XIe Sommet de la Francophonie
Plus d’Europe, moins d’Afrique : le nouveau visage de la Francophonie
DR
De notre envoyée spéciale à Bucarest
Si le berceau de la Francophonie est en Afrique, son avenir est-il en Europe ? Une chose est sûre, ce sont les pays européens qui ont formé le gros bataillon des nouveaux adhérents durant les quinze dernières années. Sur 21 Etats qui ont fait leur entrée dans la Francophonie, 16 sont européens. Cela veut-il dire pour autant que les pays africains ont quelque chose à craindre de cette nouvelle configuration ? A voir.
Si l’on en croit Cristian Preda, l’une des principales ambitions francophones de la Roumanie, qui organise le XIe Sommet, est au contraire de raviver les liens de coopération avec l’Afrique. Le secrétaire d’Etat à la Francophonie chargé de l’organisation du Sommet de Bucarest l’a affirmé à plusieurs reprises. Le lancement d’un programme de bourses universitaires devrait d’ailleurs être annoncé durant la conférence et confirmer cette volonté de «solidarité avec l’Afrique».
«Nous avons tous à y gagner»
Il n’y aurait donc pas de concurrence continentale au sein de la Francophonie et pas de difficulté à appartenir à plusieurs organisations régionales ou internationales. Il est normal que les Africains fassent partie de l’Union africaine, et les Européens de l’Union européenne. Bonaventure Mvé-Ondo, le vice-recteur de l’Agence universitaire de la Francophonie (AUF), explique même que la multiplication des engagements ne représente pas un handicap, au contraire. Ce Gabonais, universitaire et intellectuel avant tout, mais qui connaît parfaitement les rouages politiques de la Francophonie, affirme : «Nous avons tous à y gagner».
La représentation importante des Etats qui ont adhéré à la Francophonie dans l’Union européenne pourrait ainsi jouer en faveur de l’Afrique. Bonaventure Mvé-Ondo y voit une chance d’éviter que «le modèle culturel anglo-saxon» qui voit «la vie comme un capital» ne prenne irrémédiablement le dessus, en Europe, sur «le modèle latin» dans lequel «la vie est quelque chose qui peut être joué». Une manière de dire que la présence, à partir de janvier 2007, de 14 pays francophones au sein de l’UE est notamment susceptible d’amener à certaines prises de conscience et à éviter des «peurs». Par exemple, sur le problème de la gestion de l’immigration. Bonaventure Mvé-Ondo espère que ces nouveaux Européens francophones plaideront en faveur de la nécessité d’aider l’Afrique à se développer car «avec une Afrique misérable, quelles que soient les barrières, les gens se battront toujours pour les franchir».
Il affirme, d’autre part, que les pays d’Europe centrale et orientale, la Roumanie notamment, ont compris, comme la Chine, que l’Afrique est «la nouvelle frontière». Et les Africains se rendent compte de leur côté qu’ils ont certainement intérêt à essayer de profiter des nouvelles opportunités de coopération que ces partenaires peuvent leur offrir. En étant conscients du fait que l’Afrique continuera de représenter «la francophonie fondamentale car beaucoup d’Africains parlent français».
Elargissement géographique, ouverture politique
Mais est-ce que l’usage de la langue française va demeurer, dans les prochaines années, le commun dénominateur des Etats de la Francophonie ? Pas sûr. Le virage amorcé avec la création d’une fonction de secrétaire général au Sommet de Hanoï en 1997 et la réforme de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) après celui de Ouagadougou en 2004, a visé à faire entrer cette communauté d’Etats dans la sphère des acteurs de la politique internationale. Donc à dépasser le cadre d’une simple alliance autour d’une langue commune. Certes, le choix des combats menés par cette nouvelle francophonie reste imprégné de préoccupations linguistiques et culturelles. Elle a été, par exemple, très en pointe dans le débat autour de la Convention sur la diversité culturelle adoptée à l’Unesco. Et elle milite pour inciter les Etats à ratifier le texte. La Roumanie, hôte du Sommet de la francophonie, désireuse de donner l’exemple, a d’ailleurs été le premier pays européen à ratifier la Convention. L’élargissement géographique s’est donc accompagné d’une ouverture politique et la dimension linguistique est moins prédominante. Heureusement, pourrait-on dire, puisque le nombre de personnes qui parlent le français dans les pays d’Europe centrale et orientale membres l’Organisation internationale de la Francophonie et dans ceux qui postulent pour en faire partie (Grèce, Ukraine, Serbie), est assez limité.
A quoi ressemblera alors la Francophonie de demain ? Certainement pas à celle de Léopold Sedar Senghor. Mais plutôt à une communauté d’intérêts politiques partagés autour de la diversité culturelle, qui est tout de même pour Bonaventure Mvé-Ondo, «le phare qui allume tout».
par Valérie Gas
Article publié le 26/09/2006 Dernière mise à jour le 26/09/2006 à 17:32 TU