XIe Sommet de la Francophonie
Le nouveau visage de l’Organisation internationale de la Francophonie
(Photo : sommet-francophonie.org)
« La Roumanie est le premier pays de l’Europe centrale et orientale à avoir été choisi comme hôte d’un Sommet des chefs d’Etat et de gouvernement ayant le français en partage. Avec sa spécificité de pays à la fois membre de l’OIF et de pays qui obtiendra, le 1er janvier 2007, le statut de membre de l’UE, la Roumanie entend jouer un rôle de pilier régional dans la structure des pays francophones européens. » En quelques mots, le président roumain Traian Bãsescu, en page d’accueil du site (1) que la Roumanie consacre au Sommet de Bucarest des 28 et 29 septembre 2006, met l’accent sur le message essentiel de la Conférence, au-delà de son thème Technologies de l’information dans l’éducation : la Francophonie se vit aussi à l’est de l’Europe, et cette réalité européenne peut, du fait de la double appartenance à l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) et à l’Union européenne (UE) de certains des nouveaux membres, se révéler un atout majeur pour renforcer l’influence francophone. En effet, l’événement de la XIe Conférence des chefs d’État et de gouvernement des pays ayant le français en partage, c’est sa localisation : vingt ans après le premier sommet à Versailles (1986), le fait que les francophones se retrouvent dans une capitale d’Europe de l’Est met en lumière le nouveau visage d’une organisation qui a profondément évolué, du point de vue de ses membres comme de ses ambitions.
Francophonie post-coloniale et francophonie post-soviétique
Forte à sa naissance, en 1970, de 21 membres dont 13 africains – le continent de trois des cinq pères fondateurs, le Sénégalais L.S. Senghor, le Tunisien H. Bourguiba et le Nigérien H. Diori étant son berceau historique –, la Francophonie a d’abord largement recruté au sud : au 1er janvier 1990, elle comptait 39 membres dont 25 africains. La dernière décennie du XXe siècle marque un tournant pour l’organisation, qui séduit alors bien au-delà de son bassin d’origine : elle accueille désormais 63 membres, dont 29 sont africains. La Francophonie des années soixante-dix, souligne un expert de l’organisation, était « post-coloniale » au sens où elle réunissait, pas uniquement mais principalement, d’anciens colonisateurs (France et Belgique) et d’anciens colonisés, pour la plupart africains. Pendant vingt-cinq ans, la Francophonie a vécu un fait culturel – le partage de la langue française – comme un atout pour mieux coopérer, pour mieux développer les pays membres du Sud.
En 1989, la chute du Mur de Berlin suivie de la disparition de l’URSS ouvre la voie à une francophonie « post-soviétique » : les pays d’Europe de l’Est et centrale, libérés de la tutelle communiste et soucieux de se désenclaver, cherchent de nouvelles portes d’entrée pour agir à l’international. Des 24 nouveaux membres accueillis par l’OIF entre 1990 et 2005, 13 sont issus de cet espace européen où la langue française porta longtemps les valeurs humanistes. Parallèlement, le sommet de Hanoï, en 1997, en créant un secrétariat général particulièrement chargé d’affirmer la présence francophone sur la scène internationale et en le confiant à l’ancien secrétaire général des Nations unies, l’Egyptien Boutros Boutros-Ghali, marque le passage d’une Francophonie culturelle et de développement à une Francophonie politique, une Francophonie d’influence. Dans une même logique de rationalisation des structures et de renforcement de la visibilité internationale, la nouvelle Charte adoptée en novembre 2005 à Tananarive fait de l’OIF l’organisation intergouvernementale unique de la Francophonie.
L’OIF, un acteur politique reconnu et sollicité
Aujourd’hui, nul ne songe à contester que l’OIF est désormais un acteur politique reconnu et sollicité, particulièrement après le rôle joué dans deux épisodes récents de la vie internationale. En 2003, lors du déclenchement de la guerre en Irak tout d’abord : c’est confortée par les francophones que la France put empêcher que le recours à la force soit autorisé par le Conseil de sécurité des Nations unies. En 2005, lors de la bataille autour de la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, à l’Unesco, ensuite : c’est en grande partie grâce à une mobilisation francophone de longue haleine que le texte fut enfin adopté. Une action qui s’inscrit particulièrement dans le projet francophone : « Face à une mondialisation protéiforme et déshumanisée qui anesthésie nos espérances, soulignait à Genève en février 2006 l’actuel secrétaire général, Abdou Diouf, le projet de « civilisation de l’universel » construit par Léopold Sedar Senghor, dont nous fêtons en cette année 2006 le centième anniversaire de la naissance, reprend tout son sens, sa pertinence, son actualité. Il n’est plus seulement séduisant, il est devenu nécessaire.(…) Des enceintes telles que la Francophonie peuvent être le lieu où recréer un multilatéralisme positif, suscitant des coopérations et des coordinations plutôt que des antagonismes. En effet, les problèmes peuvent s’y débattre sans faire intervenir d’emblée des relations de pouvoir et de domination. »
Les membres européens de l’OIF peuvent accroître sa capacité d’influence
Si les nouveaux entrants trouvent ainsi dans la Francophonie une enceinte plus démocratique que l’actuel système international, l’organisation peut en retour, grâce à ces nouveaux membres, accroître sa capacité d’influence. « Nous avons besoin, affirmait Abdou Diouf le 20 mars 2006 à Bucarest, d’une entrée réussie et fructueuse de votre pays dans l’Union européenne. Nous avons besoin d’une Roumanie vivante, active, créative et militante de la Francophonie dans l’Union européenne. (…) L’OIF compte actuellement 11 Etats membres de l’Union européenne (2), et bientôt 13, et pas moins de 21 membres de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe. Avec la Roumanie et ses voisins membres de notre organisation, membres ou proches de l’Union européenne, on mesure l’importance de la dimension européenne de la Francophonie. » Lucide sur ses moyens somme toute limités, l’OIF – et avec elle ses membres les moins développés – a tout à gagner à peser davantage au sein de l’Union européenne, notamment parce que celle-ci est le premier bailleur de fonds mondial. Mais aussi parce que l’avenir du français comme langue internationale se joue en partie au sein de l’Union.
Une promesse et un défi pour l’organisation elle-même
L’élargissement européen de la Francophonie est en outre, pour l’organisation elle-même, à la fois une promesse et un défi. Une promesse car le probable rattrapage économique des nouveaux membres devrait en faire, demain, des contributeurs conséquents au budget de l’OIF, une assise budgétaire élargie étant le gage d’une autonomie accrue. Un défi car l’OIF doit, sous peine de devenir une organisation à deux vitesses, réussir la symbiose entre francophonie post-coloniale et francophonie post-soviétique : pour l’instant, les pays du Sud sont majoritairement membres de plein droit, tandis que ceux d’Europe centrale et de l’Est ne sont pour la plupart qu’associés ou observateurs. En réfléchissant aux moyens de mieux intégrer ces derniers, de développer une cohésion accrue entre ses membres qui se connaissent peu ou mal, la Francophonie sera fidèle à son ambition, celle qu’Abdou Diouf définissait ainsi à Genève : « La Francophonie apporte, à l’universel abstrait de la norme et du droit, la richesse d’un universel concret, celui de l’échange dans le respect de l’Autre, afin que vivent et se déploient les cultures multiples de notre Humanité. »par Ariane Poissonnier
Article publié le 18/09/2006 Dernière mise à jour le 18/09/2006 à 16:50 TU
(1) http://www.sommet-francophonie.org/pag.php
(2) Onze des 25 Etats de l’Union sont membres de l’OIF ; la Roumanie et la Bulgarie doivent entrer dans l’UE au 1er janvier 2007 (décision de la Commission en octobre 2006) ; la Croatie, membre observateur de l’OIF, attend que soit fixée la date d’ouverture des négociations d’adhésion; la Macédoine, membre associé de l’OIF, a été reconnue candidate le 15 décembre 2005 et l’Albanie, également membre associé de l’OIF, vient d’achever la négociation d’un accord de stabilisation et d’association, première étape de la procédure d’adhésion à l’UE. Source : Rapport d’information n°3133, Assemblée nationale française, 7 juin 2006.