XIe Sommet de la Francophonie
La vie du français en Europe - Roumanie : une francophonie à la fois historique et d’avenir
De notre correspondant à Bucarest
Le français, une langue réservée a l’élite ? Pas si sûr… Les chiffres publiés par le ministère roumain de l’Education contredisent cette idée reçue. Actuellement, près de 2 millions d’élèves, soit 42 % de la population scolaire, apprennent le français à l’école. Et le nombre de professeurs de français dans le pays est de 14 000 – de quoi remplir un stade de taille moyenne. Alors, pourquoi la presse « élitiste » déplore-t-elle régulièrement « ’américanisation » de la jeunesse roumaine et la perte de vitesse du français ? En regardant la même étude, on relève tout de même des motifs d’inquiétude : le français était, jusqu’à il y a quelques années, la première langue enseignée en Roumanie. Depuis 2001, il a été doublé par l’anglais. De même, on observe un vieillissement du corps professoral de français : 60 % de celui-ci est âgé de plus de 45 ans, tandis que le pourcentage pour son homologue de la langue anglaise n’est « que » de 38 %…
Pour Cristian Preda, le secrétaire d’Etat chargé de la Francophonie, il n’y a pas lieu de désespérer. « La sensibilité francophone de la Roumanie est toujours présente, et il ne serait pas possible d’effacer l’importance que le français a eu pour la Roumanie. La langue est l’outil premier de transmission d’une culture et plus de deux siècles et demi d’utilisation, de lecture et de modelage des institutions roumaines sur des modèles français et belge ont laissé des traces ineffaçables. »
Des liens forts et anciens entre Paris et Bucarest
En effet, la Roumanie est de longue date attachée à la France et à la francophonie. Dès le début du XIXè siècle, pendant les guerres russo-turques qui se déroulaient sur le territoire de la future Roumanie, l’aristocratie locale entre en contact, par le biais des Russes, avec la langue et la culture françaises. Puis l’éveil de la conscience nationale roumaine, qui fait suite au mouvement des Lumières français, se traduit notamment par deux poussées indépendantistes, vers 1820 puis vers 1848. C’est finalement avec l’appui de Napoléon III, qui intervient en ce sens lors du traité de Paris de 1856, que la Moldavie et la Valachie obtiennent la reconnaissance de leur union en un État unique, la Roumanie. Le nouvel État est officiellement reconnu en 1861 par les puissances européennes et les Ottomans, l’indépendance étant formellement proclamée le 10 mai 1877. De même, pendant la Première guerre mondiale, c’est un général français, Henri Berthelot, qui contribue de manière décisive à la reconstruction de l’armée roumaine.
Ce compagnonnage franco-roumain se poursuit au siècle suivant : ainsi, la constitution roumaine de 1923 est largement inspirée du modèle français et le célèbre écrivain et diplomate Paul Morand constate, en évoquant la même époque : « On parlait français dans les familles aristocratiques, on connaissait l’histoire et la littérature de la France, on lisait les journaux français, on pouvait acheter les dernières parutions littéraires mêmes dans les librairies des villes de province. » Bucarest était devenu le petit Paris !
Puis, pendant les longues années de dictature communiste, le français représente une forme de résistance intellectuelle dont l’Institut français de Bucarest est l’un des bastions. Dans son ouvrage consacré à l’histoire de l’institution, l’historien André Godin témoigne notamment : « Lorsqu’il y avait des revues litigieuses pour le régime, on les cachait, mais elles circulaient quand même… »
En entreprise, la plupart des réunions de direction se font en français
Aujourd’hui, plus question de censure. Les médias francophones sont présents en Roumanie, que ce soit avec TV5Monde (regardée par un million de personnes au moins une fois par semaine), RFI-Roumanie (qui émet en français et en roumain à Bucarest et dans d’autres grandes villes du pays) ou encore Regard, mensuel francophone d’actualités. « La Roumanie, dont le français n’est pas la langue maternelle, est l’un des pays où la francophonie est fortement représentée, avance Jean-Francois Peres, rédacteur en chef de la publication. Quand on se promène en Roumanie, on se rend vite compte que la francophonie n’est pas seulement une affaire linguistique, mais aussi historique, architecturale et, de façon croissante, économique. »
En effet, la France est l’un des principaux partenaires économiques de la Roumanie, avec plus de 325 millions d’euros investis depuis le début de l’année 2006 ; 50 000 Roumains travaillent actuellement dans des entreprises françaises. Le français est d’ailleurs un atout sur un curriculum vitae, comme le laisse entendre Patrick Gelin, PDG de la Banque roumaine pour le développement (groupe Société Générale), deuxième banque du pays : « Au niveau des cadres, en particulier ceux qui veulent faire carrière, la pratique du français est incontournable. La plupart des réunions de direction se font d’ailleurs en français. » L’Ambassadeur de France en Roumanie, Hervé Bolot, précise : « On constate que la France demeure la première destination des étudiants roumains de troisième cycle. Cela est à l’image de la dynamique économique, industrielle et commerciale des entreprises françaises dans le pays. »
Les 28 et 29 septembre 2006, Bucarest sera la première capitale européenne, hormis Paris, à accueillir un sommet de la Francophonie. Le thème de ce XIe sommet est « Les technologies de l’information dans l’éducation ». Parmi les enjeux, l’annonce possible de la création d’une université francophone dans la capitale roumaine.par Luca Niculescu
Article publié le 19/09/2006 Dernière mise à jour le 19/09/2006 à 18:56 TU