Proche-Orient
Les bataillons français de la Finul «renforcée»
(Photo : AFP)
«Robuste» : c'est le terme retenu par le général de Villiers qui commande la 2ème Brigade blindée d'Orléans, au sud de Paris... C'est sur cette brigade qu'est prélevé le premier des deux bataillons français destinés à renforcer la Finul. C'est de l'artillerie lourde, avec des canons sol-sol de 155 mm. Et du char : les AMX 10 d'un Régiment de marche du Tchad et un escadron de chars Leclerc - le blindé le plus lourd, le plus puissant de l'armée française capable d'ajuster une cible alors qu'il est lui-même en déplacement ! Un engin de la même catégorie que les Merkeva israéliens, par exemple, mais plus récent. C'est un message adressé aux belligérants : les casques bleus feront leur travail à l'abri d'un bouclier constitué par ce matériel que - dit le général de Villiers - la France a voulu «suffisamment protecteur et dissuasif». Le système anti-aérien et les moyens de détection qui accompagnent ce bataillon auront une fonction du même genre.
Il est très rare que des engins de cette puissance soient mis en oeuvre lors d'opérations de paix, en tout cas sous le pavillon de l'ONU, où le casque bleu est de culture très pacifiste. C'est dire si le terrain est considéré comme dangereux. Il y a le souci également de se faire respecter et d'éviter la paralysie, et même des "humiliations", comme les soldats de la paix en ont souvent connues. Et qui ne sont pas sans conséquences politiques. Les unités de ce premier bataillon français doivent rallier le port de Toulon dans les jours qui viennent : il faudra quatre jours de mer pour atteindre les côtes libanaises, ce bataillon devant se déployer à partir de la mi-septembre.
Une vingtaine d'opérations extérieures
L’armée française est engagée dans une vingtaine d’opérations de paix : cinq sous pavillon européen, cinq dans le cadre d’un mandat Onu, cinq sous la bannière Otan et cinq sous le drapeau tricolore, essentiellement en Afrique. A cela il faut ajouter des missions permanentes en mer : Golfe de Guinée, océan Indien, Pacifique, des forces prépositionnées dans 5 bases en Afrique et des forces dites de «souveraineté» en Martinique-Guadeloupe, Guyane, Réunion-Mayotte, Polynésie, Nouvelle-Calédonie. Avec 17 000 hommes pour l’outre-mer français, près de 6 000 dans les bases en Afrique, plus les 15 000 en opérations extérieures dites Opex, ce sont au total 38 000 militaires qui servent hors de l’Hexagone …soit un dixième environ de la ressource totale.
Ce chiffre ne suffit pas à décrire toute l’activité générée par ces «Opex» : il faut 2 à 3 personnels à l’arrière pour chaque combattant sur un terrain extérieur (logistique, santé, administration). En outre, la plupart de ces troupes doivent être relevées tous les quatre mois, selon un cycle qui concerne toute l’armée – notamment de terre : 4 mois en mission, 4 de repos, 4 de remise en condition et re-départ… Depuis 2003, début de l’opération Licorne en Côte d’Ivoire, ce ne sont pas 3 500 hommes qui ont composé l’effectif de Licorne, mais près de 60 000 qui s’y sont succédés, parfois plusieurs fois…
Ces quelque vingt «Opex» sont cependant d’importances très inégales. Elles vont de trois gendarmes en Palestine, ou quinze observateurs dans le Sinaï et 50 au Cameroun jusqu'à une série d’opérations majeures, dont les cinq grandes du moment : la Bosnie, avec plus de 400 hommes, le Congo, plus d’un millier, 2 050 au Kosovo et en Afghanistan , 3 500 en Côte d’Ivoire et donc le Liban, avec les 1700 personnels à bord des bateaux de l'opération Baliste et les 2 000 bientôt affectés à la Finul renforcée.
Bien qu’on approche d’un taux de 10 % de la ressource pour les «Opex», les militaires considèrent qu’ils «savent faire», qu’ils «passent leur temps à s’entraîner» pour des opérations de ce genre, que c’est dans les moyens d’une armée professionnalisée, disposant de toute la palette des unités spécialisées et où le matériel, ces quatre dernières années, a bénéficié d’une remise en condition, grâce à des lignes de crédit supplémentaires. L’important, pour les militaires, étant plutôt la clarté des buts d’opération, des ordres et des règles d’engagement – comme ils l’ont montré encore à l’occasion du montage de la Finul renforcée où ils ont cherché à freiner l’ardeur de certains politiques.
La France ne veut plus intervenir seule en Afrique
L’Afrique a longtemps été le bac à sable traditionnel de l’armée française – un terrain à la mesure d’une puissance en fait moyenne – avec une bonne quarantaine d’interventions depuis les indépendances des années soixante, huit accords de défense, une vingtaine d’accords de coopération militaire, cinq bases permanentes … dans le cadre de relations avec d’anciennes colonies, notamment en Afrique de l’Ouest et centrale. Du coup, la France est longtemps apparue comme le gendarme de l’Afrique – tâche que lui abandonnaient volontiers les Américains. Ces temps sont révolus.
Les effectifs prépositionnés sont en baisse, plusieurs bases ont été ou seront fermées. Il ne devrait subsister à terme que trois d’entre elles, une par grande région, Dakar, Libreville, Djibouti. Désormais, l’armée française ne souhaite plus intervenir en Afrique sous pavillon national, ni seule. En Côte d’Ivoire, Licorne est en appui de l’Onuci. Au Congo-Kinshasa, elle agit sous le pavillon de l’Union européenne (Eufor-Congo). L’objectif est de mutualiser, d'européaniser le plus possible et d’agir en liaison avec les grandes organisations régionales ou continentales. C’est le cas du Renforcement des capacités africaines de maintien de la paix (Recamp), ouvert à tous pays sans aucune exclusive géopolitique, linguistique ou autre, devenant outil d’entraînement et d'évaluation des Brigades régionales «en attente» que souhaite créer l’Union africaine à travers le continent.
Se projeter parfois très loin du territoire national et des bases «métropolitaines» où sont stationnées les unités, demande une formation spéciale, une sensibilisation, un environnement médical et logistique particuliers, sans parler des moyens de transport à longue distance et des armements adaptés aux conditions géopolitiques ou climatiques. Une série d’unités sont spécialement profilées pour ces «Opex». Parmi les plus aguerries, les troupes dites de marine, qui sont les anciennes troupes coloniales, longtemps spécialistes de l’Afrique où elles tenaient les garnisons. Ce corps est resté la matrice de tout ce qui concerne chez les militaires le Sud, les tropiques, l’outre-mer … et par extension, les opérations extérieures, même si la règle est désormais que toutes les unités de l’armée «tournent en Opex».
Ce corps de marine est un mélange de traditions, d’ouverture sur le monde et sur les autres, une façon de se mêler aux populations, un «humanisme militaire»… à quoi s’ajoute une certaine rusticité. Une partie des état-majors, y compris par exemple l’actuel chef d’état-major des armées, est issue de ce corps appelé à disparaître en tant que tel. Une série de régiments, bataillons d’infanterie ou d’artillerie de marine appartient à cette arme : les Rima, Bima, etc.. Les troupes de marine commémorent ce 31 août, à Bazeilles, dans l’est de la France, comme chaque année, un épisode héroïque des anciens «Bigors», face à l’armée allemande en 1870, qui est devenu leur fête.
Le sur-coût en frais déplacement, installation, primes, usure du matériel est évalué à 600 millions environ par an. Faute de mieux, les opérations étaient financées dans le passé en rognant sur les crédits d’équipement. Depuis un an, une ligne budgétaire spéciale donne une certaine sécurité financière à une activité qui est devenue une seconde vocation pour une armée française en manque d’ennemi dûment identifié. En retour, la France obtient prestige et reconnaissance à l’échelle internationale, ce qui lui permet de tenir son rang de membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU. Il y a en effet peu de pays susceptibles d’apporter un concours de premier rang aux opérations de l’Onu, c'est-à-dire de jouer un rôle de «nation-cadre» sur plan militaire, tout en exerçant une influence diplomatique qui peut aider à «imposer la paix». C'est ainsi que tous les autres membres permanents du Conseil ont invoqué de bonnes (ou mauvaises) raisons pour ne pas s’engager, par exemple, à renforcer la Finul au Liban …
par Philippe Leymarie
Article publié le 30/08/2006 Dernière mise à jour le 30/08/2006 à 15:56 TU