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Guyane

Sans papiers : 3 lycéens arrêtés

Les grilles du centre de rétention de Rochambeau où les trois lycéens haïtiens ont été conduits lundi 18 septembre. 

		(Photo : F.Farine)
Les grilles du centre de rétention de Rochambeau où les trois lycéens haïtiens ont été conduits lundi 18 septembre.
(Photo : F.Farine)
Deux lycéens et une lycéenne, originaires d’Haïti, ont été arrêtés et placés au centre de rétention de Rochambeau lundi 18 septembre. En début de soirée, la lycéenne avait été libérée par la Préfecture de Cayenne, son avocat ayant fourni un document jugé probant par l’autorité administrative. Ces trois arrestations ont provoqué une levée de boucliers d’enseignants et d’associations humanitaires de Guyane. Le syndicat unitaire FSU a lancé un mot d’ordre de grève contre les expulsions de lycéens pour mercredi 20 septembre car d’autres élèves sont menacés.

De notre correspondant en Guyane

«Je me suis dit : pour mes études, c’est fichu…» En partie soulagée, hier soir, juste après sa sortie du centre de rétention de Rochambeau,  Béthanie Milliard, 20 ans, Haïtienne sans-papiers, en 1e année de baccalauréat professionnel en restauration, n’ignorait pas qu’elle avait bien failli ne plus retrouver ses camarades du lycée Melkior et Garré de Cayenne. Arrêtés le même jour par la gendarmerie, deux autres élèves Haïtiens, Ysmond Dorafils, élève en terminale au LEP Michotte de Cayenne et Sonnel, en 2e année de BEP au lycée Balata de Matoury, s’apprêtaient eux à dormir lundi soir sur les lits en béton du centre de rétention. «Quand je suis sortie peu avant 19h, ils étaient encore au centre de rétention où il n’y a ni draps, ni matelas», raconte Béthanie. «Là-bas il n’y a pas de portes ni pour les toilettes ni les douches, c’est pire qu’un régime carcéral», renchérit Alexia Lafranque de l’antenne locale de la Cimade, autorisée à rendre visite aux personnes retenues.

Pour Béthanie, la mauvaise journée avait commencé à la gendarmerie de Rémire (périphérie de Cayenne) où elle était convoquée lundi matin : «les gendarmes m’ont dit :’Vous savez pour quoi vous êtes là ? Parce qu’on va vous reconduire à Haïti !’», raconte l’intéressée. Alertés, ses camarades de classe informent leurs professeurs et une trentaine d’enseignants du lycée Melkior débrayent immédiatement pour aller manifester devant le centre de rétention. Parmi eux, Estelle Tarby, professeur de Français, ces 2 dernières années, de la lycéenne : «L’arrestation d’une fille comme Béthanie c’est ridicule et inhumain. Elle est un modèle de réussite et de solidarité envers ses camarades. Elle a été élue ‘meilleure toque’, c’est à dire meilleure apprentie de Guyane en cuisine en 2006 et a eu son BEP aisément».

Certificat d’adoption

A la Préfecture de Guyane, le secrétaire général Christophe Tissot rétorque que «le fait d’avoir de bons résultats scolaires ne suffit pas pour satisfaire aux critères de régularisation même si c’est peut-être dommage», avant de pointer des démarches, selon lui tardives et non concluantes de l’intéressée : «Cette jeune femme s’est fait connaître à la  préfecture en décembre 2005, soit 5 ans après son arrivée irrégulière en Guyane, comme souvent dans ce type de dossier». La version de Béthanie est différente : «J’ai gardé tous mes accusés de réception. J’ai écrit une première fois à la préfecture, le 22 mars 2004, 4 jours après mes 18 ans. Après plus de 7 mois sans réponse, j’ai écrit une seconde fois. Cinq mois ont passé et on ne me répondait toujours pas, j’ai écrit une 3e fois. Deux mois après, on m’a convoqué pour décembre 2005».

Fin juin 2006 Béthanie reçoit un rejet de sa demande de titre de séjour daté du 18 mai et une invitation à quitter le territoire : «le refus arguait que j’étais depuis moins de 10 ans en Guyane et que mes parents n’y vivent pas (sa mère est à Haïti, son père en situation irrégulière à l’île Saint-Martin en Guadeloupe)». En juillet un arrêté de reconduite à la frontière est signé à son encontre. Entre-temps, elle dépose un recours gracieux devant le préfet resté sans réponse (la loi n’oblige pas un préfet à répondre à ce type de recours). Hier soir, maître Jérome Gay, l’avocat de Béthanie a déposé «un élément nouveau» selon la Préfecture, un certificat d’adoption (daté du 13 août 1998 en Haïti) de Béthanie par son oncle, aujourd’hui naturalisé français et chez qui elle vit en Guyane. Mais pourquoi avoir présenté cette pièce au dernier moment ? «On l’avait depuis longtemps mais on ne la pensait pas recevable», explique Béthanie, «une assistante sociale du lycée m’a expliqué récemment que mon adoption pouvait être prise en compte». La situation de Béthanie sera réexaminée par la préfecture.

Les Dom dans le flou

Mais, selon la Cimade, bien d’autres lycéens de Guyane qui ont demandé leur régularisation se retrouvent visés par des arrêtés de reconduite à la frontière. «Les autorités ne veulent pas nous en révéler le nombre», indique Alexia Lafranque. «Nous allons demander ces chiffres au préfet et exiger l’arrêt de ces arrestations de lycéens. Les lycéens sans-papiers qui ont participé aux réunions d’informations de la préfecture se retrouvent fichés !», tonne Alain Bravo secrétaire départemental de la FSU qui a lancé un mot d’ordre de grève pour le 20 septembre.

«Nous prenons de plein fouet le fait que la circulaire de juin de Nicolas Sarkozy permettant des régularisations, n’ait pas été applicable aux départements d’outre-mer (Dom). C’est de la discrimination. M. Sarkozy avait toutefois promis des directives pour les Dom en septembre, nous y sommes largement», souligne Alexia Lafranque. «Si cette circulaire a oublié les Dom, les élus d’outre-mer en sont les premiers responsables», estime Alain Bravo. Les Verts de Guyane et la Ligue des droits de l’homme réclament une régularisation des lycéens sans papiers pour leur permettre d’achever leur scolarité. Pour une enseignante du lycée de Béthanie : «Ce serait un bon exemple de discrimination positive».



par Frédéric  Farine

Article publié le 19/09/2006 Dernière mise à jour le 19/09/2006 à 08:54 TU