XIe Sommet de la Francophonie
La vie du français en Europe - Italie, Portugal : comment la francophonie résiste
Italie : un saut de génération
Valentina parle, avec application, un français presque parfait. Cette jeune Italienne lit beaucoup de littérature en français, connaît Michel Houellebecq, s’intéresse aussi aux littératures francophones et déclare avoir été très impressionnée par la lecture de Murambi, de l’écrivain Boubacar Boris Diop, roman (publié en 2004 en italien) sur le génocide rwandais. Valentina est le portrait-type de ces happy few d’Italie pour lesquels la francophonie revêt une signification plus ou moins précise. Heureux élus qui se recrutent presque exclusivement dans les milieux universitaires et aisés, qui voyagent volontiers et ont séjourné ou vécu à Paris, ont une relation presque spontanée avec la France et la culture française, et qui commencent à s’ouvrir à d’autres réalités culturelles, notamment africaines. Pour ceux-là, l’année francophone a pu être perçue avec un certain intérêt, grâce à l’effort consenti par le réseau culturel français (cinq instituts culturels – Florence, Milan, Naples, Palerme, Turin – et deux « délégations » culturelles à Bologne et Venise, ainsi que 54 Alliances françaises) pour promouvoir l’idée de francophonie au plan culturel.
Toutefois, à l’exemple de la seule enclave officiellement francophone en territoire italien, le Val d’Aoste où le français est langue officielle, on a en Italie avant tout une perception linguistique de la réalité francophone. De ce point de vue, la situation paraît à la fois satisfaisante et fragile. En raison des liens historiques et culturels très riches entre la France et l’Italie, la langue française est en bonne position parmi les langues internationales pratiquées dans le pays : on estime que l’Italie comprend 19 % de francophones (la communauté française s’élèverait à quelque 58 000 personnes), et le français est la deuxième langue vivante étudiée, en particulier dans l’enseignement secondaire où l’on compte 735 000 élèves au lycée (soit 21 % du total) en classes de français. Si l’on ne dispose pas de statistiques récentes pour le supérieur, de nombreux universitaires et intellectuels italiens pratiquent le français, ou du moins en ont acquis des rudiments.
Reste que tout le monde témoigne d’un recul du français, et d’un saut de génération constaté comme partout ailleurs en Europe : alors que la génération des plus de quarante ans montre une familiarité plus ou moins grande avec la langue française, les jeunes, eux, ont visiblement « décroché ». Les espoirs fondés sur la loi Moratti – effective depuis la rentrée 2005, elle rend obligatoire l’apprentissage de deux langues vivantes européennes –, dont on espère qu’elle consolidera la position de seconde langue du français, demandent à être confirmés. Des observateurs ne cachent pas un certain scepticisme, d’autres notent, toutefois, que le français résiste assez bien face à une poussée de l’anglais qui fut encouragée très officiellement par l’ancien gouvernement de Silvio Berlusconi.
Portugal : le français, langue « chic »… mais difficile et démodée
De « en passant » à « soi-disant », de « mon ami » à « tout court », les expressions françaises abondent dans les pages des journaux de référence portugais. Le discours direct est souvent truffé de ces petits mots prononcés avec délice, car ils marquent l’appartenance à l’élite intellectuelle. Lorsqu’il paraît en couverture d’un magazine d’information réputé, un chef de gouvernement le fait lisant Le Monde, gage de crédibilité… Du côté des manifestations publiques, les commémorations (de Jean-Paul Sartre à Jules Verne et Georges Sand) mobilisent les foules pour des débats enflammés et des rendez-vous comme la Fête du cinéma et la Fête de la musique sont devenus incontournables.
Mais tous ces indices positifs ont leur contrepartie : on déplore alors la disparition de chaînes françaises sur le réseau câblé, la diminution des films français, la rareté des concerts d’interprètes contemporains, ou la baisse du nombre d’étudiants en français dans le supérieur. Et bien sûr le Portugal n’échappe pas à l’engouement pour l’anglais « utilitaire » au détriment d’un français autrefois dominant.
Au XIXe siècle, la bourgeoisie portugaise choisit d’adopter les us et coutumes de la noblesse, et donc apprend le français, signe d’élégance et de raffinement. La tradition perdure, et à partir de 1947, alors que l’enseignement se démocratise, le français est étudié durant sept ans au collège, et l’anglais trois ans. Vingt ans après, une première réforme accorde un statut d’égalité aux deux langues. En 1989, il n’y a plus de langue obligatoire, et les élèves ont le choix entre quatre langues : le français, l’anglais, l’allemand et l’espagnol. L’anglais est aujourd’hui la langue étrangère la plus enseignée, avec 89,8 % des élèves. Le français arrive en seconde position, avec 54,4 %, caractéristique partagée dans l’Union par l’Espagne et l’Italie.
Des 30 000 diplômés de l’université qui veulent enseigner, 8 000 sont des professeurs de langue (portugais plus une langue), dont la moitié des enseignants de portugais-français. Une situation qui résulte de la chute démographique, du manque d’intérêt des étudiants pour les sciences humaines et de la perte d’aura du français. « Désormais c’est l’anglais qui s’enseigne durant la quasi totalité de la scolarité. Le français et les profs de français se sentent un peu abandonnés », reconnaît Zelia Sampaio, présidente de l’Association portugaise des professeurs de français, l’APPF. Dans la réalité, il y a presque rupture générationnelle : si l’anglais est incontournable, le français est désormais perçu comme une langue difficile et démodée. Et le Portugal n’a pas les moyens d’offrir un choix équitable entre les 4 langues étrangères enseignées. L’option retenue de donner un caractère obligatoire à deux langues pendant la scolarité y est cependant conforme aux objectifs fixés par l’Union européenne.par Marie-Line Darcy, Thierry Perret
Article publié le 19/09/2006 Dernière mise à jour le 19/09/2006 à 19:07 TU