XIe Sommet de la Francophonie
Demain, un réseau des bibliothèques numériques francophones
http://gallica.bnf.fr
« Ce n’est pas par arrogance que nous avons débuté par une réunion des bibliothèques nationales du Canada, du Québec, de Belgique, du Luxembourg, de la France et de la Suisse », se défend Jean-Noël Jeanneney, lorsque, le 8 juin 2006, on l’interroge sur l’absence des pays non-occidentaux du projet de bibliothèque numérique francophone, lancé trois mois plutôt. Le directeur de la Bibliothèque nationale de France participe ce jour-là à un débat organisé autour de la Table à palabres de l’OIF. « A ce stade, précise-t-il, il s’agit de commencer à travailler avec les pays les plus avancés dans la numérisation ; notre priorité est le transfert de technologie, et la bibliothèque d’Alexandrie, qui vient de nous rejoindre dans cette initiative et avec qui nous travaillons depuis quelques années dans le cadre de la BNF, constituera notre projet-pilote. »
Pour l’instant, le propos s’arrête là. Car une multitude de questions se posent dès lors que l’on évoque les bibliothèques du Maghreb, d’Asie ou d’Afrique francophones : quels formats choisir pour la mise en ligne, qui les contrôlera ; quels contenus retenir (les plus fragiles ou les plus importants) ; les documents francophones seront-ils les seuls sélectionnés ou bien y ajoutera-t-on des documents en langues nationales (et donc jusqu’où va le respect de la diversité culturelle) ; comment constituer les collections, numériser les cultures orales, s’acquitter des droits d’auteurs ; qui financera ce réseau compte tenu du manque de moyens des bibliothèques « du Sud », etc., etc. Une réunion est prévue au début de l’année 2007 pour essayer d’y voir plus clair. Quoiqu’il en soit, la constitution de ce réseau bénéficiera de l’expérience de la Bibliothèque numérique européenne. Jean-Noël Jeanneney le définit déjà comme un « complément naturel » de celle-ci.
La numérisation est moins complexe que la construction du réseau
Entamée dans la plupart des pays développés au début des années quatre-vingt-dix, la numérisation des livres dans les bibliothèques nationales et universitaires répondait avant tout aux problèmes de conservation, liés aux attaques du temps accentuées par les multiples manipulations des consultants. La lecture sur écran d’ordinateur se substituait progressivement aux parfums des reliures, mais les programmes informatiques et CD-ROMS offraient également un plus large accès au savoir et non pas seulement aux chercheurs oeuvrant à sa construction. « Rétrospectivement, je dirais que la numérisation n’est pas la phase la plus complexe », explique Lise Bissonnette, l’actuelle directrice de Bibliothèque et Archives nationales du Québec, dont les nouveaux locaux ont été inaugurés en 2005 à Montréal. « La construction d’un réseau est autrement plus longue et tortueuse. Et nous devons agir vite. »
L’idée de dépasser les murs de la bibliothèque et de se raccorder à d’autres centres de ressources était inhérente à la numérisation des livres. Les premiers à s’organiser furent les centres de recherches et les bibliothèques universitaires. Cependant, la mise à disposition en ligne gratuite de textes dits « classiques » ou « fondamentaux » par les bibliothèques nationales, conjointement au développement vertigineux de la toile, eut tôt fait d’attirer les convoitises des marchands. En octobre 2004, la société Google (moteur de recherche de internet) annonce ainsi son intention de mettre en ligne gratuitement 15 millions de livres issus de cinq bibliothèques anglo-saxonnes, parmi les plus prestigieuses, ainsi que des extraits des livres d’auteurs contemporains, en accord avec les éditeurs.
BNUE, TEL : l’Europe contre-attaque
La riposte a été rapide : non seulement du fait des concurrents de Google, mais aussi des Etats. « Partout dans le monde, on a accéléré la numérisation. » La main sur le cœur, Lise Bissonnette assure que les bibliothèques nationales le font dans un « esprit d’enrichissement culturel ». Dès janvier 2005, Jean-Noël Jeanneney analysait cependant le défi de Google comme celui de « la domination écrasante de l’Amérique dans la définition de l’idée que les prochaines générations se feront du monde ».
La bibliothèque numérique européenne (Bnue) est aujourd’hui en marche. Quarante-cinq bibliothèques, réparties dans les 25 pays de l’Union européenne ont adhéré au projet. Beaucoup d’entre elles vont reverser au fonds commun des ouvrages déjà numérisés. Mais, dorénavant, on travaille en sélectionnant des livres et images qui peuvent présenter un intérêt pour l’ensemble de l’Europe. La décision de créer un portail spécifique Bnue n’a pas encore été prise ; pour l’heure, chaque bibliothèque propose les « classiques » sur son propre site. Suivront les dictionnaires et les ouvrages scientifiques, avant d’en arriver aux collections de journaux européens. Mais la Commission européenne souhaiterait que le projet soit plus identifiable, en utilisant le site de « The European Library » (TEL), déjà existant.
La France contribuera à hauteur de 200 000 ouvrages. En 2006, environ 30 000 ouvrages de la bibliothèque numérique française Gallica ont été « OCRisés »*, et en 2007, un budget de 10 millions d’euros sera consacré à la numérisation d’environ 120 000 ouvrages. Chaque pays européen gère ses financements de façon indépendante. Des mécènes privés y participent. Actuellement, le rythme de numérisation de l’ensemble de la BNUE est d’environ 400 000 ouvrages par an.par Marion Urban
Article publié le 19/09/2006 Dernière mise à jour le 19/09/2006 à 19:20 TU
A consulter :
- La fourniture de services de bibliothèque à l’ère numérique : opportunités et menaces pour les bibliothèques d’Afrique. Kgomotso Mohai. Août 2003,
- http://www.ifla.org/IV/ifla69/papers/097f_trans-Moahi.pdf
- http://www.theeuropeanlibrary.org/
- http://www.booksgoogle.com/
* OCR signifie Optical Character Recognition, reconnaissance optique de caractères. OCRiser signifie traiter un document préalablement numérisé avec un logiciel permettant d’obtenir sa version textuelle et non pas seulement son image. Le taux de reconnaissance est variable en fonction de l’original, mais dans tous les cas insuffisant ; il faut donc ensuite faire vérifier l’ensemble du texte obtenu par un œil humain.