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Turquie

A deux mois de sa visite, le pape irrite la Turquie musulmane

A propos du pape, le Turc&nbsp;Ali Bardakoglu, directeur des Affaires religieuses,&nbsp;estime&nbsp;que «<em>la visite</em> <i>d’une personne&nbsp;ayant de telles opinions sur l’islam et son Prophète ne représente aucun intérêt pour le monde musulman»</i> 

		(Photo : AFP)
A propos du pape, le Turc Ali Bardakoglu, directeur des Affaires religieuses, estime que «la visite d’une personne ayant de telles opinions sur l’islam et son Prophète ne représente aucun intérêt pour le monde musulman»
(Photo : AFP)
En Turquie, où il est attendu fin novembre, les propos tenus mardi en Allemagne par le pape Benoît XVI sur la violence de l’islam, ont soulevé un véritable tollé. La presse rappelle que le souverain pontife n’a jamais été bien disposé à l’égard des musulmans et de la Turquie, dont il ne souhaite pas l’entrée dans l’Union européenne. Et sa venue est, si ce n’est compromise, en tous cas indésirable faute d’excuses.
De notre correspondant à Istanbul

Pour une Turquie qui se targue de vouloir rapprocher le monde islamique et l’Occident pour éviter le choc des civilisations prédit par Huttington, plus que pour tout autre pays musulman, les propos du souverain pontife sur l’islam ont été vécus comme un affront délibéré et inacceptable. Mais pas forcément comme une surprise. La presse turque a eu tôt fait de se souvenir que le cardinal Ratzinger, avant d’être élu successeur de Jean-Paul II, n’avait pas caché que l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne serait selon lui une «énorme erreur» et un choix «allant contre le sens de l’histoire». En parlant de religion imposée «par la force de l’épée» et de «foi dénuée de toute raison», le pape ne veut-il pas tout simplement réitérer son opinion selon laquelle la Turquie n’a pas sa place en Europe, se demande le journal Sabah.

La venue de Benoît XVI en Turquie, le 28 novembre prochain, ne s’annonce pas en tous cas sous les meilleurs auspices. L’invitation officielle adressée au souverain pontife peut aujourd’hui difficilement être reprise et annulée, et la mesure n’est pas à l’étude – pour l’instant ? - d’après un diplomate turc cité par l’AFP sous couvert d’anonymat. Mais l’unanimité des critiques qu’il a soulevées et les demandes d’excuses préalables qui se sont manifestées, ont jeté une ombre épaisse sur un voyage qui, déjà, faisait grincer des dents. Conviée par le patriarche orthodoxe, Bartholomée 1er, ce n’est que du bout des lèvres que la présidence turque, pour respecter le protocole diplomatique, s’était résolue, après des mois d’attente, à lui adresser une invitation officielle.

Une visite sans intérêt pour le monde musulman

Pour l’influent journal libéral Milliyet, la vive réaction du directeur des Affaires religieuses, organe gouvernemental supervisant l’islam dans la république laïque turque, sous-entendrait que le pape n’est plus le bienvenu en Turquie. «La visite d’une personne ayant de telles opinions sur l’islam et son Prophète ne représente aucun intérêt pour le monde musulman», a déclaré le professeur Ali Bardakoglu, cité par le quotidien. Une déclaration en guise d’avertissement, plutôt surprenante pour un haut fonctionnaire habitué à la retenue et à la modération, peu versé en tous cas  à se mêler de politique intérieure et encore moins de politique étrangère. En l’absence de prise de position de responsables politiques, tenus par leurs engagements diplomatiques, sa réplique tient donc lieu de réaction quasi officielle.

«J’espère qu’il s’excusera et se rendra compte du mal qu’il fait à la paix [entre les religions], car s’il ne fait pas son autocritique, sa venue ne semble pas devoir servir cette paix», a prévenu M. Bardakoglu, qui n’hésite pas à qualifier d’«arrogance», de «haine», d’«animosité» et même de «fanatisme» les propos du chef de la communauté catholique. Une demande d’excuses formulée également par des responsables syndicaux et politiques du pays, le vice-président du groupe parlementaire du parti de la Justice et du Développement (au pouvoir) allant jusqu’à mettre Benoît XVI «dans la catégorie d’Hitler et de Mussolini» ! Il n’en faut pas plus aux médias pour évoquer une «nouvelle crise des caricatures», et un regain d’islamophobie que le président américain George Bush a encore ravivé avec sa récente évocation du «fascisme islamique».

«Retire ces mots», lance Yeni Safak, journal des islamistes les plus extrémistes, à l’égard de Benoît XVI , en comparant ses déclarations à celles du dernier empereur byzantin jusqu’à la prise de Constantinople par les Ottomans en 1453, Manuel II le Paléologue ; il aurait affirmé à l’époque que le Prophète «Mahomet n’a amené sur terre que du mal et de l’inhumain». «Des excuses immédiatement», réclamait vendredi la presse turque, suivie par le grand syndicats des fonctionnaires et des manifestants réunis dans la capitale Ankara pour une marche silencieuse. Le nouveau pape est aussi connu en Turquie pour son aversion à l’islam que le précédent, qui visita la Turquie à trois reprises, était connu pour son hostilité au communisme. Et pour Haluk Koç, le porte-parole de l’opposition parlementaire du Parti du peuple républicain (CHP, social-démocrate), «le pape jette de l’huile sur le feu dans un monde où le risque d’un conflit entre les religions augmente».

par Jérôme  Bastion

Article publié le 16/09/2006 Dernière mise à jour le 16/09/2006 à 12:03 TU