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Pierre Vidal-Naquet: mort d' un intellectuel engagé

Grand spécialiste de la Grèce antique, l'historien Pierre Vidal-Naquet, 76 ans, a consacré sa vie à défendre des idéaux démocratiques. Il est décédé dans la nuit de vendredi à samedi à l'hôpital de Nice (sud de la France). 

		(Photo : AFP)
Grand spécialiste de la Grèce antique, l'historien Pierre Vidal-Naquet, 76 ans, a consacré sa vie à défendre des idéaux démocratiques. Il est décédé dans la nuit de vendredi à samedi à l'hôpital de Nice (sud de la France).
(Photo : AFP)
Eminent helléniste, docteur ès-lettres et agrégé d’histoire, chercheur, professeur et directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS), Pierre Vidal-Naquet qui s’est éteint samedi à 76 ans se définissait lui-même comme «un historien militant». Grand spécialiste de la Grèce antique, l’intellectuel s’est inscrit dans l’histoire contemporaine en intervenant dans la plupart des grands débats des dernières décennies. Dénonciateur de la torture durant la guerre d’Algérie, adversaire du pouvoir des colonels en Grèce, il s’est beaucoup investi dans les principaux dossiers judiciaires et politiques.

L’historien ne travaille pas que sur le passé et l’histoire ne s’écrit pas seulement dans les livres. Pierre Vidal-Naquet, helléniste de renom, s’illustra aussi comme une grande voix de la conscience intellectuelle européenne contemporaine. Né le 23 juillet 1930 à Paris, il est décédé à Nice (sud) samedi des suites d’une hémorragie cérébrale, après avoir consacré sa vie à défendre le droit et la justice.

«L’affaire de la torture a été la première grande cause de ma vie», déclarait Pierre Vidal-Naquet à Libération en janvier dernier. L’adolescent a quatorze ans lorsque ses parents sont arrêtés par la Gestapo et disparaissent dans le camp d’extermination nazi d’Auschwitz. Consacrant sa vie à leur rendre hommage, il s’engage très tôt dans la Résistance, pour, dit-il, ne pas être «un juif errant». Il est un des premiers à démonter les thèses des négationnistes niant la réalité du génocide juif et l’existence des chambres à gaz pendant la Seconde guerre mondiale. En 1995, il écrit Réflexions sur le génocide.

Militant contre la guerre en Algérie, il signe le Manifeste des 121, un appel à la désobéissance contre la guerre d’Algérie. Il dénonce les tortures et la raison d’Etat. Il créé en 1957, avec d’autres intellectuels, le comité Maurice Audin du nom d’une jeune mathématicien, militant communiste et anticolonialiste, assistant à la faculté des sciences d’Alger qui, arrêté, ne réapparaîtra jamais, probablement assassiné. Le comité demande l’ouverture d’une enquête judiciaire et Pierre Vidal-Naquet suit de près cette affaire à laquelle il consacre, en 1958, un ouvrage plusieurs fois réédité : l’Affaire Audin (1957-1978). (L’enquête menée par le comité Audin a établi que l’homme est mort sous la torture, bien que l’Etat français ne l’ait jamais reconnu : l’affaire Audin s’est terminée par un non lieu, encore répété en 2001).

Un humaniste, engagé à gauche mais hors des partis politiques

Le Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples [Mrap] a déclaré avoir perdu «un ami, un camarade de combat». Engagé à gauche mais hors des partis politiques, Pierre Vidal-Naquet a lutté toute sa vie contre la tyrannie et dénoncé les atteintes aux droits de la personne humaine. Il est l’auteur de la Raison d’Etat (1962), la Torture dans la République : Essai d’histoire et de politique contemporaine (1954-1962), les Assassins de la mémoire (1987), Face à la raison d’Etat. Un historien dans la guerre d’Algérie (1989) et les Crimes de l’armée française : Algérie 1954-1962 (2001). Plus récemment, en juillet 2003, il participe au nom de la Coordination française pour promouvoir une culture de paix et de non-violence à l’appel «Une autre voix juive», regroupant des personnalités juives solidaires du peuple palestinien.

Epris de justice et de liberté et chercheur scientifique rigoureux, il appose sa signature au bas de la pétition Liberté pour l’histoire !, une pétition que lance, fin 2005, un collectif d’historiens et d’universitaires réclamant l’abrogation de tout article de loi qui imposerait un jugement historique tel que, par exemple, le «rôle positif» de la colonisation. Soucieux de garder toute latitude pour exercer librement son travail de recherche, refusant que la lecture de l’histoire soit bordée par des consignes «officielles» -dictée par les lois, la morale ou la pensée politiquement correcte-, Pierre Vidal-Naquet considère qu’«il n’appartient ni au parlement ni à l’autorité judiciaire de définir la vérité historique».

«La science perd l’un de ses meilleurs connaisseurs de la Grèce antique, la culture un grand érudit, l’humanité un homme engagé pour la vérité qui mettait l’exigence de précision au premier rang de tout ce qu’il faisait», a résumé le ministre de la Culture Renaud Donnedieu de Vabres.



par Dominique  Raizon

Article publié le 31/07/2006Dernière mise à jour le 31/07/2006 à TU

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