculin englouti devient un objet englobant», explique l'ethnologue Stéphane Breton.
(Photo : Dominique Raizon / RFI)

En résumé, il s’avère que le corps n’est qu’ «un produit semi-fini» qu’il convient de compléter en nouant une relation avec «quelque chose qui n’est pas soi» et qui change selon les cultures. «Le propos de l’exposition est de présenter un argument anthropologique et de l’illustrer par les représentations plastiques», explique Stéphane Breton. La formule choisie est-elle pour autant une réussite pour exprimer un concept aussi intéressant, riche et complexe ? Ce n’est pas certain. Certes le visiteur soucieux de comprendre l’interrogation se laissera guider par les panneaux écrits blancs sur gris dans la pénombre. Mais mieux vaut toutefois s’être muni au préalable d’un solide viatique, en l’occurrence l’étude livrée par Stéphane Breton dans le catalogue qui accompagne l’exposition (Qu’est-ce-qu’un corps ?, éditions Flammarion).



par Dominique  Raizon

Article publié le 28/07/2006Dernière mise à jour le 28/07/2006 à TU