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Immigration

Le Paris-Dakar de l’immigration

Nicolas Sarkozy a reçu comme cadeau un boubou blanc et or, nettement surdimensionné, qu’il a malgré tout enfilé par-dessus son costume. 

		(Photo : AFP)
Nicolas Sarkozy a reçu comme cadeau un boubou blanc et or, nettement surdimensionné, qu’il a malgré tout enfilé par-dessus son costume.
(Photo : AFP)
Alors que la pression des migrants s’accentue aux portes de l’Europe, le ministre de l’Intérieur français, Nicolas Sarkozy, a signé samedi un accord sur les flux migratoires, avec son homologue sénégalais, Ousmane Ngom. Qualifié d’«historique» par les deux pays, l’accord reprend les dispositions de la loi sur l’«immigration choisie», un terme qui avait soulevé un tollé en Afrique, où on y a vu un instrument destiné à favoriser la «fuite des cerveaux» du Sud vers le Nord.

Normalement, Ségolène Royal devait précéder Nicolas Sarkozy à Dakar, d’une petite semaine. Mais l’omniprésent ministre de l’Intérieur, supporte de moins en moins de se faire passer devant. Il l’a montré le 11 septembre aux Etats-Unis, où il a devancé le président Chirac chez George W. Bush. Il vient de le confirmer au Sénégal, en devançant à la hussarde de 48 heures, sa rivale pour la présidence, Ségolène Royal, qui est née à Dakar. Un avantage sentimental que Nicolas Sarkozy, soucieux d’occuper tous les terrains, n’a pas voulu lui laisser exploiter.

Un accord âprement négocié

Premier donc à Dakar, Nicolas Sarkozy s’est appliqué à ne pas mentionner une seule fois, l’«immigration choisie» un concept qu’il a pourtant défendu bec et ongles devant le Parlement français, qui l’a voté le 24 juillet. Sur l’autre rive, l’appellation fait grincer les dents, elle évoque pour le président sénégalais, Abdoulaye Wade, un pillage organisé «des cerveaux». Dans ces conditions, exit  l’«immigration choisie», voici l’«immigration concertée». Deux appellations pour un même objectif : contrôler les flux migratoires entre les deux pays.

L’accord de Dakar comporte trois volets : l’immigration régulière, l’immigration irrégulière et le co-développement. Si chacun se félicite haut et fort, le ministre de l’Intérieur sénagalais, Ousmane Ngom, ne se prive pas de rappeler que l’accord avait été «âprement négocié». Chacune des parties ayant en tête de ménager ses futurs électeurs. Abdoulaye Wade doit en effet affronter des élections dans quelques mois alors que les reproches se multiplient à propos des  5 000 Sénégalais morts en tentant de rejoindre les Canaries. 

Nicolas Sarkozy, dont il devient de plus en plus malaisé de distinguer la casquette de ministre de celle du candidat à la présidence de la République, jouait gros également à Dakar. Ses dernières actions auprès des familles d’enfants immigrés scolarisés, qui ont laissé sur le carreau 23 000 familles sans papiers, et l’évacuation du squat de Cachan, l’ont rapprochées plus que jamais de la caricature du «Père fouettard» à laquelle il tente sans succès d’échapper.

2,5 millions d’euros pour expulser les «irréguliers»

Le texte signé samedi prévoit que le gouvernement sénégalais s’engage à collaborer avec Paris pour faciliter l’expulsion de ses ressortissants en situation irrégulière. Parallèlement, la France versera, dans un premier temps, une somme de 2,5 millions d’euros pour aider les rapatriés à se réinsérer grâce à des micro-projets, notamment dans le secteur de l’agriculture. L’Espagne a déjà signé avec le gouvernement d’Abdoulaye Wade une entente de ce type qui attribue 20 millions d’euros au Sénégal, pour lutter contre l’immigration clandestine. Depuis, un véritable pont aérien a été établi entre les deux pays, suscitant la colère et le dépit au Sénégal. L’aide espagnole, soulève d’ailleurs nombre de questions chez les opposants au chef de l’Etat sénégalais, qui voudraient bien savoir comment ont été utilisés ces fonds.

Dans le document signé à Dakar, la France s’est aussi engagée à délivrer plus facilement des visas de circulation pour les hommes d’affaires, les sportifs et les artistes. «Ces personnes qui doivent pouvoir circuler sans formalités entre la France et le Sénégal, recevront un visa permettant des séjours ne pouvant excéder trois mois par semestre et valable de un à cinq ans» précise le texte. Les étudiants sénégalais devraient voir également leurs conditions de séjour en France un peu adoucies. Mais avec en arrière-plan, le retour au pays, comme condition incontournable de leur accueil en France. «Je ne veux plus qu’il y ait plus de médecins africains en France qu’en Afrique», a d’ailleurs averti Nicolas Sarkozy.    

Une fois l’accord paraphé, l’échange traditionnel de cadeaux a pu avoir lieu. Nicolas Sarkozy a ainsi reçu outre un baobab, un boubou blanc et or, nettement surdimensionné, qu’il a malgré tout enfilé par-dessus son costume. La visite-éclair du ministre français a été vivement critiquée par la presse sénégalaise : «les charters de Sarkozy vont, sous peu, reprendre du service», prévient le Quotidien qui reproche encore au pays colonisateur de faire un «nettoyage» des émigrés sénégalais. Enfin, la presse sénégalaise ne s’y est pas trompée sur la course à l’échalote entre Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal : «il s’agit bien du déplacement de la pré-campagne électorale française à Dakar».

par Claire  Arsenault

Article publié le 25/09/2006 Dernière mise à jour le 25/09/2006 à 16:24 TU

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Jean-Pierre Chevènement

Ancien ministre français de l'Intérieur

«L'idée d'accueillir plus facilement les étudiants dans certaines branches utiles au Sénégal peut être une bonne idée. Mais pour le reste, ces accords vaudront surtout par leur application»

[25/09/2006]