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France-Congo

Un mausolée pour Brazza

Un siècle après sa mort, la dépouille de l’explorateur français Pierre Savorgnan de Brazza a traversé le continent noir depuis Alger pour être ré-inhumée mardi en grande pompe, à la demande de sa famille, dans la capitale congolaise, Brazzaville, qu’il a fondée en 1880. Cette célébration d’un acteur de la colonisation, en présence du chef de la diplomatie française, est au cœur d’une polémique au Congo.

Des officiers de la marine nationale congolaise transportent la dépouille de l'explorateur français, fondateur de Brazzaville, à l'intérieur du mausolée. 

		(Photo: Pauline Simonet/RFI)
Des officiers de la marine nationale congolaise transportent la dépouille de l'explorateur français, fondateur de Brazzaville, à l'intérieur du mausolée.
(Photo: Pauline Simonet/RFI)

Le roi Auguste Nguempio est l’un des invités d’honneur. Vêtu de rouge, le visage peint pour les grandes occasions, un collier de six dents rangées par paires autour du cou symbolisant son pouvoir. C’est le makoko, le descendant du roi de l’ethnie téké Ilo Ier qui signa le 3 octobre 1880 un traité avec Pierre Savorgnan de Brazza instituant un protectorat sur son royaume et ouvrant la voie à la future Afrique équatoriale française. Le porte-parole de ce monarque de 70 ans, ancien fonctionnaire parfaitement francophone, confie que sa majesté est «très émue que l’on célèbre un grand humaniste qui n’était pas venu sur ces terres à des fins de domination».

La présence du makoko à cette cérémonie officielle met terme à une querelle de succession qui avait empêché que les nouvelles «funérailles» de l’explorateur se déroulent en 2005, l’année du centenaire de sa mort. Devant lui s’étale une peau de léopard sur laquelle viennent s’agenouiller tour à tour les descendants de l’aventurier français d’origine italienne. «Brazza a permis l’union entre l’Europe et l’Afrique d’une façon positive et ça, c’est très important pour la famille», confie Idane Pucci, arrière-petite-nièce de Brazza qui a revêtu pour l’occasion un pagne africain. «Le mausolée n’est pas uniquement pour les Congolais mais symbolise le message humaniste de mon ancêtre pour tout le continent africain», ajoute-t-elle.

Un monument de 10 milliards de francs CFA

«Mais c’est Jésus Christ !», s’amuse une Congolaise en désignant la stèle de huit mètres de haut, à son effigie, que le vent déshabille avant l’heure du drapeau congolais qui la recouvrait. Aux côtés des présidents congolais, Denis Sassou Nguesso, gabonais, Omar Bongo, et centrafricain, François Bozizé, le chef de la diplomatie française, Philippe Douste-Blazy, rend un hommage appuyé à un «explorateur visionnaire et humaniste» qui a toujours «refusé la violence». Mais le transfert depuis Alger de la dépouille de l’«explorateur aux pieds nus», et sa ré-inhumation dans la crypte d’un immense mausolée de verre et de marbre, sur les rives du fleuve Congo, ne font pas l’unanimité.

C’est tout d’abord le coût du monument, autour de 10 milliards de francs CFA (15 millions d’euros) selon plusieurs sources, qui a choqué nombre d’habitants de ce pays, où deux tiers de la population vit sous le seuil de pauvreté. «C’est gaspillé ça!», s’énerve Maurice en désignant le marbre étincelant du bâtiment, financé par le Congo, le Gabon, la Centrafrique et la France. «Le gouvernement congolais a dépensé des milliards alors qu’il n’y a ni eau ni électricité dans beaucoup de quartiers, poursuit le jeune homme, c’est trop, alors qu’on ne sait pas où sont enterrés beaucoup de nos héros de l’indépendance». Mais pour certains intellectuels africains, le plus choquant est ailleurs. Le transfert des restes mortels de Brazza reviendrait à faire l’apologie de la colonisation. «L’histoire ne doit pas se répéter», titre Congo Plus, mercredi matin. «Ce qui se passe actuellement au Congo doit être considéré comme une répétition de l’affrontement colonial», poursuit le site d’information.

Brazza, «père des esclaves»

Les participants à un colloque, organisé par la Fondation de Brazza à Franceville - fondée par l’explorateur dans le sud-est du Gabon -, n’ont pas reconnu «la pertinence du vocable humaniste en ce qui concerne l’entreprise coloniale de l’explorateur, le seul acte de coloniser ne pouvant en soi valoir au colonisateur une telle qualification». Après ses découvertes, Brazza fut nommé administrateur colonial dès 1883.

A cette époque, pour exploiter ces terres aux ressources naturelles immenses, la France confia sa mise en valeur à des compagnies concessionnaires qui se sont rendues coupables de «traitements inhumains et de crimes contre les autochtones», explique le professeur congolais Emmanuel Goma-Thethet. «Savorgnan de Brazza reflète les aspects positifs et négatifs de la colonisation», estime Bernard Kouchner, à Brazzaville dans le cadre de sa «campagne» pour la direction générale de l’Organisation mondiale de la santé. «C’est toujours le même débat et c’est aux Africains de juger», conclut l’ancien ministre français.

Par opposition à son grand rival Morton Stanley, connu pour ses explorations meurtrières, Brazza a gardé l’image d’un colonisateur à «visage humain». Le fondateur de Francheville, la ville des esclaves affranchis - qu’une erreur de transcription a rebaptisé Franceville - gagna le surnom de «père des esclaves». Selon plusieurs historiens, Brazza est mort à Dakar en 1905, de retour du Congo, avec dans ses bagages un rapport, jamais publié, dénonçant les exactions commises par des fonctionnaires coloniaux en Afrique centrale. Il repose à présent sur les rives du fleuve Congo dont la quête est à l’origine de son premier voyage au cœur de l’Afrique.



par Pauline  Simonet

Article publié le 04/10/2006 Dernière mise à jour le 04/10/2006 à 18:03 TU

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Jérôme Ollandet

Historien congolais, professeur à l'université Marien Ngouabi de Brazzaville

«Savorgnan de Brazza introduit une méthode qui est la négociation. Il traitait avec les chefs locaux.»

[03/10/2006]